Jules Gheude
Réfléchir à l’après-Belgique
Xavier Mabille, qui fut président du CRISP et dont le jugement sage était unanimement reconnu, écrivait en 2006, à propos de l’hypothèse de la disparition de la Belgique : hypothèse dont je dis depuis longtemps qu’il ne faut en aucun cas l’exclure.
Lors de la longue crise politique qu’a connue la Belgique en 2010-2011 (541 jours sans gouvernement de plein exercice), la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française a chargé deux de ses membres d’une mission afin d’étudier la question belge. La conclusion de leur rapport est claire : la division de la Belgique en deux groupes linguistiques de plus en plus cohérents et dissemblables rend son existence de moins en moins probable : Ce qui apparaît aujourd’hui est que le thème de la séparation est devenu une hypothèse de travail crédible pour les ‘acteurs’ de la vie politique.
Présentée par le gouvernement flamand en 2012, la « Charte pour la Flandre » (Handvest voor Vlaanderen) précise, dans son préambule, que la Flandre forme une nation. Une nation dont la N-VA, la première force politique du pays, entend bien faire un Etat souverain au sein de l’Union européenne.
Evolution semblable en Ecosse et en Catalogne. Cette dernière organisera, le 1er octobre prochain, un référendum sur l’indépendance. Si celui-ci devait s’avérer positif, la N-VA serait la première à applaudir. Mais comment réagirait officiellement le gouvernement Michel ? Affaire à suivre…
Le fossé entre le Nord et le Sud est béant, conséquence d’orientations politiques diamétralement opposées. Et bien que le nouveau gouvernement wallon MR-CDH soit susceptible de modifier la donne, il ne dispose que de très peu de temps pour engranger des résultats significatifs. Si l’irrésistible ascension du PTB en Wallonie (24,9% !) devait se confirmer lors des élections législatives et régionales de 2019, elle ne faciliterait certes pas les choses.
Olivier Maingain, le président de DéFI, déclarait récemment : La Belgique sera fédérale ou ne sera pas. Il semble perdre de vue que pour la Flandre, le fédéralisme est dépassé depuis longtemps. Voilà 18 ans -la N-VA n’existait pas encore ! – que le Parlement flamand a adopté ces fameuses résolutions d’inspiration nettement confédéraliste.
C’est d’ailleurs sur ces résolutions que repose le projet de réforme institutionnelle que Bart De Wever souhaite mettre sur la table dans deux ans : le noyau central est réduit à sa plus simple expression, avec seulement quatre compétences : la défense, les affaires étrangères, la sécurité et les finances. Tout le reste est du ressort des Etats Flandre et Wallonie. Pour ce qui est des matières dites « personnalisables », chaque habitant de la Région de Bruxelles-Capitale, indépendamment de sa langue et de son origine, devrait choisir entre le paquet flamand et le paquet wallon. Cela concerne notamment l’impôt des personnes et le système de sécurité sociale.
Si les francophones devaient s’opposer au projet confédéral en 2019, le Royaume pourrait être dans l’impossibilité d’obtenir un nouveau gouvernement. Prenant acte de ce blocage, la Flandre pourrait alors user de la légitimité démocratique de son parlement, pour décréter unilatéralement l’indépendance.
L’avenir post-belge de la Wallonie
Dans leur grosse majorité, les Wallons se sentent avant tout Belges, comme l’a indiqué un récent rapport de l’Iweps. On ne décèle, en effet, aucun sentiment national wallon.
Mais s’ils se voyaient largués par la Flandre, à leur corps défendant, ils devraient bien se déterminer quant à leur avenir
Le WalloBrux
Un sondage réalisé par « RTL-Ipsos-Le Soir » en 2013 indique que 61% d’entre eux souhaitent s’associer à Bruxelles pour former une Belgique résiduelle. Mais ce WalloBrux apparaît comme une illusion lorsqu’on apprend que 68% des Bruxellois se prononcent clairement pour une Région bruxelloise indépendante.
Les Bruxellois tiennent clairement à sauvegarder leur spécificité. Ils pourraient donc s’organiser en Ville-Etat, siège des institutions européennes et internationales.
