Qui se cache derrière le masque d’Adrien Masset, l’avocat de Milquet, Moreau et De Decker ?
Une compétence pointue, des antennes ultrasensibles, un buteur. Et encore : Hervien, pince-sans-rire, pudique, sur le plan professionnel, il passe son temps à défendre les membres de l’establishment.
Ils étaient trois roux rue Haute, à Herve. En réalité, Georges, le faux jumeau de l’avocat Adrien Masset, 57 ans, n’était pas si roux que ça mais avec Emile, l’aîné, les frères Masset formaient une entité définie par la couleur de leur poil. Foncièrement herviens, issus d’une lignée de cordonniers, un métier local autant que le fromage, ils ne fréquentaient cependant ni les scouts ni le patro ni la maison des jeunes ni la Royale Garde Saint-Jean, société de gymnastique et de musique emblématique du Plateau.
De la rue Haute, Adrien Masset n’a pas connu non plus son voisin d’en bas, Mario Guccio, le futur chanteur de Machiavel. Le foot ? Il a quitté Herve parce qu’on l’avait sélectionné et pas son jumeau. La famille opta pour le Daring Club de Cointe qui jouait en ligue amateur. Pas la porte à côté mais la maman était dévouée. Il a donc joué au foot de 11 à 32 ans et disputé 729 matchs en inscrivant 541 buts (dont un à Marrakech, en 1984, avec l’équipe du barreau de Liège, championne du monde de football des avocats). Jambes solides et tête bien faite, le jeune Adrien dévorait les livres de la bibliothèque d’en face (catholique) et ceux apportés par une grand-tante, Germaine, qui était la soeur d’André Blavier,bibliothécaire de Verviers, l’auteur des Fous littéraires et d’Occupe-toi d’homélies, ami de Raymond Queneau et de René Magritte.
Comptable à la Laiterie régionale de Herve (il fini directeur administratif et financier), son père était rebelle à l’autorité de l’Eglise mais sûr de la sienne. Les scouts et les écoles catholiques, » ce n’était pas ses idées ». Ses fils ont donc été à l’école communale, puis à l’athénée de Verviers. Le moindre de ses paradoxes fut néanmoins de leur imposer la messe du samedi soir jusqu’à l’âge de 18 ans, après, ils feraient ce qu’ils voudraient. » Arrivée à 17 h 10 alors que la messe commençait à 17 heures, départ à 17 h 40 pour ne pas rater le Sport Show de la télévision allemande, résume Adrien Masset. Une présence pas tellement intéressante, le choix était vite fait à 18 ans. Mon père était un progressiste, il mangeait du curé. »
Indépendant sans être clivant, inclassable malgré son halo chrétien et sa femme infirmière et maman catéchèse, l’avocat a été approché par le MR, le CDH et le PS pour figurer sur des listes locales. » Je n’ai pas des idées de droite, je suis un bon centriste mais faire de la politique ne m’intéresse pas du tout « , tranche- t-il. En revanche, sur le plan professionnel, il passe son temps à défendre les membres de l’establishment : Joëlle Milquet (CDH), Armand De Decker (MR), Stéphane Moreau (ex-PS), Jacques Van Gompel (PS), Frédéric Daerden (dossier du cabinet révisoral), Claude Durieux (incendie des Mésanges), feue Anne-Marie Lizin (PS)… Beaucoup de socialistes… Adrien Masset a la réponse : » C’est au PS qu’ils se font prendre. »
Son père était rebelle à l’autorité de l’Eglise mais sûr de la sienne
La série a commencé avec Léon Lewalle, patron de la Smap (ex-Ethias), quatre appels et un épisode devant la Cour de cassation. » Je lui ai trouvé un bon argument, un nouveau procès a eu lieu et il a eu quatre ans avec sursis au lieu de quatre avec deux de prison ferme « , se remémore l’avocat. Dans la foulée, il a assuré la défense de François Pirot, secrétaire général du PS, dans l’affaire Agusta-Dassault. » L’avocat pressenti était le fils d’un député PRL, ça n’allait pas. » Masset avait déjà 38 ans. Pour la défense du ministre israélien Ariel Sharon, objet d’une plainte en 2001 pour sa responsabilité présumée dans les massacres de Sabra et Chatila (Liban), » l’Etat d’Israël voulait un avocat qui soit sans lien avec lui et professeur d’université « .
Les dossiers médiatiques s’enchaînent : KB-Lux, Pineau-Valencienne, Scientologie, Lucien d’Onofrio, Victor Hissel, catastrophe de Ghislenghien, attentat du Musée juif de Belgique. Bien que sa thèse de doctorat ait été consacrée au terrorisme, il a peu exercé dans ce domaine. Il représente deux victimes des attentats de Bruxelles. » A plusieurs reprises, des personnes m’ont téléphoné pour que je défende un membre de leur famille suspecté de terrorisme. J’ai toujours répondu que ma déontologie me l’interdisait puisque je suis déjà engagé du côté des victimes. » Il s’est surtout spécialisé dans le droit pénal des affaires : Electragate, prince de Croÿ, KB-Lux, Compagnie du bois sauvage, Franco Dragone, Mithra, Jost Group. C’est simple : on se l’arrache. Pourtant, le grand public le connaît à peine, lui, son visage marmoréen, ses petits yeux verts en amande, son incroyable assurance.
