Raoul, ma poule
Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB depuis 2005, est devenu président du parti. Il incarne à lui seul la formation d’extrême gauche. C’est donc à ce Liégeois, adoubé pour son sourire enjôleur et son engagement rageur, que le parti doit sa percée spectaculaire. Bien joué.
Le marxisme n’est pas soluble dans la crème fraîche. Tranquille, Raoul Hedebouw finit de lécher sa petite cuillère avant de la reposer à côté de son café. On peut être friand à la fois de lutte des classes et de waterzooi. Ainsi vit le porte-parole du PTB, visage le plus connu du parti du côté francophone. Lorsqu’en 2005, après des années de réflexion et las de son microscopique succès, le parti, toujours unitaire, a décidé de revoir sa stratégie et sa communication, la figure Hedebouw s’est imposée pour porter la stalinienne parole en terres francophones. « Raoul a naturellement pris la fonction et le parti l’a adoubé », confirme Robert Halleux, ancien du PTB passé au PC.
Communiquer est dans sa nature. A croire que, penchées au-dessus de son berceau, il y avait, outre celle de Lénine, l’ombre de sa future idole, Coluche. Chaleureux, jovial, sympathique, l’homme a une tendresse pour les gens. « A l’école, on n’était pas toujours d’accord mais tout le monde l’aimait bien », se souvient le pianiste Alberto Di Lena, l’un de ses amis. Complices des blagues potaches d’alors, ils n’étaient pas les derniers à débrancher les appareils du labo de physique.
Les qualités de rassembleur de Raoul Hedebouw ont émergé vers la fin de son adolescence, lors des grèves dans l’enseignement, en octobre 1994. Avec d’autres, il mène l’action à l’athénée royal de Herstal pendant six semaines. Dont coût théorique : 30 points retirés de sa cote de conduite pour « manifestation non autorisée ». Dans l’heure, par solidarité, la quasi-totalité des élèves de rhéto font la file devant le bureau du proviseur pour obtenir la même sanction. Le brave homme renoncera. Ainsi apprend-on à construire un rapport de forces…
Elevé par des parents syndicalistes de la CSC (et flamands), Raoul Hedebouw en sait déjà un bout sur la question. Son père, Hubert, militant totalement dévoué au PTB, a arrêté ses études universitaires de psycho pour devenir ouvrier dans la sidérurgie et a déménagé du Limbourg vers Liège pour servir la cause. Issu de ce terreau, Raoul ne peut qu’être dégoûté à tout jamais du PS lorsqu’en 1996, Laurette Onkelinx, alors ministre de l’Enseignement, sabre dans les effectifs des enseignants.
A l’époque, il veut être prof et syndicaliste. Il entame, à l’ULg, des études en sciences botaniques. Il termine chaque année avec « les plus grandes satisfactions personnelles », sourit-il. C’est qu’il n’y a pas que les études, dans la vie. Raoul est fan du groupe américain Rage against the Machine et de musiques du monde, il fréquente assidûment le Carré, haut-lieu festif et bibitif de la cité ardente, et les potes sont tellement nombreux !
L’art du calepin
Au milieu des années 1990, les Forges de Clabecq sont en faillite. Roberto D’Orazio prend la tête de la contestation syndicale. Le 2 février 1997, une marche rassemble 70 000 personnes à Clabecq. Sur le podium, c’est Raoul Hedebouw, 20 ans tout juste et parfait bilingue, qui traduit les discours. Aujourd’hui encore, il en a des frissons.
Dès lors, sa formation politique se précise. Après un séjour humanitaire de deux ans à Kinshasa, en même temps que Ludo Martens, précédent président du PTB, il rentre au pays. « Quand j’ai vu que le parti devenait moins sectaire, je me suis dit que je pourrais peut-être y poursuivre le même objectif que dans un syndicat. » Il y entre officiellement en 2005, section Liège. Puis franchit les étapes pour devenir cadre. Il apprend vite. « C’est surtout de l’autoformation », assure-t-il. Pas seulement. Le parti encadre scrupuleusement la préparation de ses chefs de file. Les auteurs marxistes et leur analyse politique ne doivent avoir aucun secret pour eux. « Depuis 2004, le PTB s’est ouvert à des lectures plus larges, comme l’économiste Thomas Piketty », assure l’intéressé.
