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Réforme du Décret Paysage: tout ce qui va changer dans l’enseignement supérieur dès 2022

Début décembre, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a définitivement approuvé le projet de réforme du Décret Paysage qui sera d’application dès la rentrée 2022. Quels sont les changements pour les étudiants ? Pourquoi une telle réforme ? Qu’en pensent les principaux concernés ? Difficultés suppémentaires ou aide à la réussite ? Notre dossier.

1. Décryptage des mesures prévues (crédits, finançabilité…)

Un des gros changements de cette réforme concerne les étudiants de bac 1. Les élèves devront réussir leurs 60 crédits pour pouvoir espérer passer en deuxième année:

-Vous êtes étudiant en bac 1 et vous obtenez 60 crédits: l’aventure continue pour vous, puisse le sort vous être favorable.

-Vous êtes étudiant en bac 1 et vous obtenez entre 45 et 59 crédits: vous pourrez prendre des cours de deuxième (pour un total de 60 crédits) mais vous serez toujours en première avec vos cours restants (grosse nouveauté car, actuellement, à partir de 45 crédits, les étudiants passent en bac 2 et gardent les 15 crédits des cours de première.) Si vous avez entre 55 et 59 crédits, vous pourrez vous constituer un programme de 65 crédits (avec l’accord du jury).

-Vous êtes étudiant en bac 1 et vous obtenez 30 à 44 crédits: vous restez en bac 1 et devez repasser vos cours ratés. Mais avec accord du jury, vous pourrez éventuellement prendre des cours selon « la poursuite d’études pour lesquels il a les prérequis, sans que son programme ne dépasse 60 crédits. »

-Vous êtes étudiant en bac 1 et vous obtenez moins de 30 crédits: vous continuez votre première année avec les cours que vous avez loupés et des remédiations.

A noter, qu’il faudra également réussir au moins une unité d’enseignement si vous voulez vous réinscrire au même cursus.

Le second changement est la réussite des étudiants en deux ans de leur première année. Cependant, il existe deux exceptions: « Le jury pourra décider de permettre à un étudiant de s’inscrire une troisième fois dans la même filière s’il réussit 60 crédits et au moins 50 crédits du bloc 1 au terme de ces deux années. » Celui-ci pourrait également permettre à un étudiant ayant eu moins de 30 crédits lors de sa première inscription et au moins 50 lors de sa deuxième de s’inscrire une troisième fois dans la même filière.

C’est un grand changement pour beaucoup d’étudiants, comme nous l’explique une jeune fille de l’Université de Liège « J’ai eu un cours raté pendant 3 ans en bachelier et maintenant je suis en master 2 sans aucun crédit résiduel. Je pense que chacun a son parcours et l’Université est déjà assez compliquée comme ça. » Avec le système prévu dès 2022, cette jeune fille aurait dû se soumettre à l’avis d’un jury pour savoir si elle pouvait passer ou non. Comme nous l’explique Lucas Van Molle, président de la FEF (Fédération Francophone des étudiants) « Dans toute cette histoire de finançabilité, entre le texte original et le texte qui a été voté, il y a eu plusieurs assouplissements aussi parce que d’autres politiques, acteurs de l’enseignement supérieur et nous, avons mis la pression pour dire que c’était beaucoup trop strict. Par exemple, un étudiant pourrait rester finançable s’ il a suffisamment avancé même s’ il lui reste une petite casserole en première. Mais c’est soumis à la condition du jury« .

A noter que l’étudiant aura également 5 ans pour terminer son bachelier et 6 ans s’il se réoriente.

Il faudra également arriver blanchi (de ses cours résiduels) pour accéder au master « Ainsi, les étudiants à qui il restera maximum 15 crédits de bachelier à acquérir pourront anticiper des crédits de master pour lesquels ils disposent des prérequis, mais ils seront toujours bien inscrits en bachelier, et leur programme ne pourra pas excéder un total de 60 crédits. » Et vous aurez également une durée limitée pour réussir vos dernières années: « Pour le master, l’étudiant disposera de maximum 2 ans pour réussir 60 crédits, de maximum 4 ans pour réussir 120 crédits, et de maximum 6 ans pour réussir 180 crédits. » peut-on lire sur le site de la réforme. Bref, les étudiants devront, dès à présent, se munir d’un agenda pour surveiller leurs années restantes.

2. Des objectifs communs, des avis divergents

Le taux de réussite dans l’enseignement supérieur reste une des préoccupations majeures pour les politiques, établissements scolaires et évidemment les étudiants. La Ministre Valérie Glatigny (MR) avait donc décidé de lancer la réforme du Décret Paysage « On s’est rendu compte que le pari qu’on faisait d’une réussite progressive, au rythme de l’étudiant, avec trop de flexibilité était un cadeau empoisonné. Beaucoup d’étudiants quittaient l’enseignement supérieur sans diplôme alors qu’ils y avaient passé beaucoup d’années. Ce qui nous a particulièrement interpellé, c’est que ce sont les précarisés qui étaient impactés. », explique la Ministre de l’Enseignement supérieur.

Selon les chiffres qui nous ont été envoyés par la Ministre, il y a eu une perte dans la cadence de la réussite des étudiants précarisés avec le décret paysage: « Sous Bologne, ils étaient 18,9% des étudiants boursiers (à l’université) à réussir en 3 ans. Ils ne sont plus que 14,1% sous Paysage. »

Mais cela n’est pas valable uniquement pour eux, c’est également la situation générale. « Dans la réussite des étudiants en général c’est le même constat. [..] Le pari de permettre à chacun de progresser à son rythme qui devait mener à plus de diplômés n’est pas relevé. Donc, on a voulu réintroduire plus de cadre [..] pour que les étudiants anticipent mieux les conséquences d’un report de crédit. Quand on dit que la réussite est 45 crédits sur 60, cela incite les étudiants à reporter 15 crédits au fur et à mesure des années. Après, on se retrouve avec un sac à dos de crédits non-validés trop lourd à porter et on se découvre non finançable.« , explique Valérie Glatigny.

Cette nouvelle réforme a beaucoup fait parler, notamment la FEF (Fédération Francophone des étudiants) qui n’est pas vraiment d’accord sur le fond mais bien sur les causes comme nous l’explique Lucas Van Molle: « La Ministre explique qu’en mettant des balises plus strictes, les étudiants vont changer de stratégie face à la réussite. Et c’est là le problème, nous ce qu’on répond à ça c’est que si on dit à un étudiant qui doit jober pour payer ses études « Tu n’as plus que deux ans pour réussir en bac 1 », ça ne va pas d’un coup enlever tous ses obstacles. Il va devoir continuer à travailler et il vient toujours d’un milieu plus défavorisé. Donc, ces balises ne vont avoir pour incidence que d’exclure les étudiants qui ont plus de mal et qui viennent d’un milieu plus précaire. »

Mais pour la Ministre de l’Enseignement supérieur « c’est l’allongement de la durée des études qui a une conséquence directe: la précarisation des étudiants. Quand on met 10 années pour faire son bachelier […] il arrive que des jeunes doivent aller au CPAS parce que cela fait beaucoup d’années qu’il sont dans l’enseignement supérieur et que les parents sont à bout de ressources. »

Par contre, tous se rejoignent sur les objectifs à atteindre comme l’explique Lucas Van Molle. « Le fait d’essayer de trouver des manières de réduire le taux d’échec dans l’enseignement supérieur, évidemment qu’on y est favorable. Notre souhait, c’est qu’il y ait beaucoup plus de gens qui réussissent. Le truc, c’est que pour nous la solution est à trouver dans la lutte contre la précarité étudiante. […]« 

3. Une place importante aux jurys

Dans ce décret, une grande importance est donnée aux jurys ce qui inquiète Lucas Van Molle « Il y a un jury, qui va prendre une décision déterminante pour l’avenir de l’étudiant: est-ce qu’il peut rester étudiant ou pas. Et il va prendre cette décision à partir de « on ne sait pas quoi », il n’y a aucun objectif qui est déterminé par le texte […]. » Mais la Ministre tient à clarifier ce point, « il n’y a pas de nouvelle structure. Cela fonctionne déjà actuellement, ce sont des professeurs. » Par exemple, quand un étudiant obtient la note de 8/20 et qu’il ne lui reste que ce cours de raté, il est crédité. Et bien, c’est le jury qui prend cette décision, pour encourager l’étudiant. « Ils font déjà le travail d’évaluation […] Les jury prennent leurs décisions en toute indépendance. Ce n’est pas aux politiques de se substituer aux équipes pédagogiques. Je pense qu’ils sont mieux placés que moi pour évaluer la trajectoire de l’étudiant, ce sont des professionnels. »

Mais concernant le manque de critère, la Ministre dit faire confiances aux professeurs pour prendre les meilleures décisions, ce que Lucas Van Molle craint être trop subjectif « s’il n’y a pas de critères objectifs, d’un établissement à l’autre ou d’une faculté à l’autre, certains étudiants vont se retrouver dans la même situation mais ne pas avoir la même décision. »

4. Des remédiations – aides à la réussite, pour les trainards

Si les étudiants ont du mal à réussir certains cours, pas d’inquiétude, les remédiations débarquent en force. Même s’il en existe déjà, elles seront cette fois-ci beaucoup plus présentes dans le quotidien des étudiants, étant donné que ceux de bac 1 qui réussissent moins de 30 crédits devront s’en acquitter. Et même si Mme Glatigny annonce que des moyens supplémentaires ont été mis à disposition pour « engager des élèves assistantes, mettre des programmes spécifiques, etc. », Lucas Van Molle en attendait plus : « La Ministre rappelle souvent qu’elle a réservé 6 millions d’euros pour l’aide à la réussite. Mais le budget de base est de 83 millions. Donc, 6 millions sur 83 millions ça reste une goutte d’eau. Et en plus, c’est 6 millions qui vont devoir être répartis entre tous les établissements et il y a plus d’une quarantaine d’établissements d’enseignement supérieur. »

Dès la rentrée prochaine, en 2022, les nouveaux étudiants seront soumis à ces nouveaux règlements. L’avenir nous dira si ces nouvelles mesures seront bénéfiques ou non, en espérant que cela puisse leur porter chance.

Ariane Kandilaptis

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