Qui est le poil à gratter de Di Rupo ?
Il énerve la majorité montoise, depuis son engagement pour les victimes de l’incendie des Mésanges. Elu indépendant, John Joos, 38 ans, mène, cette fois, le combat des « taxes parking », à Mons, et va jusqu’à suggérer que la Ville ait pu commettre des faux. Le ton monte…
La polémique fait rage dans la cité du Doudou. Elle nourrit les conversations de bistrot davantage que le lancement de Mons 2015, prévu dans un mois. Lorsqu’Elio Di Rupo a fait sa grande interview de rentrée sur Télé-Mons-Borinage fin octobre, pour son retour aux affaires communales, ce fut l’un des sujets le plus longuement évoqués. De quoi s’agit-il ? Des taxes de parking, réclamées juste avant la prescription, à des centaines de contribuables pour un montant total de 1,8 million d’euros. Le Collège veut aujourd’hui récupérer ce qui lui est dû depuis cinq ans. Certains Montois, qui ont négligé d’alimenter les horodateurs, se voient exiger des sommes rondelettes, grimpant jusqu’à plusieurs milliers d’euros. Désormais, dans le chef-lieu hennuyer, on ne dit plus « prunes d’Agen » mais « prunes de Mons »…
Face à la Ville, la fronde des « mauvais payeurs » s’est organisée. Une fronde menée par un conseiller communal, lui-même redevable d’une prune de 200 euros. Elu indépendant, inclassable sur l’échiquier politique, John Joos n’est issu d’aucune formation traditionnelle. Aux élections de 2012, il a créé le parti Citoyen en lançant un appel sur Facebook. Résultat : une liste de 20 candidats et un score électoral de près de 5 %, avec un budget de campagne d’à peine 4 000 euros. Bref, un vrai phénomène politique local qui, bien sûr, agace la majorité PS-MR, en place depuis l’éternité des temps.
Son nom est connu depuis le drame des « Mésanges », soit l’incendie d’un immeuble social de Mons, qui, en 2003, avait causé la mort de sept personnes. Né aux Mésanges et ayant perdu un ami dans l’incendie, John Joos a été, pendant une décennie, le porte-voix énergique des victimes. Sa belle gueule et sa sincérité passaient bien dans les médias. Son culot aussi. Il n’a pas hésité à évoquer la responsabilité du bourgmestre sous l’autorité de qui se trouvaient les pompiers, lesquels avaient pointé bien avant l’incendie de graves lacunes en matière de sécurité. Dix ans après les faits, le procès s’est conclu par une condamnation pour défaut de prévoyance de la société de logement public Sorelobo (ex-Toi et Moi), mais pas de ses dirigeants.
Après cette aventure qui a changé sa vie, selon ses propres dires, « J.J. » a profité de sa position à l’avant-scène pour défendre ses idéaux sur un terrain plus large. Le voilà, aujourd’hui, à la tête d’une bande de citoyens rebelles – commerçants, riverains, étudiants – qui contestent farouchement les taxes de parking réclamées par la Ville parce qu’ils n’ont jamais été entendus. Or ils ont des critiques à émettre en matière de mobilité. Le bras de fer s’éternise depuis de plusieurs semaines. Mais, récemment, la joute a pris une tournure plus sérieuse. Deux avocats sollicités par les récalcitrants ont, en effet, suggéré que la Ville pourrait avoir commis des faux en écriture dans la procédure de recouvrement de la taxe parking.