Adversaire du « procès équitable »
Il a souvent travaillé en tandem avec Michèle Hirsch, avocate au barreau de Bruxelles. » Adrien, c’est une encyclopédie ambulante du droit pénal passé, présent et presque futur, décrit-elle. Il est incroyablement brillant et organisé et il ne fait jamais d’esbroufe, il garde son flegme mais quand il doit se fâcher, il se fâche. Il a un diagnostic chirurgical et son autorité naturelle fait qu’il est très écouté, d’abord par les magistrats mais aussi par ses confrères. Par rapport au client, il sent très vite et très bien de quoi il s’agit. La collaboration avec lui est à la fois enthousiasmante et très créative. J’en ai l’expérience depuis des années. » En tant que conseils d’Armand De Decker, Mes Masset et Hirsch ont écrit à la commission Kazakhgate, le 6 juillet dernier, lui rappelant qu’une enquête judiciaire était déjà en cours. Leur client a donc invoqué son droit au silence. En revanche, à Namur, la citation en justice des membres du bureau de la commission Publifin par Nethys et ses avocats, dont Me Masset, a plutôt resserré les rangs du parlement de Wallonie et galvanisé les commissaires.
» Ce n’est pas un ténor à la Dupont- Moretti « , pointe le criminologue Michaël Dantinne, collègue d’Adrien Masset à l’ULg, où celui-ci occupe la chaire de droit pénal et de procédure pénale. » Il cumule l’expérience de terrain d’un avocat et l’expertise d’un professeur d’université, poursuit-il. C’est un chirurgien juridique plus qu’un fin orateur. Il est très apprécié de ses étudiants car il est compétent, juste et respectueux. » Professeur extraordinaire (à temps partiel), » il participe à tous les événements de la faculté, témoigne le docteur Philippe Boxho, professeur de médecine légale (ULg). Il ne critique pas, jamais, mais il n’a pas de respect particulier pour les gens qui ne font pas bien leur travail. » Le légiste teste sur lui ses blagues de carabin. » Si Adrien rit, je la prends. »
Le professeur Ann Jacobs, sa coauteure du Manuel de procédure pénale (Larcier), le définit comme pragmatique : » En tant qu’avocat, il est extrêmement attaché au respect des règles de procédure, même celles dont le non-respect est sans conséquence réelle sur le déroulement de la procédure. Cette conception n’est pas unanimement partagée. Certains, dont je suis, prônent une vision plus globale, un équilibre entre la procédure, garante des droits de chacun, et son utilisation raisonnable dans un procès équitable. »
Procédurier, Adrien Masset ? Le bâtonnier liégeois Eric Lemmens lui donne raison : » Il utilise les règles pour venir en aide à son client et lui assurer la meilleure défense possible. » Et de citer la maxime de Rudolf von Jhering, juriste allemand du xixe siècle : » Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la soeur jumelle de la liberté. » Traditionnellement, les études de droit à Liège portent la marque du » positivisme juridique » qui ne reconnaît de valeur qu’au droit positif (lois, jurisprudence, etc.) par opposition aux tenants du droit idéal ou naturel.
» L’issue des procès devient de plus en plus incertaine, se plaint Adrien Masset. Le respect des règles de droit écrites, certaines et égales pour tous les justiciables cède de plus en plus devant des notions floues telles que l’équité du procès, où l’arbitraire du juge permet de ménager la chèvre et le choux, souvent au bénéfice de l’accusation. Trop souvent, on reproche un comportement à une personne au nom de l’éthique alors que la légalité a été respectée. »
Dans le procès des princesses du Conrad accusées de maltraiter leur personnel, l’avocat avait plaidé qu’une perquisition menée avec l’autorisation du tribunal de police mais sans juge d’instruction ne pouvait pas être exploitée. La Cassation ne l’a pas suivi, considérant que la procédure avait été équitable. Il avait face à lui Damien Vandermeersch, son alter ego de l’UCL, auteur des Eléments de droit pénal et de procédure pénale (La Charte), avocat général à la Cour de cassation. » Les règles de procédure deviennent tellement compliquées que la forme prend le pas sur le fond, regrette le magistrat. Ce n’est pas la faute des avocats, qui ont un mandat de leur client, mais de l’inflation législative. On ne parvient plus à suivre la matière. Le juge se sent plus vulnérable, plus fragile. Selon moi, une simplification des règles de procédure s’impose. » Malgré leurs divergences, les deux hommes s’apprécient.
