Ramener l’obligation scolaire à 16 ans? «Une forme de mépris ou de démission les jeunes en difficulté»
Roberto Galluccio, ancien acteur de l’enseignement provincial et communal, aujourd’hui administrateur à la Ligue de l’Enseignement, s’insurge contre l’idée d’une scolarité obligatoire ramenée à 16 ans qui n’aurait d’autre but que de fournir aux entreprises «une main-d’œuvre peu qualifiée et bon marché».
Libérer plus tôt un jeune de l’école, que vous inspire cette suggestion?
Je la relie à une volonté, bien présente en Flandre, de se désengager de l’enseignement qualifiant au motif qu’il pose problème. Il existe au nord du pays une sorte de «bashing» à l’égard de ce qu’on y appelle les «écoles noires», les filières d’enseignement professionnel et en alternance qui accueillent un public en manque de motivation. On en conclut que ce public scolaire-là tire vers le bas les scores de performance affichés par l’enseignement flamand dans les évaluations internationales comme Pisa (NDLR: classement organisé par l’OCDE).
D’où la tentation de se débarrasser des «mauvais élèves» en les autorisant à quitter l’école dès 16 ans?
Ce type de réflexions est aussi lié à la situation de quasi-plein emploi d’une Flandre confrontée à une pénurie de personnel peu qualifié. Réduire la durée de l’obligation scolaire dégagerait un énorme potentiel de jeunes infrascolarisés, donc infrasalariés, susceptibles de répondre à des besoins immédiats en main-d’œuvre à bon marché. Ce n’est pas un hasard si c’est un expert attaché à l’OCDE, organisme à vocation commerciale, qui prône cette approche adéquationniste par ailleurs conforme au credo nationaliste flamand.
Ce genre de question ne gagnerait-il pas à être posée dans l’espace francophone?
Non, elle ne se pose pas hormis l’un ou l’autre ballon d’essai lancé de temps à autre par un politique. Abaisser l’obligation scolaire à 16 ans signifierait une régression pour l’enseignement de la Communauté française, où l’on investit énormément dans une réforme systémique. Réforme du qualifiant pour éviter d’en faire une filière de relégation, introduction du tronc commun (NDLR: nouveau parcours d’apprentissage de la 1re maternelle à la 3e secondaire), renforcement de la filière en alternance. On y considère la formation scolaire en technique et en professionnel comme une formation humaniste qui doit permettre au jeune d’y trouver de quoi orienter ses choix de vie sans se retrouver un jour coincé dans le monde du travail sans autre issue possible, cela parce qu’on l’y aurait poussé précocement. L’obligation scolaire jusqu’à 18 ans fait office de garde-fou pour un jeune qui ne possède pas encore les outils suffisants de certification. La formation en entreprise n’est pas non plus sans danger lorsqu’une entreprise en difficulté recourt au personnel comme variable d’ajustement. C’est alors le jeune, seulement détenteur d’un certificat d’études de base (CEB) à la sortie du primaire, qui en fait les frais.
Inutile d’ouvrir ce genre de discussion qui relève d’une forme de mépris ou de démission envers une catégorie de jeunes en difficulté.
Mais à quoi bon maintenir jusqu’à 18 ans un jeune réfractaire à l’école? Ne faut-il pas prendre acte d’un constat d’échec dans la lutte contre le décrochage scolaire?
Je pourrais éventuellement être d’accord avec ce genre de raisonnement si la Fédération Wallonie-Bruxelles n’avait pas mis en place un dispositif de lutte contre le décrochage scolaire. Une réforme de la formation initiale des enseignants vise à mieux les outiller face à un public scolaire plus difficile à «manier». En quoi ramener l’obligation scolaire à 16 ans changerait positivement la situation des Neets, ces jeunes qui ne sont ni à l’école, ni en formation, ni à l’emploi? Inutile d’ouvrir ce genre de discussion qui relève, à mes yeux, d’une forme de mépris ou de démission envers une catégorie de jeunes en difficulté.
Ne faut-il pas en finir avec une certaine sacralisation du parcours scolaire? Un lieu de travail ne peut-il pas être plus motivant pour un jeune qu’une salle de classe?
L’enseignement, c’est bien davantage que le monde du travail. Dialoguer avec ce monde ne doit pas signifier être à son service. L’école a pour vocation d’outiller suffisamment les jeunes pour en faire des citoyens, davantage que de produire des travailleurs infraqualifiés et infradiplômés.
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