La machine « Raoul » est en marche. Et avec elle, le PTB tout entier qui, en 2008, réforme ses statuts. Le parti reste marxiste mais arrondit les angles, au moins dans la forme. En dehors, ils sont peu à croire que sa pensée politique, son objectif et ses méthodes ont vraiment changé. « Je ne dirais pas de mal de ce jeune homme talentueux, dont la ferveur est incontestable, glisse la libérale liégeoise, Christine Defraigne, mais il masque la dangerosité de l’idéologie qu’il prône. C’est un édulcorant. » Raoul, chargé de la « porte-parolité », construit la fonction, inexistante jusqu’alors, et sans comparaison dans le monde politique. « Il est l’incarnation des militants, pas le communicateur », insiste Robert Halleux. Dans les autres partis, ce sont les présidents qui s’en chargent. Joue-t-il le rôle de ponceuse, contraint de polir le discours rouge vif jusqu’à l’acceptable ? Tout l’indique, et notamment cette insistance à parler de gauche radicale, plutôt qu’extrême.
Ses armes principales ? La tchatche et le terrain. Il est de toutes les manifestations, de toutes les actions en entreprise, de toutes les réunions d’associations. Dans les cafés, il sème un discours simple et accessible. Peu à peu, il tisse son réseau, notamment dans les structures syndicales. « Il passe bien dans les assemblées et chez les délégués, confirme un patron de régionale CSC. Jamais dogmatique, il soutient inconditionnellement les équipes. »
Militant 24 heures sur 24, Raoul Hedebouw ne quitte pas son calepin, dans lequel il note tout et surtout les anecdotes de la vraie vie, toujours utiles à placer. Sa mémoire est étonnante, son rire aussi. Il tutoie et embrasse en un rien de temps tout humain qu’il croise, même les politologues. « Il est remarquable pour tisser des liens en moins de deux minutes, relève un homme politique liégeois. C’est du Michel Daerden. » Il est d’ailleurs parvenu à ce que tout le monde l’appelle Raoul, tout court. Presque une marque. Ce qui lui pèse. « L’idéal serait que le PTB soit visible sans moi. » Car s’il est l’artisan du personnage qu’il a construit lui-même au fil des ans, il en est peut-être aussi devenu un peu l’otage. Les débats le stressent, avoue-t-il. Et la pression des gens qui le remercient de leur avoir rendu espoir l’angoisse. Mais puisque le parti compte sur lui, il continue. Dans une structure où parler en off d’un « camarade » est inimaginable.
Direct, attentif à discerner le message essentiel à transmettre, Hedebouw comble à lui tout seul le fossé qui sépare les citoyens du monde politique. « Il est parti d’une petite base militante qu’il a fait grandir grâce à un discours médiatique porteur, systématiquement à contrepied des partis traditionnels », résume le député CDH liégeois Benoit Drèze. Et mitonné à l’accent de Herstal, ce qui ne gâche rien.
« Après les figures austères dont le PTB était coutumier, Raoul Hedebouw présente une image sympa, relève le politologue de l’ULB Pascal Delwit. Il n’en est pas l’un des hommes les plus forts, mais l’incarnation. » En 2014, il n’était pas présent lors des consultations royales d’après élections fédérales. Seuls Peter Mertens et David Pestieau, président et vice-président du parti, se sont rendus au palais. Raoul n’a pas davantage été reçu par Paul Magnette, président du PS, lors des discussions préalables à la formation du gouvernement wallon. Que le PTB ne l’y ait pas envoyé est remarquable. « La discipline de groupe au PTB passe par une très importante discrétion, relève le député socialiste Ahmed Laaouej. Si Raoul n’est pas déterminant dans le parti, il doit en tout cas être influent. »
Un homme pressé
Dans les manifestations, le PTB installe systématiquement un podium sonorisé, sur lequel, pendant des heures, son porte-parole, ancien DJ, harangue la foule. « Il se scénarise, relève Muriel Gerkens, députée Ecolo liégeoise. Il répète en boucle trois ou quatre phrases types, dans un discours simplificateur qui trompe la population. Et il le sait très bien. Mais ça marche parce que la population est effarée par l’austérité. »
Ça marche, ah ça, oui ! Jusqu’en Flandre. Impatient, Raoul Hedebouw estime qu’il n’y a pas une minute à perdre pour contrer le néolibéralisme et l’extrême droite, qui menacent l’Europe. « Il est rapide, glisse le pétébiste Tom De Meester. Au bureau de parti, c’est parfois dur de le suivre. » Intuitif, habile à sentir qui sont les acteurs et où sont les enjeux, il structure sa pensée comme un scientifique. Ce coureur de fond à l’agenda trop étroit bouillonne, très préoccupé par la construction du succès électoral. Alors peu lui importe qu’on lui reproche de se muer en cache-sexe pour un parti dont les valeurs et les pratiques peuvent hérisser : Raoul est efficace.
