Que peuvent les députés face à la crise énergétique? «Pression maximale sur le gouvernement»
Alors que les activités reprennent progressivement leur cours à la Chambre, la crise énergétique reste la préoccupation première. Les députés sont-ils contraints à assister en spectateurs aux décisions du gouvernement fédéral ou peuvent-ils jouer un rôle actif? Tour d’horizon politique.
C’est un scénario rôdé, que le Belge connaît bien désormais. En plein climat de crise, énergétique en l’occurrence, l’opposition politique et une partie de la société civile pressent le gouvernement d’agir. L’exécutif promet des mesures, le comité ministériel restreint se réunit et accouche d’une série de décisions dont chaque parti de la majorité peut se satisfaire. Dans l’opposition, on dénonce: trop faible, trop tardif, trop timoré.
Après un Codeco le 31 août, le kern annonçait à la fin de semaine dernière l’adoption d’une série de mesures, qui ont le mérite d’exister pour soulager quelque peu le portefeuille des ménages et des entreprises, assurément, mais qui n’ont pas grand-chose de «structurel», pour reprendre l’expression consacrée.
Face à l’urgence, c’est logiquement l’exécutif qui dispose de la capacité d’action la plus immédiate. Mais en marge du travail gouvernemental, les députés peuvent-ils aussi intervenir activement? Les activités à la Chambre reprennent tout doucement leur cours, après les vacances estivales. Même si la session parlementaire s’ouvre officiellement le deuxième mardi d’octobre, une première séance plénière a été programmée le 22 septembre après-midi et plusieurs commissions parlementaires se sont déjà tenues, en particulier la commission de l’énergie, matière au cœur des préoccupations du moment.
Sus au court-termisme
Que les députés prennent une part plus active dans l’élaboration de la politique énergétique, telle est la volonté de Christian Leysen (Open VLD), président de la commission de l’énergie, de l’environnement et du climat à la Chambre. Son objectif est que les députés «puissent approfondir le sujet, aller plus loin que le souci de la gestion journalière. Il faut faire attention à ne pas s’enliser à nouveau dans le court terme» dans le dossier énergétique, défend-il.
Le libéral avait déjà convoqué, le 30 août, une commission pour entendre le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), et la ministre de l’Energie, Tinne Van der Straeten (Groen), au sujet des négociations en cours avec Engie sur le redémarrage des réacteurs de Doel 4 et Tihange 3. Il appartient aussi au Parlement, selon lui, de veiller à ce que «les grandes lignes de l’accord avec Engie soient opérationnelles», sans oublier les dimensions à plus long terme que sont le déclassement des centrales et le stockage des déchets. «On parle ici de décisions qui engagent au moins trois législatures, la prolongation des réacteurs étant de dix ans. Pour le déclassement des centrales et le stockage des déchets, les échéances sont encore beaucoup plus longues», ce qui mérite une appropriation du sujet avec «un support politique aussi large que possible», impliquant autant que faire se peut le fédéral et les autres niveaux de pouvoir.
Christian Leysen cite l’exemple du Danemark, «où le monde politique parvient à établir la politique énergétique au moyen de plans à dix ans». Il annonce d’ailleurs l’envoi d’une délégation parlementaire dans ce pays début novembre.
Cette prise en main par le Parlement doit aussi valoir, d’après le libéral, pour établir un équilibre du marché «et une vision à long terme qui soit réaliste, en matière de transition énergétique, dont on a parfois surestimé la vitesse de mise en œuvre».
Une autre commission parlementaire a permis, le 13 septembre, à la Creg (commission de régulation de l’électricité et du gaz) d’être auditionnée par les députés et d’émettre ses recommandations sur la prolongation du tarif social et, à propos des surprofits, sur l’augmentation de la contribution de répartition imposée aux producteurs d’énergie.
Différents groupes avancent leurs pions. Le PTB remettait au menu de la commission de ce 20 septembre sa proposition de loi sur la taxation des surprofits. Une proposition du PS entend aussi confier à la Creg une mission d’analyse approfondie des prix pratiqués, avec la possibilité d’instaurer des mesures fiscales sur les «bénéfices exceptionnels», le cas échéant. Ce texte vise aussi à soutenir le blocage des prix à l’échelon européen. Dans un autre registre, la N-VA défend une proposition de loi promouvant l’ouverture aux «formes nouvelles et innovantes de production d’électricité nucléaire».