De fait, avec Me Masset dans les parages, les juges d’instruction et les magistrats du parquet ont intérêt à redoubler de vigilance s’ils ne veulent pas hériter d’un » procès dans le procès « . Certains grognent. Jean-Michel Demarche, responsable à l’auditorat du travail de Liège, n’est pas de ceux-là. Il dépeint » un adversaire toujours correct, qui a l’intelligence de soulever des arguments pertinents sans que cela ressemble à de la procédure. Ses conclusions, pas trop longues, sont toujours très intelligemment tournées. Quand un contre- argument est bien senti, il a la courtoisie de ne pas le rejeter avec son aura de professeur. Réaliste dans l’approche d’un dossier, il ne défendra jamais l’indéfendable et plaidera sur la peine. »
Concert de louanges au barreau
Du côté de ses confrères, Adrien Masset semble faire l’unanimité. » Je serais dans la tourmente, j’aimerais énormément avoir un avocat comme lui à mes côtés, se lance l’avocate liégeoise Sandra Berbuto. C’est quelqu’un qui a beaucoup d’humanité. Il n’est pas obsédé comme beaucoup d’autres par des questions d’argent. Il aime rire, il a de l’humour, il est généreux. Gauche – droite, ça ne rentre pas en ligne de compte pour lui. Il a plaidé avec moi pour une victime qui n’avait pas de revenus. Il ne tire pas la couverture à lui. » L’avocat verviétois Jules Voisin, avec qui il a créé la première Table ronde de Belgique : » Adrien est calme, aimable, tout à fait accessible, il n’a jamais pris la grosse tête. Quand il a un os, il ne le lâche pas mais ce n’est pas au détriment de la déontologie. Il met son expertise au service de la profession. » Pierre Henry, bâtonnier en exercice de Verviers : » Il s’est investi dans les associations à Herve, le Rotary en particulier. Il n’est pas dans le folklore mais il partage le goût de la fête des Herviens et leur façon de se parler franchement tout en gardant une bienveillance. Il devient un monument… »
L’issue des procès devient de plus en plus incertaine » – Adrien Masset
Acquitté dans l’affaire de la pelouse artificielle du Sporting de Charleroi, Jacques Van Gompel est de ceux qui, en effet, lui élèveraient bien une statue. » Il est venu me rencontrer à la prison de Jamioulx, se souvient-il. Nous avons fait connaissance. Tout de suite, je me suis aperçu que c’était quelqu’un qui allait jusqu’au bout, à fond. Il inspire la confiance. Il paraît zen. Il garde son calme mais il trouve toujours le mot juste pour faire comprendre les choses à son client, à ses confrères, au siège du tribunal. C’est un monsieur qui m’a beaucoup aidé sur le plan judiciaire mais aussi sur le plan humain. » L’avocat s’est rendu dans sa famille quand il était en détention préventive, a rencontré sa femme et ses fils. Au fil des rendez-vous judiciaires, ils ont tissé une relation. » Il connaissait mon dossier comme s’il l’avait vécu, observe Jacques Van Gompel. J’ai reçu de lui un superbe message pour mes 70 ans. »
Confronté à ce témoignage, Adrien Masset se défend d’abord, » je n’ai pas perdu ma vie « , puis reconnaît de bon coeur que l’homme était attachant. » Quand il était plus jeune, décrit un proche, il prenait sur lui la détresse de ses clients. » Jusqu’à la colère. » Je dis à mes clients que je ne suis ni un curé ni un assistant social, précise l’intéressé, je fais mon travail comme un avocat. C’est vrai, au début, je prends le temps de les écouter, une heure ou une heure et demi. Mais quand je suis en famille depuis cinq minutes, j’oublie tout le reste. »
Sa famille, son bastion : quatre enfants (dont une fille plusieurs fois championne de Belgique de gymnastique rythmique, aujourd’hui journaliste au Courrier de Russie à Moscou), une première petite-fille et sa femme Huguette, aussi extravertie qu’il a la réputation de ne pas l’être. Ils habitent toujours à Herve. L’annexe-bureau de leur maison quatre-façades donne sur des prairies découpées par le ruban de la ligne TGV. L’antre de ce grand bosseur va être refait. » Quinze ans qu’on n’y a pas touché « , sourit-il.
Dans la conversation, Adrien Masset manie le name dropping à l’envers, moins pour se mettre en valeur que pour souligner une continuité, une égalité, une normalité. Le goût des livres ? La tante Germaine. Les études de droit ? » Magnétisé » par son frère aîné devenu réviseur (le jumeau travaille dans une banque). Professeur extraordinaire et avocat ? » Conquis par l’homme et par le professeur « , il serait resté l’assistant de Michel Franchimont si celui-ci ne lui avait pas dit d’aller planter sa tente à Herve. Pour conjurer la malédiction des roux ?
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