Carte blanche
Quelle est la qualité du système éducatif de la Belgique ?
L’évaluation de la qualité d’un système éducatif (primaire et secondaire inférieur) est essentielle pour garantir que soient mieux atteints les objectifs du système, eu égard à ceux de la société qui le finance et ce notamment en termes de compétitivité des économies, de dynamisme des secteurs public et privé et de réussite des citoyens.
Cette évaluation n’est pas facile, parce que, d’une part, le concept même de qualité d’un système éducatif est peu défini et, d’autre part, les outils de sa mesure le sont encore moins. Il est donc crucial de disposer d’un indicateur opérationnel et clair permettant à la fois de mesurer et de comparer la qualité desdits systèmes, tout en apportant une information suffisamment nuancée pour comprendre ce qui est à valoriser et/ou à améliorer. Un tel indicateur doit donc à la fois se synthétiser en une seule information, facilement utilisable, mais aussi tenir compte des multiples facettes d’un système éducatif.
Quels sont alors les critères sur lesquels un tel indicateur peut se fonder ? Cinq critères ont été retenus par les experts internationaux ayant travaillé sur cette question au sein du séminaire École et République (2014-2016) du Collège des Bernardins à Paris : l’efficacité, l’efficience et l’équité des systèmes éducatifs ainsi que l’engagement des élèves et celui des enseignants. D’autres critères ont été envisagés (comme, par exemple, l’équilibre pédagogique des systèmes et leur efficacité externe), mais ils n’ont pas été retenus par manque de données fiables et comparables pour les 34 pays de l’OCDE, dont la Belgique. L‘engagement des élèves mesure combien ces derniers sont bien intégrés dans l’école et s’y trouvent heureux et évalue également leur motivation instrumentale et leur persévérance. L’engagement des enseignants mesure la participation des enseignants à la vie scolaire, leur niveau de conscience professionnelle et leur attention vis-à-vis des élèves. L’efficacité des systèmes éducatifs rend compte de la capacité de ces systèmes à conduire les élèves à de bons résultats, à limiter le pourcentage d’élèves en difficulté et à maximiser la proportion d’élèves très performants. L’efficience des systèmes éducatifs mesure le rendement des dépenses publiques d’éducation par rapport aux bénéfices apportés par les systèmes mesurés par leur efficacité. Enfin, l‘équité des systèmes éducatifs évalue notamment la capacité de ces systèmes à limiter l’impact du milieu familial sur les performances des élèves. En sommant le résultat obtenu pour ces cinq critères, chacun étant formé de 6 statistiques, un tout nouvel outil pour évaluer la qualité des systèmes éducatifs des pays de l’OCDE a été créé.
Quels sont les avantages d’un tel outil ? En premier lieu, il conduit à une évaluation bien plus utile que celle établie à partir d’un seul regard. Dans ce cas, ne disposant que de cette seule information, l’attention se concentre sur les pays les mieux classés afin d’identifier les politiques et les pratiques qui ont conduit à leur succès. Cependant, il n’est pas possible de savoir réellement dans quelles conditions ces politiques et ces pratiques ont été établies et mises en oeuvre permettant à ces pays de réussir ; il n’est pas non plus possible de connaître les conditions dans lesquelles ces politiques peuvent être exportées avec succès vers d’autres pays. En second lieu, avec un indicateur synthétique, c’est-à-dire regroupant plusieurs regards, chaque pays a des informations précieuses à sa disposition : premièrement, en ce qui concerne ses forces sur lesquelles il peut capitaliser ; et, deuxièmement, ses points faibles sur lesquels il peut agir. Ces deux actions permettent au pays d’améliorer sa situation. Par conséquent, plutôt que de se concentrer sur la situation des pays du premier rang, chaque pays peut se concentrer sur sa propre situation en fonction de ses propres forces et faiblesses. Il s’agit donc d’un outil puissant de politiques éducatives.
