Qui sont vraiment les nouveaux guerriers du climat ?
Ils ont défilé par dizaines de milliers le 15 mars. Ils comptent recommencer le 31. Et cela ne va pas s’arrêter avant les élections, ni même après. Jusqu’à ce que les politiques les entendent et agissent. Tour d’horizon de cette nouvelle galaxie climatique, aussi déterminée qu’hétéroclite. Entre jeunes, ONG, activistes, fonctionnaires, patrons…
Ils disaient : peu importe le nombre de manifestants. Ils pensaient : pourvu qu’il y ait du monde, pourvu qu’il y ait du monde, pourvu qu’il y ait du monde ! Car ils savaient qu’ » on » les observait : les politiques, les médias, les détracteurs… La Terre entière, même. Parce que le 15 mars était une journée de grève mondiale dans 123 pays et que, ces derniers mois, le nôtre s’est retrouvé au centre de l’univers climatique. Leonardo DiCaprio et Hillary Clinton n’avaient-ils pas tweeté leur admiration ? Emmanuel Macron n’avait-il pas reçu une délégation de jeunes ? Les coups de fils ne pleuvent-ils pas chez Greenpeace Belgique ? » Qu’est-ce qui se passe, chez vous ? questionnent les confrères internationaux. Amazing ! »
Du monde, il y en a eu, le 15 mars : 30 000 personnes à Bruxelles, 3 000 à Gand, Anvers, Louvain-la-Neuve et Mons, 1 000 à Liège, 600 à Namur… Alors, même s’ils ne disaient rien mais qu’ils n’en pensaient pas moins, les nouveaux guerriers du climat ont savouré. Hey, élu-de-peu-d’éco-foi ! Tu l’as vue, notre démonstration de force ? ! Toute mobilisation mitigée aurait été d’autant plus indigeste que, pour la première fois, toute cette galaxie émergente avait aligné ses planètes. Les jeunes de Youth for Climate (Anuna De Wever, Adélaïde Charlier & Cie) étaient aux manettes, répondant à l’appel mondial de leur égérie suédoise, Greta Thunberg, mais tous les autres » for climate » avaient enrôlé leurs troupes. Etudiants, fonctionnaires, travailleurs, professeurs, rebelles…
Ça fait du monde, sur la photo de famille. » On réussit l’objectif qu’on poursuivait depuis dix ans ! On ne doit plus tirer le mouvement, les citoyens s’organisent eux-mêmes « , jubile Nicolas Van Nuffel, responsable du plaidoyer au CNCD-11.11.11 et président de la Coalition Climat. Celle-ci regroupe une soixantaine d’organisations environnementales, syndicats, mouvements de jeunesse, qui répète, depuis douze ans, que le monde politique n’en fait pas assez, que la société civile doit se réveiller.
La ruche et les abeilles
C’est fait. Ces derniers mois, tant de groupements émergent qu’eux-mêmes ont du mal à se dénombrer. Nés à l’initiative de citoyens lambda, popularisés grâce à une simple page Facebook. Pas de structuration en asbl, pas d’aspiration politique, une volonté d’indépendance à l’égard des associations environnementales existantes. » C’est comme une ruche, compare Céline Tellier, secrétaire générale adjointe d’Inter-Environnement Wallonie. Beaucoup d’abeilles s’activent, partout, mais aucune ne fait le même boulot. » » On ne veut pas d’une organisation verticale, le côté horizontal nous plaît. On veut que les gens soient au centre des décisions « , plaide Kim Lê Quang, co-organisateur du mouvement citoyen Rise for Climate Belgium. L’une des nouvelles garnisons d’éco-soldats, qui a organisé dans l’empressement la marche du 27 janvier dernier : 75 000 personnes ! Même eux étaient surpris. Personne n’imaginait que le succès du 2 décembre 2018 (entre 75 000 et 100 000 participants) puisse être réitéré. Car cet événement-là, était initié par des acteurs bien établis (Coalition Climat et Climate Express), planifié depuis le printemps précédent et promotionné depuis le mois d’octobre, à coups de tracts, de réseaux sociaux et de soutiens externes, telle la vidéo du YouTubeur Félicien Bogaerts, Je peux pas, j’ai climat, vue plus d’1,8 million de fois.
