Zoé Genot et Bruno De Lille Battaille
Qui veut d’une Police de la Pensée?
À Bruxelles comme ailleurs, l’instauration de la « laïcité » fait l’objet d’un vif débat. Et s’il est bien un lieu où l’on est chaque jour confronté à une multitude de religions, c’est notre capitale.
Mais à Bruxelles comme ailleurs, de nombreux responsables politiques et institutions adoptent à cet égard un comportement frileux. Ainsi, Actiris a récemment été condamné pour avoir interdit le port du voile à ses employées.
D’où vient donc cette crainte des symboles? Pour éviter toute ambiguïté: nous sommes non-croyants et considérons que la religion relève de la vie privée. Il n’en reste pas moins que nous ne voyons aucun inconvénient à nous faire aider au guichet par une personne qui porte un voile, une kippa, voire une passoire sur la tête. Notre constitution garantit tant la « séparation de l’église et de l’État » que la « liberté de religion ». Ces deux principes nous sont très chers et, contrairement à l’avis de beaucoup aujourd’hui, ils se concilient avec bonheur, car ils permettent de garantir un service parfaitement neutre, même si ce dernier emploie des croyants.
Car c’est bien du comportement de votre employeur ou de votre collaborateur qu’il s’agit. Si la femme voilée traite correctement les formulaires du couple homo, si le médecin catholique aide son patient en phase terminale à mourir, si le collaborateur juif souhaite aussi travailler le samedi…aucun problème, non? La grande majorité des croyants de notre pays n’y voit d’ailleurs aucun inconvénient.
Seulement aujourd’hui, les gens n’ont plus la possibilité de témoigner de cette réalité. Parce qu’à l’instar d’une « Police de la Pensée », on pense à leur place. On prête au collègue qui pratique le jeûne pendant le ramadan l’intention de nous imposer les règles de la charia. Les femmes qui portent le voile y sont « naturellement » obligées. Il n’est pas possible de se défendre d’avoir commis des actes qu’on n’a pas commis, mais que la « Police de la Pensée » estime que nous voudrions commettre.
Dans la pratique, il semble d’ailleurs virtuellement impossible d’exiger des gens qu’ils adoptent une apparence « neutre ». On peut en effet considérer le voile comme un symbole de l’islam. Toutefois, autorise-t-on une femme non-musulmane ayant perdu ses cheveux après une chimiothérapie à le porter? Aujourd’hui, tant un musulman rigoriste qu’un hipster non croyant peut porter une grande barbe fournie. Lequel des deux doit se raser? En tant qu’écologistes, ne pouvons-nous pas porter de chemise verte, contrairement à nos collègues socialistes? Il ne s’agit donc plus de définir ce qui « est » neutre, mais bien ce que le chef, le collègue ou le client « estime » être neutre. Une Police de la Pensée décidant qui peut porter quoi sur base d’un procès d’intention, est-ce le type de société dans laquelle nous souhaitons vivre?
Instaurer la u0022laïcitéu0022, rendre invisible toute référence à la religion n’est pas souhaitable et ne facilitera pas le vivre-ensemble
Il est beaucoup plus facile de tenir compte du comportement des gens. Quelles sont les tâches attribuées aux travailleurs? Si l’on est un fonctionnaire préposé au guichet de 9 à 17 heures, on ne prend pas cinq pauses par jour pour prier. Si le magasin où l’on travaille est ouvert toute la semaine, on peut s’y rendre aussi de temps en temps le samedi ou le dimanche. Si ces conditions ne sont pas acceptées, il faut partir. Bien sûr, ces règles ne peuvent créer de discrimination. Et nous disposons pour cela de lois claires et d’un Centre interfédéral pour l’égalité des chances ou, le cas échéant, d’un tribunal.
Si nous exigeons des croyants – avec raison – de respecter la « séparation de l’église et de l’État », nous devons faire de même avec la « liberté de religion ». Instaurer la « laïcité », rendre invisible toute référence à la religion n’est pas souhaitable et ne facilitera pas le vivre-ensemble dans notre société hyperdiversifiée. Pas de Police de la Pensée, donc, mais plutôt la recherche conjointe d’une façon de créer des conditions équitables pour tous.
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