Selma Benkhelifa
Réfugiés : vers une privatisation de l’accueil
On a beaucoup parlé de la crise des migrants, de la crise de l’accueil et du parc Maximilien. S’il faut saluer l’immense élan de solidarité à l’égard des réfugiés, il convient de s’interroger sur la source de la crise, ses conséquences et ses raisons politiques.
Comment dans un pays comme la Belgique, plusieurs centaines de demandeurs d’asile ont-ils dû être pris en charge par des citoyens compatissants ? Theo Francken a prétendu avoir été surpris par l’afflux massif et tout le monde y a cru.
On l’a entendu dire que la Belgique enregistrait entre 4000 et 5000 demandeurs d’asile par mois et que ces chiffres rendaient l’accueil impossible a gérer. Ce qui expliquerait le parc Maximilien.
En effet, les chiffres sont là : 4.621 demandes d’asile ont été introduites en Belgique au cours du mois d’août 2015 et 5.512 demandes d’asile en septembre 2015.
Le nombre de demandes d’asile peut-il expliquer à lui seul la crise de l’accueil ? Nous ne le pensons pas.
D’une part, la plupart des demandes concernent des Irakiens et des Syriens. On ne peut pas faire semblant de s’étonner de la venue de réfugiés de ces deux pays. Les informations quotidiennes à propos du conflit armé qui y sévit ne laissent aucun doute sur l’existence d’un afflux de réfugiés.
D’autre part, le nombre de places n’a pas cessé d’être réduit depuis plusieurs années.
Déjà sous le gouvernement précédent, Maggie Deblock avait supprimé un grand nombre de places d’accueil et des centres avaient été fermés.
Le Gouvernement actuel a décidé la fermeture de 2.057 places d’accueil pour demandeurs d’asile en 2015.
Il y aurait eu assez de places d’accueil pour les nouveaux arrivants si celle-ci n’avaient pas été supprimées – avec les pertes d’emploi qui en découlent – précédemment.
La société civile avait dénoncé l’aveuglement de Theo Francken qui aurait dû anticiper l’arrivée des Syriens et des Irakiens.
Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’aveuglement, mais bien d’une crise organisée de longue date en vue de légitimer le processus de privatisation du secteur de l’accueil.
L’accueil des demandeurs d’asile est une compétence fédérale et un service public. Depuis le mois de septembre de cette année, la privatisation du secteur a été lancée.
Un marché public a été publié. Les termes du marché sont édifiants :
« Marché public de services pour la fourniture d’une capacité d’accueil supplémentaire d’urgence. L’objectif est d’offrir au total 5.000 places d’accueil de transit. Ces places sont réparties sur 4.500 adultes et 500 mineurs étrangers non-accompagnées. Les soumissionnaires sont libres de soumettre des propositions pour le nombre complet ou une partie de celui-ci. Les quantités mentionnées concernent des quantités présumées.«
Le mot « quantité » est utilisé pour parler d’hommes, de femmes et d’enfants ayant fui la guerre. Les réfugiés sont chosifiés, réduits à une quantité négociable de marchandises, soumis à la loi sur l’offre et la demande.
Les soumissionnaires sont des acteurs du secteur marchand, qui voient dans l’accueil des réfugiés une source de profit. Ce ne sont ni des défenseurs des droits de l’Homme, ni des droits des réfugiés.
Ailleurs en Europe, de telles privatisations ont eu lieu et ont conduit à des violations graves des droits humains. En Allemagne, la gestion de certains centres a été confiée à des sociétés privées. Des abus et des maltraitances ont été dénoncés. On a pu voir des photos sur lesquelles des agents de sécurité de la société privée European Homecare posent fièrement le pied sur le corps d’un demandeur d’asile menotté, des phots comparables à celles prises dans la prison d’Abou Ghraib en Irak, où des soldats américains avaient torturé et humilié des détenus irakiens.
G4S
Le groupe G4S a offert ses services. Il est déjà difficile d’accepter en soi la privatisation d’un service public à caractère social, mais l’octroi d’un tel marché à G4S est tout simplement inacceptable.
Une entreprise de sécurité dans l’accueil peut sembler étonnant. Quoique vu la manière dont Theo Francken criminalise sans arrêt les réfugiés, on retrouve une certaine logique.
G4S n’est pas juste une entreprise de sécurité. C’est une entreprise dont de plus en plus de défenseurs des droits de l’Homme dénoncent les agissements et veulent exclure définitivement de tous les marchés publics, notamment en raison de ses activités en Palestine, dans les territoires occupés.
Au Parlement européen, 28 députés – appartenant à l’ensemble des partis présents dans l’hémicycle, à l’exception du Parti populaire européen – ont attiré l’attention sur le fait que G4S fournit ses services pour la sécurité du Parlement européen alors que la complicité de G4s à des crimes de guerre dans les territoires palestiniens est avérée.
Et G4S ne s’arrête pas là. La multinationale a des contrats en Irak et en Afghanistan.
Ce sont à des spécialistes de la guerre (selon nous, à des complices de crimes de guerre) que nos états veulent confier la gestion de la migration ?
En Grande-Bretagne, toujours très en avance en matière de privatisations, G4S s’est vu confié un rôle dans les expulsions. Jimmy Mubenga est une de leurs victimes. Il a été assassiné dans l’avion qui le rapatriait en Angola.
Les réfugiés sont des êtres humains et pas des marchandises dont on peut confier la gestion à une société privée
L’accueil doit rester une compétence exclusive de l’Etat et du secteur non marchand.
Les réfugiés sont des êtres humains – il est triste de devoir le rappeler – et pas des marchandises dont on peut confier la gestion à une société privée.
Surtout lorsqu’on sait qu’il est question de mineurs non accompagnés. Des mesures spécifiques doivent être prises par l’Etat pour garantir les droits de ces enfants, qui n’ont plus ni leur père, ni leur mère pour les défendre. On ne peut pas confier des enfants à une firme dont le seul but est de faire de la sécurité et du profit.
L’expérience des autres pays européens dans lesquels la gestion des demandeurs d’asile a été confiée à des sociétés privées démontre le risque de violation grave des droits fondamentaux des réfugiés. L’accueil doit rester une prérogative de l’Etat et des ONG.
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