Pierre Hazette
Réactionnaire ! Pourquoi pas ?
C’est une chose bien étrange que l’opinion publique. Sa sévérité est à géométrie variable. Elle est fascinée par les gains des vedettes du sport, de la scène ou de l’écran. En revanche, elle n’a pas de mots assez cinglants pour stigmatiser les indemnités légalement perçues par ses représentants démocratiquement élus dans les enceintes parlementaires.
Le gardien de but de l’équipe nationale de football diffère le moment de signer la prolongation de son contrat dans le club londonien de Chelsea. Il lui est promis 250 000 € PAR SEMAINE, soit 13 millions d’€ par an.
Ses coéquipiers Diables Rouges s’illustrant dans le championnat anglais doivent se situer dans les mêmes eaux aux reflets dorés. La presse publie régulièrement des informations précises sur ces rémunérations et elle va parfois chercher, dans le championnat chinois, d’autres points d’exclamation.
Il faut, en revanche, un héritage contesté pour que le voile se lève sur la fortune accumulée par le rocker français récemment décédé. Aucun étonnement ne se perçoit dans l’opinion devant la hauteur des droits promis à l’héritière, mais l’émotion se soulève devant le sort qui frappe les enfants premiers-nés.
L’émotion est vive aussi lorsque la caméra nous renvoie, semaine après semaine, le sourire ironique de Stéphane Moreau :
« Comment ? Ce type se payerait d’un million d’€ par an ! C’est scandaleux »
Peu importe qu’il assure du travail à quelque trois mille salariés ou appointés.
Trop, c’est trop.
S’il courait derrière l’argent, il lui suffisait de s’affilier au Standard et de suivre Van Buyten ou de précéder les Defour, Fellaini et Witsel ou bien, mieux en rapport avec son physique avantageux, d’empoigner une guitare et de se déhancher sur les scènes toujours en quête de talents audacieux. Là au moins, il se serait rempli les poches et aurait été acclamé.
Qui plus est, il aurait pu, en pleine gloire, se domicilier à Monaco sans émouvoir quiconque.
C’est bien ce qu’il y a d’étrange dans l’opinion publique : sa sévérité est à géométrie variable. Elle est fascinée par les gains des vedettes du sport, de la scène ou de l’écran et s’inquiète peu de savoir quelle part en revient à l’Etat belge, l’Etat des gens qui les adulent.
En revanche, elle n’a pas de mots assez cinglants pour stigmatiser les indemnités légalement perçues par ses représentants démocratiquement élus dans les enceintes parlementaires.
Il souffle sur les parlements un mauvais vent qui agite les foules.
Les élus en sont conscients : ils ont réduit leurs indemnités, ont abîmé leur régime de retraite, ont sacrifié ou vont sacrifier l’exercice parallèle d’une fonction exécutive au niveau communal.
Est-ce raisonnable ?
L’indemnité brute d’un parlementaire belge est de 87 000 € par an ; elle est de 125 000 € en Italie, de près de 122 000 € en Autriche, de 109 000 € en Allemagne. Il ne se révèle pas de démesure dans le système belge.
Le système de retraite qui vient d’être réformé tenait compte de la périodicité des scrutins : le mandat électif s’achève ou se renouvelle tous les cinq ans. Cette précarité avait inspiré un régime de retraite moins exigeant en nombre d’années de cotisations. Cette prise en compte a été abandonnée.
Quant au cumul des mandats de parlementaire et de bourgmestre ou échevin, dès lors que la rémunération des deux fonctions n’excédait pas 150 % de l’indemnité parlementaire, il était défendable pour une raison essentielle. Le mandataire communal est, par obligation, proche des citoyens. Il en saisit les attentes, il en défend les intérêts. Le risque est énorme que les assainissements budgétaires qui seront l’obligation permanente de nos gouvernants ne glissent du niveau fédéral ou régional vers les communes dont plus aucun représentant ne fera entendre une voix, autorisée par l’expérience, au sein des assemblées.
Il faut maintenant poser la question : l’indemnité parlementaire est -elle trop élevée ?
Pour rappel, elle se situe dans la moyenne des parlements des Etats membres de l’Union européenne. Elle met le député à l’abri de la tentation de s’investir dans d’autres activités lucratives ; elle ne constitue pas pour autant une offense au sens commun. Elle vient en reconnaissance de l’engagement le plus noble qui soit dans une démocratie : le service de l’intérêt général. Qu’on le sache : c’est un service sans limite de temps.
Au-delà des mots, il faut reconnaître le travail qui consiste à déceler les vices de fonctionnement de l’Etat ou de la Région, d’en faire une interpellation ou une proposition de loi ou de décret, d’analyser les projets du gouvernement, de s’exprimer en commission puis en séance publique, de se mettre à la disposition des gens, si souvent perdus dans le labyrinthe de nos lois, décrets ou règlements.
Il est inadmissible et, de surcroît, éminemment dangereux de dénigrer le mandat parlementaire par un amalgame stupide entre l’exercice de la fonction de député et les errements inacceptables commis dans les intercommunales ou des asbl politisées. On ne peut endosser à tous les indélicatesses commises par l’un ou l’autre.
La démocratie représentative reste, dans la forme qu’on lui connaît, l’expression la plus élaborée et la plus rassurante d’un régime qui garantit la liberté d’expression et d’information, la liberté de conscience et la liberté d’entreprendre.
Les mouvements citoyens expriment une sensibilité bien venue à l’égard des problèmes de société, mais la légitimité appartient encore aux élus de la Nation, qui, pour mériter ce titre, ont sollicité et obtenu la confiance du peuple souverain.
Bon Dieu ! Que le mandat de député était beau quand il suscitait le respect !
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