La situation belge
Selon cet indicateur synthétique de qualité des systèmes éducatifs des pays de l’OCDE – qui est le premier de ce type développé dans le monde – la Belgique occupe le 21e rang parmi les 34 pays de l’OCDE avec 488 points, bien loin derrière la Finlande qui compte 563 points (voir le classement de tous les pays dans le tableau ci-après) ! Cette information peu brillante confirme les résultats des études PISA, sur lesquels se basent d’ailleurs principalement les statistiques utilisées pour calculer l’indicateur synthétique de qualité.
Lecture du tableau :
La moyenne des pays de l’OCDE est de 500 points. Si plusieurs pays ont le même nombre de points et ne sont pas considérés comme ex-æquo dans le classement, c’est parce que le tableau présente des scores arrondis. Par exemple, le score du Japon est 538,2 (arrondi à 538) et celui de l’Estonie est de 537,6 (arrondi à 538). Raison pour laquelle le Japon est au 4e rang, et l’Estonie au 5e.
Si on analyse les éléments constitutifs de ce résultat, on remarque que le meilleur classement obtenu par la Belgique concerne l’efficacité du système éducatif, avec un 9e rang. Ce score est lié aux résultats de PISA 2012 en compréhension de l’écrit et en mathématiques. Son bon positionnement est lié au fait que – dans cette première version de l’indicateur synthétique de qualité – les résultats de la Belgique, comme pour tous les pays fédéralisés, ont été pris dans leur ensemble, sans tenir compte de la communautarisation des systèmes éducatifs flamand, francophone et germanophone. Pourtant, dans les scores de PISA 2012 basés uniquement sur les résultats des élèves, alors que la Communauté flamande obtient un 3e rang et la Communauté germanophone un 11e rang, la Communauté française doit se contenter d’une 20e position. La 9e place obtenue par la Belgique pour ce critère d’efficacité ne reflète donc pas tout à fait la réalité belge dans sa complexité et sa diversité.
Il en est sans doute de même pour les autres critères, pour lesquels la qualité du système éducatif belge dans son ensemble n’occupe cependant pas de bonnes places : parmi les 34 pays de l’OCDE, la Belgique se classe, en effet, à la 22e position pour l’engagement de ses enseignants, en 26e position pour l’engagement de ses élèves, en 23e position pour l’efficience du système, et surtout en 29e position pour son équité.
Si globalement, la Belgique s’en sort en termes d’efficacité de ses systèmes éducatifs – et ce n’est pas le cas pour celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles – elle montre de réelles faiblesses au niveau des quatre autres critères, particulièrement eu égard à l’équité. Cette dernière défaillance est particulièrement alarmante : non seulement les systèmes éducatifs belges ne parviennent pas à réduire les écarts liés au milieu d’origine, mais ils semblent même les accroître. À cet égard, seuls cinq pays sur les 34 étudiés font moins bien que la Belgique : la France, la Hongrie, Israël, la Nouvelle-Zélande et la République slovaque.
Ce constat rejoint les travaux autour du Pacte pour un enseignement d’excellence. Il semble que la question de l’équité y soit pleinement prise en compte, ce qui ne veut évidemment pas dire qu’elle soit résolue, alors qu’il s’agit sans doute d’un des grands défis de l’éducation du XXIe siècle. Les travaux relatifs au Pacte d’excellence prennent également en compte de manière active la question de l’efficience, conformément aux exigences actuelles de gestion économique des ressources disponibles. C’est peut-être moins le cas des déficiences constatées en matière d’engagement, tant des enseignants que des élèves. Or, il s’agit là de dimensions fondamentales, au coeur même de l’action pédagogique.
L’intérêt de ce nouvel indicateur, qui pour la première fois mesure la qualité des systèmes éducatifs est, on le voit dans le cas de la Belgique, d’identifier un certain avantage comparatif sur lequel notre pays peut capitaliser, à savoir l’efficacité des systèmes éducatifs flamand et germanophone, mais aussi de pointer du doigt certaines faiblesses sur lesquelles il faudra agir avec urgence, notamment en matière d’équité mais aussi d’engagement des élèves et des enseignants.
Par François-Marie Gerard, psychopédagogue belge, Bernard Hugonnier, économiste français, ancien directeur adjoint de l’éducation à l’OCDE, et Sacha Varin, pédagogue statisticien suisse.
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