Le débat s’est d’un coup envenimé. En cause : les avertissements-extraits de rôle que tout contribuable doit recevoir pour s’acquitter d’un impôt et connaître la procédure de réclamation, ce qui permet, ici, d’être entendu par le Collège. La Ville de Mons les a-t-elle bien envoyés, il y a quatre ou cinq ans, pour la taxe qu’elle veut désormais recouvrir ? « Des centaines de citoyens affirment que non, explique Me Gaëtan Verbrugge. Seraient-ils tous des menteurs ? Quant aux copies conformes qu’elle fournit aujourd’hui, l’adresse à laquelle elles sont expédiées n’est pas celle de l’époque pour les contribuables qui ont déménagé depuis lors. Ce ne sont donc pas des copies conformes. On peut se demander si la Ville n’est pas en train d’éditer des faux. »
L’échevin des Finances Georges-Louis Bouchez (MR), lui-même avocat, fulmine : « C’est une accusation grave, avertit-il. Bien sûr que ce ne sont pas des copies conformes que nous envoyons. Pour cela, il aurait fallu les faire à l’époque, avec, chaque fois, le tampon communal et la signature d’un officier d’Etat civil. Impossible ! Les avertissements-extraits de rôle sont conservés de manière informatique, par le programme officiel Civadis, qui met à jour l’adresse des contribuables et nous imprimons une copie lorsqu’on nous le demande. » Mais les avocats ne s’arrêtent pas là. Ils se demandent si, à l’époque, la Ville a publié le règlement-taxe selon la procédure légale. « Qu’ils viennent consulter les documents ! », réagit Georges-Louis Bouchez. Bref, le ton monte de plus en plus. Il est clair que le différend se règlera devant un tribunal. « Je le souhaite, soupire l’échevin. J’en ai marre de ces accusations farfelues. » Ambiance.
Assistanat vs émancipation
A priori, le combat des taxes parking n’a rien à voir avec celui des Mésanges. Pour John Joos, il y a pourtant une similitude. « Dans un cas comme dans l’autre, les gens ne sont pas écoutés, déclare-t-il. Pour les Mésanges, on a investi des sommes folles pour l’esthétique du bâtiment, mais pas pour la sécurité comme l’exigeaient les locataires. S’ils avaient participé de près ou de loin à la gestion de la Sorelobo, il n’y aurait pas eu morts d’homme. » C’est la même chose pour les parkings, selon lui. Les riverains et les travailleurs concernés voudraient que la Ville les écoute et admette sa part de responsabilité dans les montants qu’elle réclame, juste avant la prescription et sans avoir envoyé de rappels.
Son cheval de bataille : le débat permanent entre gouvernants et citoyens, pas seulement en période électorale. « Je veux que les gens soient davantage acteurs de la vie publique, car je crois à l’intelligence collective », soutient John Joos qui, à 24 ans, en 2001, avait lancé un parlement local pour les jeunes sous forme d’asbl, à Mons. Et il sait de quoi il parle. Issu d’un milieu modeste, il a été élevé, avec sa soeur et ses deux frères, par une mère seule, d’origine polonaise, dans un logement social. « J’ai vécu l’assistanat du PS et j’ai compris jusqu’où celui-ci peut réduire l’émancipation humaine », sourit celui qui a pu s’accomplir dans la musique (il est violoncelliste et clarinettiste) et la politique.
Alors, quand Elio Di Rupo lui conseille, dans son interview sur TéléMB, de « faire profil bas » parce qu’il est lui-même redevable d’une taxe parking, insinuant que le chevalier n’est pas si blanc, John Joos explose, demande un droit de réponse, dénonce la tentative d’intimidation, rappelle qu’il n’a jamais profité de la gratuité de parking à Mons accordée aux élus communaux, la trouvant injuste. Et il publie, de plus belle, des coups de gueule, un brin démago, sur Facebook, en collectionnant les Like. Idéaliste ? Celui que sa mère a prénommé John, par admiration pour Kennedy, l’admet et assume. Un idéaliste lucide, cependant.
Pour se présenter au dernier scrutin régional, il s’est apparenté au CDH, surtout par amitié pour Carlo Di Antonio avec qui il planche sur un projet de participation délibérative via les réseaux sociaux. Au niveau communal, par contre, il ne bradera jamais son indépendance. Il ambitionne même de lancer des listes Citoyen ailleurs qu’à Mons. Il continuera, en tout cas, à agacer le pouvoir établi en forçant le débat chaque fois que celui-ci est absent, même si cela doit se terminer dans un prétoire. Depuis les Mésanges, il n’a vraiment peur de rien.