Radicalisation dans les prisons belges: un phénomène encore mal connu
Les séjours en prison de Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, deux des trois auteurs des attaques ayant secoué la France la semaine passée, auraient joué un rôle déterminant dans leur radicalisation religieuse, selon les premiers éléments de l’enquête.
En Belgique, les informations demeurent floues quant à l’étendue du phénomène, et les différents acteurs du milieu carcéral ont des conceptions parfois divergentes de la réalité.
Le ministre de la Justice, Koen Geens, annonçait lundi vouloir effectuer une « répartition judicieuse » des détenus entre les différentes prisons du pays, prenant en compte les risques de radicalisation religieuse. Un appel relayé mardi par le Premier ministre Charles Michel devant la Chambre, faisant également référence au danger que représentent les détenus influençables lorsqu’ils sont à la merci de djihadistes prosélytes.
Mercredi, le PS, plus gros parti d’opposition à la Chambre, demandait que des actions immédiates et des mesures à moyen terme soient entreprises afin que la prison cesse d’être « un lieu d’endoctrinement et de recrutement » pour les mouvements terroristes, selon les mots d’Elio Di Rupo. Le monde politique belge a pris le problème de la radicalisation dans les prisons à bras-le-corps, mais le phénomène demeure pourtant assez mal connu. « Nous disposons de très peu d’informations à ce sujet », indique Delphine Paci, président de la section belge de l’Observatoire international des prisons. « Il y a effectivement une série de personnes incarcérées pour djihadisme, mais elles sont le plus souvent placées sous un régime strict et isolées des autres détenus », observe-t-elle. « Il ne faut pas minimiser le phénomène, mais pas le monter en épingle non plus. »
Elle déplore le manque de conseillers religieux en milieu carcéral. Ceux-ci pourraient effectivement jouer un rôle positif dans la résolution de ce problème, notamment lorsqu’il concerne des personnes issues de milieux défavorisés et/ou peu instruites.
Huit conseillers islamiques
Selon un aumônier de confession musulmane, il n’y a actuellement que huit conseillers islamiques pour les seize établissements pénitentiaires de Wallonie et de Bruxelles. « Nous sommes débordés », indique-t-il sous couvert de l’anonymat. « Idéalement, il nous faudrait pouvoir nous entretenir deux à trois heures avec les détenus en situation difficile. Mais nous devons nous contenter d’une demi-heure à une heure dans la plupart des cas. »
Les prisons ne constituent pas un terreau particulièrement propice pour l’islamisme radical, estime le conseiller. « Il y a de la colère et de la vengeance chez certains détenus, et une partie d’entre eux peut menacer de se tourner vers le djihadisme. Mais ce sont d’abord des personnes perdues qui ont besoin d’un port d’attache. » Il arrive ainsi que des prisonniers fassent preuve de zèle religieux pendant leur détention, mais cela n’en fait pas des djihadistes pour autant selon lui.
« C’est à l’extérieur de la prison que les choses peuvent dégénérer. » Un point de vue que ne partage pas complètement Claire Capron, de l’Association des visiteurs francophones de prison en Belgique. « C’est un phénomène réel, mais on ignore dans quelle mesure. » Elle opère néanmoins une distinction entre les fondamentalistes convaincus et les « caïds qui veulent se mettre en valeur ». « Certains veulent uniquement ameuter les plus faibles et les plus désespérés en se faisant passer pour des héros. »
Didier Breulheid, délégué permanent CSC Services publics, estime également qu’il y a des détenus ayant des profils à risque. Si un meilleur encadrement est nécessaire, augmenter le nombre de conseillers religieux ne constitue pas la panacée non plus. « Il y a des bons aumôniers, et des moins bons… », concède-t-il, ajoutant que les nouveaux conseillers doivent notamment obtenir une agrégation de la Sureté de l’Etat.
Le risque qu’un détenu bascule dans le radicalisme est réel, mais la mauvaise influence sur les détenus n’est pas exclusivement religieuse. « Des détenus entrent pour des délits mineurs et côtoient des criminels d’une autre envergure, avec pour conséquence qu’ils peuvent récidiver de pire manière plus tard », conclut le délégué syndical.