Au conseil communal de Liège, où il siège depuis 2012, il se présente d’ailleurs souvent avec de solides bottines, comme s’il était en permanence sur pied de guerre. En coulisses, il s’appuie sur des collaborateurs dont il exige tout : écrire n’est pas son fort. En séance, il se lève pour prendre la parole, ce qui est contraire aux usages. « Pour que les gens m’entendent », se défend-il. « Quand il intervient, ce n’est jamais dans l’intérêt du dossier ou de Liège mais pour mettre en avant la doctrine du PTB, pointe un socialiste liégeois. Il se fout de la réponse. Ce qui l’intéresse, c’est de poser la question. »
Il lui est arrivé de faire venir un cameraman et de se faire filmer pendant ses interventions. « Il ne respecte pas les règles du jeu, affirme une écologiste. On lui avait demandé de ne pas arriver en séance avec des associations qui allaient faire du chambard. Il a répondu au bourgmestre, Willy Demeyer, qu’il ferait entrer la rue dans la salle du conseil, que ça lui plaise ou non. » Les relations entre les deux hommes sont notoirement tendues. Leurs échanges de tweets, durant le conseil, n’ont rien d’une longue Meuse tranquille. L’un et l’autre se souviennent fort bien du slogan du PTB lors du dernier scrutin communal : « Désolé Willy, cette fois-ci, je vote à gauche ! »
Et sur le fond ? « Raoul marque rarement des points, répond un autre conseiller communal. Il est approximatif, sa connaissance des dossiers est très relative, et il est sans cesse dans les procès d’intention. Alors il se fait remettre à sa place, et il en joue. » « Son analyse peut avoir ses limites mais il s’en moque parce que ce qui compte, c’est de prendre le point à l’applaudimètre », embraie Bénédicte Heindrichs, conseillère écolo. Hedebouw est aussi soucieux de ne pas apparaître publiquement comme en cheville avec les autres partis. Il est, du coup, très difficile d’arriver à un accord avec lui.
Tchantchès du kop
Au Parlement fédéral, où il siège avec son complice Marco Van Hees pour un salaire mensuel limité à 1 500 euros, le solde allant au parti, Hedebouw n’agit pas autrement. Il s’adresse directement aux caméras. « Il n’est pas au Parlement pour faire de la politique mais pour porter la voix des gens dans l’hémicycle, détaille Tom De Meester. Il a une haine profonde de la classe politique et de son hypocrisie. » « Je n’ai pas de collègues, je n’ai que des camarades, embraie le député du PTB. D’ailleurs, humainement, je ne me sens pas bien à la Chambre : c’est l’instrument de l’élite politique et humaine. » Ce qui ne l’empêche pas de plaisanter avec les uns et les autres à la cafétéria.
Rarement présent en commission, sauf si les caméras y sont, le Herstalien est davantage dans la critique que dans la proposition. « A part la taxe des millionnaires, où sont les projets du PTB ? », s’interroge un élu. L’homme joue sur les « coups » médiatiques. « C’est de la communication offensive populaire », réplique-t-il. Comme lorsqu’il interroge le système qui permet à des députés de prendre leur pension à 55 ans, alors que tous les salariés du pays ne pourront le faire qu’à 67. Un coup préparé de longue date par l’équipe du PTB. « Raoul n’est qu’une marionnette aux mains de son président, un Tchantchès », tranche un écologiste. « Il confond politique et kop du Standard », assène un socialiste liégeois. En fait, il n’assume pas la fonction de député, sauf dans sa dimension tribunicienne.
Quand il n’en peut plus de tout cela – il exclut de devenir un jour président du parti -, Raoul Hedebouw part marcher en forêt, seul lieu où il se ressource. Où il peut se permettre d’être lent et d’écouter les oiseaux. Le rouge-gorge a la préférence de ce grand émotif, qui sera père en août. Le temps passe. Quand il était enfant, Raoul, piètre mais riant joueur de foot, ne montait au jeu que lorsque son équipe menait 7-0. Hors des terrains, désormais, c’est l’inverse. C’est lui qu’on aligne pour faire basculer le match.
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