Quand bien même : d’habitude, 15 000 manifestants, c’est le maximum que peuvent rassembler les organisations environnementales. Beaucoup (beaucoup ! ) de mobilisations précédentes ne les atteignaient pas. Mais il s’est passé un truc. » Incroyable. Inédit. Un jour, des sociologues ou des anthropologues se pencheront là-dessus « , pressent Juliette Boulet, porte-parole de Greenpeace. Ce réveil citoyen, » si seulement on savait comment l’expliquer ! s’exclame Céline Tellier. Nous, associations, nous menons un travail de fond depuis des dizaines et des dizaines d’années, ça porte sans doute ses fruits. »
Sans doute. Mais pas que. Souviens-toi, l’été dernier, de cette incroyable canicule ! Et de tous ces dérèglements météorologiques, ici comme à l’autre bout du monde. D’un coup, le réchauffement climatique serait devenu tangible. Concret. Indéniable. Puis il y eut le rapport du Giec, publié en octobre et fortement médiatisé, sur les conséquences d’une hausse de 1,5 degré d’ici à 2050. En résumé, ce ne serait pas joli-joli et il serait temps de se remuer pour l’empêcher. Puis la démission de Nicolas Hulot du gouvernement français, fin août. Puis la glorification de Greta Thunberg, Suédoise, 16 ans, en grève scolaire chaque vendredi depuis septembre.
Mais plusieurs de ces nouveaux mouvements citoyens étaient déjà en gestation bien avant. Et en colère. De voir défiler les conférences internationales sur le climat sans qu’elles soient suivies d’effets. D’entendre les scientifiques alerter sans qu’ils soient écoutés. De constater que les gens en font, eux, des efforts quotidiens, sans que le politique prenne le relais. » Beaucoup ont déjà mis en place leur propre transition « , analyse Juliette Boulet, qui rappelle que les préoccupations climatiques étaient déjà prégnantes il y a quelques années. Al Gore et sa Vérité qui dérange (en 2006), la mode des constructions passives, le boom des panneaux photovoltaïques, tout ça… Devant le manque de réponse politique, les » écoconvaincus » dépités se seraient repliés sur eux-mêmes. Agir sur son quotidien pour changer le monde, comme le préconisait en 2015 le film Demain. Consommation locale, mouvement zéro déchet, végétarisme et véganisme… » Quand on pose soi-même des actes concrets, ça engendre de la fierté et on devient d’une certaine manière activiste, reprend la porte-parole de Greenpeace. Or, des études ont montré que la somme des changements individuels était nécessaire, mais insuffisante. »
Ces élections-ci ou jamais
Retour à la case politique. » Peut-être aussi que tout ça arrive maintenant car on se dit : si rien ne se produit ces élections-ci, on ne veut pas attendre cinq ans à ne rien faire « , interprète Koen Verwee, co-initiateur de la campagne Sign for my Future, qui ambitionne de recueillir un maximum de signatures pour donner un mandat aux élus afin qu’ils n’aient pas/plus peur de réfléchir plus loin que le bout de leur échéance électorale. » On leur demande simplement un futur « , résume Bakou Mertens, cofondateur de Students for Climate.
