Regard singulier sur l’Ardenne (en images)
Après Bruxelles et la Flandre, une jeune garde de photographes talentueux livre sa vision d’un territoire balisé, l’Ardenne. Regard décalé sur une région ancrée dans notre imaginaire collectif.
On sait le terme ambigu qui dit une terre aux frontières floues – les offices du tourisme eux-mêmes en jouent en convoquant une « Ardenne promotionnelle » dont la géographie étendue fait déborder la magie de la prestigieuse appellation sur des lieux laissés pour compte. Il reste qu’en Belgique, les sonorités que l’on dit celtes de ce nom glorieux remuent des souvenirs d’enfance glanés au grand air.
Qui n’a pas eu un oncle botté qui taquinait le goujon dans la Semois? Un grand-père qui tranchait un collier éponyme, salaison des jours insouciants? Territoire cartepostalisé et mitraillé à l’envi, cette bouffée d’oxygène à l’est de la Meuse et de la Sambre attendait qu’on pose un autre regard sur elle. Un oeil embarqué et empathique.
L’ouvrage 1010 Hardennes (1) relève le défi sur le mode « 1 lieu. 10 photographes. 100 images ». La publication est une totale réussite en ce qu’elle laisse carte blanche à un casting d’exception: Pauline Caplet, Christopher de Béthune, Manu Jougla, Maxime Lemmens, Renée Lorie, Sarah Lowie, Thomas Marchal, Marie Sordat, Mathieu Van Assche ou encore Simon Vansteenwinckel. Soit des talents acquis à cette « photographie qui tremble », des regards gagnés à la « tendance floue ». Ceux-là même qui sacrent la disparition d’une harmonie préétablie, celle où il existait une frontière claire entre le photographe et le photographié, le sujet et l’objet.
Plus question dans leur viseur de cet « alignement entre la tête, l’oeil et le coeur », sacro-sainte trinité photographique chère à Henri Cartier-Bresson. En lieu et place, paysages, animaux et personnages dansent, vacillent et tombent devant l’objectif. En toute logique, c’est le noir et blanc qui a été retenu pour cette leçon magistrale de photographie existentielle qui se tient non plus « face au monde » mais « dans le monde ». En marge de la sortie du livre, un accrochage à L’Enfant sauvage, un nouveau lieu d’exposition à Bruxelles, fait place à une sélection de tirages originaux issus de ce projet salutaire.
1010 Hardennes, éd. Le Mulet, 124 p.
Renée Lorie cultive le goût de la dissonance visuelle. Alors, forcément, quand elle immortalise la végétation, le résultat est tout sauf rassurant. Quand l’Ardenne menace.
Connu pour ses images de skate, Thomas Marchal traque aussi les affres des vacances en camping. Et pointe cet intéressant mimétisme homme-animal.
Photographe belge autodidacte, Christopher de Béthune sait où promener son oeil pour arracher son inquiétante étrangeté à un territoire où les statues souffrent du haut mal.
Aussi à l’aise au bout du monde – la très belle série Nosotros au Chili – qu’en proximité, Simon Vansteenwinckel impose un style photographique dense et granuleux.
L’intime s’invite au coeur de l’Ardenne avec les images sensuelles de Marie Sordat. La peau comme surface d’inscription ou d’affleurement.
La « photographie qui tremble » est au programme des images vibrantes de Pauline Caplet. Le tout pour un effet chamanique, hallucinatoire.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici