Avec la réforme, les femmes, davantage contraintes au temps partiel, verront l’inégalité en matière de pension se réduire. © getty images

Réforme de la pension légale: quelles conséquences pour les futurs retraités? (analyse)

Philippe Berkenbaum Journaliste

En juillet, le gouvernement adoptait le deuxième volet de sa réforme des pensions. Trois dossiers restaient sur la table: les conditions d’accès à la pension minimale, le bonus de pension et la revalorisation des années de travail à temps partiel. Si l’accord n’a pas encore entamé son parcours législatif, il ne devrait pas être remis en cause. Quel sera son impact pour les futurs retraités?

Régulièrement remis sur le métier pour tenter d’en assurer la viabilité à long terme, le dossier chaud du premier pilier de pension – ce qu’on appelle aussi la pension légale – a déjà fait l’objet de réformes majeures sous les gouvernements précédents. La principale d’entre elles produira bientôt ses premiers effets: il s’agit, bien sûr, du relèvement de l’âge légal de départ à la retraite, qui passera, pour rappel, à 66 ans le 1er février 2025 et à 67 ans le 1er février 2030. Il est toujours de 65 ans à l’heure actuelle.

Corollaire: les conditions d’accès à la retraite anticipée (prépension) ont également été durcies. Il faut avoir 63 ans et 42 années de carrière pour pouvoir rendre son tablier professionnel avant l’âge légal de la pension. Ou 60 ans et 44 années de carrière, ce qui suppose d’avoir commencé à travailler à 16 ans. Il n’est évidemment pas interdit d’arrêter plus tôt, mais cela aura un effet sur le montant de la pension, calculé au prorata du nombre d’années travaillées. Celui-ci ne vous sera versé qu’à partir du mois suivant celui où vous atteindrez effectivement l’âge légal de la pension. En attendant, il vous faudra disposer des moyens de subvenir à vos besoins.

La ministre concernée, Karine Lalieux (PS), table dès à présent sur de futures retombées positives du bonus pension.
La ministre concernée, Karine Lalieux (PS), table dès à présent sur de futures retombées positives du bonus pension. © belga image

L’accès à la pension minimale garantie

Un premier volet de réformes, engrangé au début de la Vivaldi, visait à relever progressivement la pension minimale obtenue au terme d’une carrière complète (45 ans). Ce minimum garanti concerne aujourd’hui plus de 800 000 personnes, soit le tiers des retraités, dont 60% de femmes. Il se calcule au prorata du nombre d’années d’activité professionnelle: si vous avez travaillé quarante ans au moment d’accéder à la pension minimale, le montant de celle-ci sera multiplié par 40/45e.

L’objectif du gouvernement est d’atteindre un plancher de 1 500 euros nets par mois en 2024, avec des augmentations intermédiaires à chaque 1er janvier. Deux relèvements ont déjà eu lieu (dont coût: deux milliards), un troisième interviendra le jour de l’an 2023 et, en janvier 2024, compte tenu de l’enveloppe bien-être et de l’indexation, le montant minimal sera d’au moins 1 680 euros nets sur base des chiffres actuellement connus. Si l’inflation perdure à des niveaux records, ce sera même plus…

Le revers de cette médaille épinglée au plastron de la gauche, c’est le durcissement des conditions d’accès à la pension minimale obtenue en juillet par la droite.

Pour avoir droit à la pension minimale garantie, il faut aujourd’hui avoir travaillé au moins trente ans, soit 2/3 d’une carrière complète de 45 ans. Ce chiffre inclut les périodes dites assimilées, pendant lesquelles on n’a pas travaillé pour cause de maladie, de maternité ou de chômage, par exemple. Un chômeur de longue durée y a droit au même titre qu’un salarié n’ayant jamais manqué un jour de boulot pendant toute sa carrière.

La réforme introduit ainsi une condition de travail effectif d’au moins 5 000 jours à temps plein ou 3 100 jours à temps partiel, à l’intérieur d’une carrière d’au moins trente ans. Cela représente environ seize ans de travail à temps plein ou vingt ans à 4/5e temps. On compte donc désormais en jours et non plus en années et ces jours ne doivent pas forcément être consécutifs (1). Cela permet de réduire les discriminations à l’égard des travailleurs à temps partiel, majoritairement des femmes dont la pension reste, en moyenne, inférieure de 30% à celle des hommes.

Qui est concerné? En pratique, ce nouveau régime commencera à s’appliquer aux personnes qui auront 55 ans à partir de 2024. Celles qui atteindront l’âge de la retraite dans les onze prochaines années ne sont donc pas concernées par cette limitation. Seront par ailleurs assimilées à du travail effectif les périodes d’invalidité, les congés de maternité ou d’allaitement et les journées consacrées à l’accompagnement de proches en soins palliatifs – des situations qui, là encore, concernent surtout les femmes. Les personnes en situation de handicap seront dispensées d’une période de travail effectif.

Le bonus de pension

Depuis sa suppression au 1er janvier 2015, il revenait régulièrement sur la table des discussions. Le voici réactivé, du moins sur papier: ce fameux bonus pension censé encourager les travailleurs à ne pas prendre de retraite anticipée une fois atteint l’âge auquel ils y ont droit (63 ans avec 42 années de carrière ou 60 ans avec 44 années).