Durs de la feuille, nos édiles. » Replanter des arbres comme on l’a annoncé en Flandre, les coachs climat dans les écoles de Marie-Christine Marghem… Ce n’est pas ça qu’on veut « , poursuit l’étudiant. Elle en a pourtant beaucoup fait pour la galaxie climatique, la ministre fédérale de l’Environnement (MR) ! Le jet privé qu’elle a affrété pour un aller-retour à la Cop 24 de Katowice, le lendemain de la marche du 2 décembre à laquelle elle avait participé, parce qu’elle devait prêter serment le soir à Tournai… Oh, la boulette ! Puis la Belgique qui ne soutient pas plusieurs directives européennes dans la foulée… » J’ai reçu des tonnes de messages de gens en colère, se souvient Nicolas Van Nuffel. Se demandant ce qu’il fallait faire, si marcher à 75 000 dans les rues ne suffisait pas. »
Désobéissons !
Se rebeller, peut-être. Parallèlement aux mouvements citoyens, des groupes plus radicaux émergent. Extinction Rebellion et Act for Climate Justice, » mais aussi toute une série de groupuscules qui n’ont parfois même pas de nom » (dixit Juliette Boulet) et qui appellent à la désobéissance civile et à l’action directe non violente. La campagne de sms aux ministres, cette année, c’était eux, comme l’occupation de la rue de la Loi et de la cour du Parlement fédéral l’an dernier. » Il ne faut pas se méprendre sur le sens du mot radical, précise Guilherme Serodio, membre d’Extinction Rebellion. Il signifie, pour nous, qu’il faut s’attaquer à la racine du problème – le système de croissance infinie – et non aux symptômes. » Les rangs des deux organisations ne cessent de grossir, affirment-elles. Des fâchés, des déçus, des femmes, des jeunes, des vieux, souvent vierges de tout militantisme.
» Les élections ne sont qu’une échéance parmi d’autres, prévient Johan Verhoeven, d’Act for Climate Justice. On ne va pas s’arrêter après le 26 mai. » Les autres mouvements non seulement déclarent qu’ils veilleront à ce que le prochain accord du gouvernement soit ambitieux, mais ajoutent qu’ils poursuivront les mobilisations s’il ne l’est pas. Les deux échéances communes à venir sont la marche du 31 mars et une mobilisation le 12 mai. Entre-temps, chaque planète de la galaxie climatique poursuivra ses propres initiatives. » Et tout le monde parle et collabore avec tout le monde, relève Charlotte Scheerens, coordinatrice de Climate Express. Notre but n’est pas de savoir qui fera la plus belle action ! »
» Nous pensons que ça ne va pas s’arrêter, car le mouvement démontre une intelligence collective, une réflexion sur le fait de ne pas s’essouffler « , admire Juliette Boulet, de Greenpeace. Si l’ONG n’est à la manoeuvre en rien, elle se retrouve malgré tout un peu partout. Elle a relu le texte de la vidéo de Félicien Bogaerts, elle a honoré les factures de la sonorisation de la manif du 27 janvier, elle aide ceux qui le lui demandent à établir un parcours de marche, recrute les indispensables stewards, négocie avec la police, prête ses talkies-walkies, met ses camionnettes à disposition pour aider les jeunes à aller chercher du matériel, dispense un media training à un jeune paniqué avant un débat télévisé avec un ministre… » Nous ne suscitons rien, nous répondons aux demandes, souligne la porte-parole. Pour le moment, on en est submergés, c’est incroyable ! Et ça fait partie d’une stratégie que nous avons adoptée en 2015 au niveau mondial, qui s’appelle the seven shift. Nous voulons être des héros parmi les héros, aider les petits groupes à réaliser ce dont ils ont envie. Parfois, on nous demande aussi de ne pas intervenir. » Les jeunes, particulièrement, tiennent à ne pas afficher ces coups de main, craignant qu’ils soient interprétés comme une subordination.
» Tous les mouvements sociaux ont fini par s’essouffler, recontextualise Bruno Frère, sociologue à l’ULiège. Mais ils déposent quelque chose dans l’imaginaire collectif et dans l’esprit des politiques. » Dans l’imaginaire collectif, c’est sûr. Et dans l’esprit des politiques ?
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