Radicalisation: l’avenir incertain des cellules de prévention
En réponse à la montée du radicalisme chez les jeunes, des cellules de prévention ont vu le jour dans les communes. Mais les subsides ne suivent plus toujours et d’autres priorités sont apparues.
Largement sous-estimé avant les attentats, le problème de la radicalisation est devenu, après 2015, un sujet de préoccupation majeur. De toute évidence, on était passé à côté de quelque chose, on n’avait pas mesuré la frustration, la colère et le désespoir qui rongeaient les jeunes « des quartiers » de Bruxelles, Vilvorde ou Anvers, ni le danger qu’ils pouvaient représenter. Dans les écoles, les familles, les clubs de sport ou les associations locales, on s’était étonné des changements d’attitude ou de la disparition soudaine de certains, mais de là à les imaginer avec une ceinture d’explosifs autour de la taille…
Les travaux de la commission parlementaire sur les attentats de Bruxelles ont mis en évidence le cruel manque d’outils de détection et de programmes de prévention. Dans ses conclusions, elle avait insisté sur l’importance de mettre en place des mesures pérennes et de développer des projets soutenus par les pouvoirs publics – sans préciser lesquels – sur le long terme.
La création des CSIL-R, les cellules de sécurité intégrale locales centrées sur le radicalisme, est l’une de ces mesures emblématiques. Rendues obligatoires dans chaque commune, ces plateformes réunissent les divers services et les acteurs impliqués dans la prévention et le suivi de la radicalisation et ont pour vocation de « prévenir les infractions terroristes ». Des cellules hybrides, réunissant les bourgmestres et les chefs de corps et où circulent des informations sensibles ou confidentielles, que les associations de défense des droits n’ont jamais vues d’un très bon oeil.
L’une de ces associations, le Comité T, le Comité de vigilance en matière de lutte contre le terrorisme, suit de près l’évolution de ces cellules. En janvier 2019, 347 communes (dont une majorité en Flandre) sur les 589 que compte la Belgique, possédaient déjà une CSIL-R. Fin 2020, on en dénombrait 423. Cette augmentation significative est due notamment à l’appel à projets « Radicalisme » lancé au mois de mai 2019 par la Région wallonne pour un budget d’1,5 million d’euros.
Signalements en baisse
Après la débâcle de l’Etat islamique en Syrie et en Irak et la mort de son leader, Abou Bakr al-Baghdadi, les signalements de personnes présumées radicalisées ou de départs ont été nettement plus rares. Le démantèlement des réseaux terroristes en Europe a aussi contribué à faire baisser le niveau de la menace. Puis sont apparus les premiers cas de Covid-19, reléguant au second plan toutes les préoccupations sécuritaires.
Près de trois ans après leur apparition, quel rôle jouent encore ces CSIL-R et par qui sont-elles financées? Certains postes initialement subsidiés par les pouvoirs fédéraux ou régionaux ne le sont plus aujourd’hui. Le financement est à présent assuré, partiellement ou intégralement, par les communes elles-mêmes, voire par plusieurs communes voisines. C’est par exemple le cas pour le Val de Sambre (qui englobe Sambreville, Jemeppe-sur-Sambre et Sombreffe) qui, depuis les derniers attentats, n’a plus rien vécu en termes de terrorisme sur son territoire. Sa CSIL-R a dès lors étendu ses activités à toutes les formes de violence et d’extrémisme violent et à leurs canaux de propagation tels que les fake news et les discours haineux sur le Web.
La défiance envers l’autorité, couplée à un complotisme qui semble s’être démocratisé… tout cela peut avoir un impact sur des radicalités différentes.
Gérer l’après-Covid
Mais d’une commune à l’autre, le suivi des dossiers peut peser différemment sur le budget. A Verviers, d’où provenaient plusieurs terroristes de l’Etat islamique, on a dû faire une croix sur l’enveloppe régionale après 2019 alors que l’entité compte toujours quelques profils problématiques et que les équipes de la Ville assurent toujours le suivi de jeunes radicalisés en collaboration avec le service de la protection de la jeunesse (SPJ) et les maisons de justice.
« Le projet a été créé grâce à des subsides débloqués par le fédéral. En 2019, on avait reçu le feu vert de la Région wallonne qui allait prendre le relais pour financer la CSIL-R. On comptait vraiment dessus, d’autant qu’on avait reçu une évaluation très positive. Et puis… rien. Depuis, on fonctionne sur fonds communaux », retrace Sophie Albert, coordinatrice de la cellule et responsable du Service d’accompagnement des familles et de l’entourage en matière de radicalisme (SAFER). Un financement d’autant plus attendu que la cellule doit rester attentive à la montée de l’extrême droite et aux potentielles conséquences de la crise sanitaire.
Michael Dantinne, docteur en criminologie et spécialiste des questions de terrorisme (ULiège), attire également l’attention sur les conséquences, encore inconnues, de la crise sanitaire et du confinement sur les jeunes. « Il est aujourd’hui impossible de déterminer quel pourrait en être le poids à court, moyen et long termes. Cet impact pourrait aller de nul à majeur: le temps passé devant les écrans, la nécessité de faire sens à la Covid 19 et, surtout, la défiance envers ce qui incarne l’autorité au sens large, couplée à un complotisme qui semble s’être démocratisé… tout cela peut avoir un impact sur des radicalités différentes, et parfois convergentes. »
Confrontée dans une plus large mesure que la Wallonie aux départs de djihadistes vers la Syrie, la Région flamande n’a pas attendu la fin de la crise sanitaire pour réinvestir dans la prévention. Trente-trois communes dont Anvers, Malines et Gand vont bénéficier de subsides pour embaucher de nouveaux fonctionnaires spécialisés dans la prévention du radicalisme et de l’extrémisme.
En réponse à une question parlementaire, le ministre wallon des Pouvoirs locaux, Christophe Collignon, a assuré début juillet que l’appel à projets serait renouvelé. Pas en vue de créer de nouvelles CSIL-R mais pour soutenir des projets particuliers ayant un « réel impact sur le terrain ».
La Région de Bruxelles-Capitale continuera, elle aussi, à financer des actions spécifiques. Récemment, un appel à projets (pour un montant de 3,5 millions) a été lancé dans le cadre du plan global de sécurité qui comporte plusieurs thématiques, dont la polarisation et le radicalisme. Un appel qui ne concerne que les associations et non les organes communaux. Néanmoins, Bruxelles prévention et sécurité (BPS) finance toujours, pour le compte de la Région, les référents radicalisme des CSIL-R dans neuf communes bruxelloises.
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