Un Etat wallon indépendant
On a procédé, au départ des chiffres de 2012, au partage de la dette publique belge entre les Régions au prorata du Produit Intérieur Brut. Le constat, pour la Wallonie, est alarmant : elle présente un déficit public par rapport au PIB supérieur à celui de la Grèce en 2009. On n’ose imaginer les mesures draconiennes qui devraient être prises. Elles seraient d’une telle ampleur qu’il en résulterait un bain de sang social.
L’union-intégration à la France
Ne reste plus alors que l’option française. Non pas une assimilation, qui serait impossible, du moins dans un premier temps.
Les activités du Gewif (Groupe d’Etudes pour la Wallonie intégrée à la France – www.gewif.net), fondé en 2010, reposent sur une union-intégration de la Wallonie à la France, avec un statut particulier. La Constitution française autorise, en effet, des cadres institutionnels divers pour les collectivités territoriales qui présentent une réelle spécificité. On pourrait ainsi combiner le maintien des outils d’auto-administration de la Wallonie et de l’héritage juridique belge avec la solidarité nationale française, garante des systèmes sociaux et des services publics.
Le constitutionnaliste français Didier Maus a reconnu la faisabilité d’un tel projet.
Les Français seraient-ils d’accord ?
Le général de Gaulle s’était dit convaincu que seule leur prise en charge par la France peut assurer un avenir à votre trois à quatre millions de Wallons (propos tenus à Robert Liénard, à la fin des années 60).
Depuis lors, de nombreuses personnalités françaises, de tous bords, se sont exprimées de manière positive sur ce sujet.
Pour Jacques Attali, l’ancien conseiller du président François Mitterrand : Le prix à payer pour la France serait sûrement plus faible que ce que cela lui rapporterait (voir son blog du 9 septembre 2008).
Avec la Wallonie, la France gagnerait – de manière tout à fait pacifique – un accroissement territorial et démographique, qui lui permettrait de réduire sensiblement le différentiel avec l’Allemagne. Cela aurait aussi une incidence positive au niveau des votes à l’Union européenne. La Wallonie occupe, en outre, une position géographique stratégique. Ses ressources naturelles, ses voies navigables, ainsi que ses infrastructures autoroutière, ferroviaire et aéroportuaire constituent des atouts importants. Sans oublier la richesse de sa création culturelle et artistique, ses entreprises de pointe, sa main-d’oeuvre qualifiée, ses chercheurs, ses universités et hautes écoles… La mariée, comme on dit, ne viendrait pas les mains vides !
A propos de la reprise de la dette wallonne par la France, Jules Gazon, professeur émérite d’Economie de l’ULg, explique : Le PIB de la France « augmentée » de la Wallonie serait égal à 24 fois le PIB wallon. L’amplitude des effets en termes de déficit public et de dette publique par rapport au PIB serait divisée par 24. Elle serait marginale.
Il va de soi qu’un double référendum (un en France, l’autre en Wallonie) devrait être tenu sur la question.
Selon un sondage « Ifop / France-Soir » réalisé en 2010, 66% des Français (75% dans les régions frontalières) avaient répondu positivement.
Un autre sondage réalisé en 2008, conjointement par « Le Soir » et « La Voix du Nord » avait fait apparaître qu’en cas de disparition de la Belgique, 49% des Wallons feraient le choix de la France. Mais, comme nous l’avons vu plus haut, la situation économique précaire de la Wallonie devrait faire pencher définitivement la balance au nom de la raison.
Et les germanophones ?
Aujourd’hui, ils font partie intégrante de la Région wallonne, mais ils affirment de plus en plus distinctement leur identité. En cas de disparition de la Belgique, ils devraient donc avoir la possibilité de se prononcer à part.
Dernier livre paru : « Un Testament wallon – Les Vérités dérangeantes », Mon Petit Editeur, 2016. La version néerlandaise est parue chez « Doorbraak Boeken », avec une préface du politologie Bart Maddens de la KU Leuven.
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