Ouvert aux salariés comme aux indépendants et aux fonctionnaires, il devrait permettre à ceux qui continueront à travailler pendant maximum trois ans d’obtenir un complément annuel de pension de deux à trois euros par jour de travail presté. «Soit 30 à 40 euros nets par mois et par année de travail et jusqu’à 90 ou 120 euros par mois de plus pour celui qui travaille trois années de plus, jusqu’à la pension légale», avait calculé le cabinet des pensions.

En réalité, le montant exact du bonus doit encore être précisé d’ici à la fin de cette année. Il dépendait notamment de l’analyse demandée au Bureau du plan, donc du calcul de son impact budgétaire. Le verdict est tombé et il n’est guère favorable. A deux euros par jour, le bonus pension pourrait inciter 6 800 personnes à poursuivre leur activité chaque année ; à trois euros, elles seraient 10 100. Dans un premier temps, la mesure permettrait des économies mais la tendance s’inversera ensuite. En 2040, elle entraînerait un coût supplémentaire de 355 millions d’euros, selon les experts.

A charge pour la ministre des Pensions, Karine Lalieux (PS), de trouver une solution pour respecter l’équilibre budgétaire, comme la coalition s’y est engagée. Elle n’a d’ailleurs pas le choix puisque cette exigence est également posée par la Commission européenne, menaces de sanctions financières à la clé. Elle fera donc des propositions «respectant un équilibre entre recettes et dépenses mais aussi entre les trois régimes de retraite (fonctionnaires, salariés et indépendants)». Ce qui ne l’empêche pas de tabler, dès à présent, sur de futures retombées positives du bonus pension: dans l’attente de son instauration, certains travailleurs pourraient d’ores et déjà opter pour un prolongement de leur carrière, estimait-elle en présentant le mois dernier le rapport du Bureau du plan. De quoi rapporter potentiellement 37,5 millions au budget en 2023 et 75 millions en 2024.

Ce sera peut-être votre cas, si vous atteignez l’an prochain l’âge et l’ancienneté vous permettant de prendre votre prépension. Mais rien ne vous empêche de lever le pied sans passer par la case pension anticipée. Si vous avez 60 ans (voire 55 dans certains cas particuliers) et au moins 25 ans de carrière en tant que salarié, le crédit-temps de fin de carrière vous permet de travailler à 4/5e ou à mi-temps en bénéficiant d’un complément de salaire de l’Onem et en conservant vos droits à la pension. Sera-t-il cumulable avec le bonus pension? Cela reste à trancher.

Tout comme la question de savoir si pour compenser le coût budgétaire du bonus, il ne serait pas opportun d’instaurer un malus pension, comme c’est le cas dans d’autres pays européens. Le principe consiste à amputer la pension de ceux qui prennent une retraite anticipée pour les en décourager! On imagine mal un gouvernement qui s’ est accordé sur la revalorisation de la pension minimale reprendre d’une main ce qu’il a donné de l’autre…

Le travail à temps partiel

L’un des objectifs de la dernière réforme consistait à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes en matière de pension. La troisième mesure adoptée en juillet vise ainsi à revaloriser la pension de ceux, et surtout celles, qui travaillaient déjà à temps partiel avant l’existence du crédit-temps, pour pouvoir concilier vie privée et vie professionnelle – le plus souvent pour élever leurs enfants. Les femmes constituent en effet quelque 80% des travailleurs à temps partiel.

Concrètement, une personne ayant travaillé à 4/5e temps pendant maximum cinq ans avant 2002 sera considérée comme ayant presté à temps plein pour le calcul de sa pension minimale. Cela équivaudra à un complément de pension de 400 euros par an, selon la ministre, et pourrait toucher quelque 3 850 personnes. Coût budgétaire estimé: six millions à l’horizon 2040, une paille! La mesure ne devrait donc pas être remise en cause. C’est d’autant plus heureux qu’elle avait été obtenue au forceps par la ministre concernée.

(1) Une année de travail se compose de 312 jours à temps plein. Une carrière complète à temps plein de 45 ans se compose donc de 45 x 312 = 14 040 jours. Les jours de ceux qui travaillent à temps partiel sont convertis en jours à temps plein. Un travailleur ou une travailleuse à mi-temps devra donc prouver 312 jours divisés par 2 = 156 jours à temps plein.

Pas avant la fin de la législature?

L’accord entériné cet été par le gouvernement De Croo était soumis à la condition d’être budgétairement neutre. Dans un rapport remis en octobre, le Bureau du plan a calculé que les trois mesures approuvées présentent un coût supplémentaire de 0,1% pour les retraites. Il faudra donc trouver d’autres économies à l’intérieur du premier pilier. On nous confirme au cabinet de la ministre des Pensions, Karine Lalieux (PS), que le dossier devra revenir sur la table du Conseil des ministres, en décembre espère- t-elle. Et que si des arbitrages financiers devront encore être faits, en principe ils ne remettront pas en cause les mesures elles-mêmes. Une fois peaufiné et soumis à l’avis des partenaires sociaux, ce volet de la réforme pourra ensuite entamer son parcours législatif pour être voté d’ici à la fin de la législature. Les mesures qu’il contient ne devraient donc pas entrer en vigueur avant. Mais ce qui semble acquis, c’est qu’il n’y en aura pas d’autres. La réforme orchestrée par la Vivaldi restera une réformette.

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