Bernard Devos
Relations entre les jeunes et la police: quand l’actualité nous rappelle tristement à la réalité
Le décès d’un jeune homme dans une course-poursuite avec la police vendredi soir à Anderlecht a déjà fait couler beaucoup d’encre et provoqué les débordements que l’on sait. Dans la rue et sur les réseaux sociaux où se déchaînent tous les camps de l’excès. Ce tragique événement, qui n’est malheureusement pas si inédit dans l’actualité bruxelloise, soulève nombre d’interrogations au regard du respect des droits humains et de l’Etat de droit.
Si tous les comportements violents et excessifs sont condamnables, la justice doit pouvoir faire sereinement son travail, désigner les fautes et prononcer les sanctions. Dans cette optique, nous nous inclinons devant la dignité et la réserve de la famille du défunt et nous saluons son appel au calme après le décès d’Adil.
Pour éviter le manichéisme et se défaire des clichés, pour renvoyer chacun au respect de l’autre, il est impératif et urgent de nourrir une réflexion approfondie autour de nos politiques publiques de prévention, de police et de sécurité afin d’oeuvrer en faveur d’un apaisement des relations entre les jeunes et la police. Or, pour apaiser, il faut renouer le dialogue. Pour renouer le dialogue, il faut restaurer le lien de confiance entre les citoyens et les institutions. Ce même lien de confiance qui s’érode à chaque drame entraînant la mort, à chaque contrôle au faciès, à chaque usage illégitime et/ou disproportionné de la contrainte et/ou de la force.
Le Délégué général aux droits de l’enfant est, en dehors du contexte de la crise actuelle, régulièrement interpelé par des jeunes, leurs familles ou des professionnels de première ligne portant des allégations de violences policières, de contrôles d’identité abusifs et discriminatoires ou dénonçant, plus généralement, des méthodes intimidantes ou humiliantes. Force est de constater que ces allégations sont aussi majoritairement portées par des personnes issues de milieux précarisés.
Nous voyons au quotidien que la participation des enfants et des jeunes à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation des politiques publiques n’est que trop rarement envisagée ou mise en oeuvre. Pourtant, se nourrir de leur parole dans les réflexions autour de secteurs tels que la culture, la jeunesse, l’aménagement du territoire, l’urbanisme, l’occupation des espaces publics ou encore la mobilité et les travaux publics contribue grandement à développer une vision systémique de la prévention. Favoriser leur participation est également un moyen de les outiller, de les responsabiliser et de les accompagner dans l’apprentissage et l’expérimentation de leur citoyenneté. Cette citoyenneté à laquelle ils sont sans cesse rappelés quand les outils et les moyens d’y accéder leur sont trop souvent inaccessibles.
Aujourd’hui plus que jamais, la fracture entre les jeunes et les institutions est particulièrement visible.
La proximité ne se décrète pas, elle s’insuffle et se cultive. Renforcer le lien de confiance avec les citoyens et asseoir une police capable de garantir la transparence de ses actions est la première priorité. Bénéficier d’une police qui favorise le travail en réseaux et le développement de partenariats avec les différents services communaux et acteurs de terrain (AMO, travailleurs de rue, écoles, etc.) dans le respect des règles déontologiques de chacun en est une autre.
La nécessité d’évaluer et repenser la formation initiale et continuée des membres du personnel des services de police constitue aussi un enjeu primordial : le recours à la contrainte et l’usage de la force sont subordonnés au respect de plusieurs principes (légalité, opportunité, subsidiarité et proportionnalité) qui doivent guider, en tout lieu et en tout temps, l’action policière. Ces principes doivent être appris, connus et sans cesse rappelés. Ce n’est pas récuser l’action policière dans son entier, ce n’est pas faire le procès de la police, que de demander que ses agents connaissent et respectent ces principes. C’est jouer le jeu de la démocratie et, ce faisant, la renforcer en créant un lien vital et nécessaire entre les forces de l’ordre et les citoyens.
Il est par ailleurs fondamental de renforcer le contrôle démocratique de l’action policière notamment en optimisant l’accessibilité et l’effectivité des voies de recours à disposition des jeunes et de leurs familles. Il ressort en effet du traitement de situations individuelles et de nombreux témoignages du terrain que bon nombre de jeunes n’osent pas porter plainte lorsqu’ils estiment avoir été victimes de contrôles abusifs et discriminatoires ou d’un usage illégitime et/ou disproportionné de la force par la police. Ce non-recours au droit s’explique notamment par un manque d’information ou par un sentiment de découragement face à la complexité et la longueur des procédures.
L’actualité nous rappelle tristement à la réalité. Mais elle nous donne aussi, ce faisant, l’occasion de tirer les leçons de ce passé douloureux pour construire un avenir plus acceptable pour tous. Il apparait désormais urgent de renouer le dialogue avec ces jeunes qui, face à ce qu’ils perçoivent comme de l’injustice ou de la provocation, sont poussés dans leurs retranchements et se vivent atteints dans leurs droits et dignité. Qu’on leur donne tort ou raison, notre devoir d’adultes est de les entendre, la mission de mon institution de trouver avec eux, avec vous, les moyens pour sortir de l’impasse.
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