Débattre des propositions de loi, exercer le contrôle du gouvernement, auditionner des experts et questionner les ministres font bien partie des missions des parlementaires. Mais alors que le gouvernement est à la manœuvre, ce travail peut-il apporter une part de la réponse au problème?
Publicité et transparence
«Les échanges qui se tiennent au Parlement permettent de nourrir la réflexion gouvernementale, assure Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre. Il ne faut pas négliger cette dimension. C’est au Parlement qu’on organise des auditions, qu’on entend les partenaires sociaux aussi. Cela permet de rendre le débat public, d’indiquer à la population que c’est une réelle préoccupation parlementaire. Quand il y a un ras-le-bol parmi la population, il doit pouvoir trouver un écho dans l’enceinte du Parlement.»
«Les débats au Parlement ont le mérite de l’ouverture et de la transparence, à l’égard des médias et du public, estime aussi le chef de groupe écologiste, Gilles Vanden Burre. Quand on auditionne le secteur de l’énergie en commission, on peut le voir comme un moyen supplémentaire d’exercer une pression, mais aussi d’apporter des éclairages et comprendre où on peut trouver des solutions.»
Le sujet énergétique ne se cantonne pas à la commission de l’énergie, d’ailleurs. «Les écologistes ont la présidence des commissions de l’économie et des affaires sociales. On peut aussi y programmer des auditions, ou mettre en place des dossiers liés à la précarité énergétique, au rôle des banques dans la crise, etc.»
«Il y a beaucoup de sujets sur lesquels les députés peuvent avancer, le travail ne manque pas», assure le chef de groupe MR, Benoît Piedboeuf. Et de citer, par exemple, le travail à long terme sur l’indépendance énergétique, la transition, le découplage des prix du gaz et de l’électricité, l’augmentation des revenus à travers la réforme fiscale, la politique des fournisseurs en matière de contrats fixes, etc. Le tout s’inscrit dans un contexte compliqué, alors que se prépare l’épure du budget 2023, prévient le libéral.
Les décisions sont prises par quelques présidents de parti et quelques vice-Premiers ministres.
Catherine Fonck (Les Engagés)
«Mettre la pression maximale sur le gouvernement pour permettre aux familles, aux entreprises et aux indépendants de survivre, tel est le rôle que peuvent exercer les députés, en particulier de l’opposition, selon Catherine Fonck (Les Engagés). Il est important aussi de mettre le doigt sur ce dont on ne parle pas. Je pense aux hôpitaux, qui doivent eux aussi faire face à l’augmentation des coûts de l’énergie, du matériel, etc. Rien que pour eux, les surcoûts de la facture énergétique se chiffrent à 500 millions d’euros. Je rappelle que le gouvernement n’a pas indexé complètement les honoraires et que le financement des hôpitaux est une enveloppe fermée.»
Se faire entendre
Plus globalement, le temps est venu, pour Catherine Fonck, de dépasser la logique politicienne pour élaborer «un projet énergétique et climatique fort pour la Belgique, avec une approche solide, des objectifs chiffrés, une obligation de résultats.» La députée d’opposition l’exprime avec une pointe d’incrédulité. «La réalité de la Vivaldi, c’est que c’est une oligocratie. Je ne vous parle même pas de l’ensemble de la majorité. Les décisions sont prises par quelques présidents de parti et quelques vice-Premiers ministres.»
Où se situe le pouvoir? Pas au Parlement, c’est en tout cas le point de vue du PTB, qui milite haut et fort pour une taxation des surprofits. Selon la cheffe de groupe Sofie Merckx, «on finit même par se demander si le pouvoir est au gouvernement. On a réellement l’impression qu’ils se sont mis à plat ventre en concluant un deal secret avec Engie sur la prolongation des réacteurs, fin juillet. Le gouvernement annonce une taxation des surprofits, mais on ne voit rien venir. Or, selon le service d’études du PTB, Engie réalisera neuf milliards d’euros de surprofits» sur la période 2021-2024. «La taxe actuelle n’en prélèvera que 17%», s’insurge la députée d’extrême gauche, qui craint que la situation reste inchangée.
Faire bouger les lignes, exercer une pression depuis le Parlement, tout en s’appuyant sur la mobilisation de la rue, cela reste néanmoins le credo du PTB. Qui invoque régulièrement un de ses «totems» pour affirmer que ce travail-là de l’opposition peut payer: la mise en place du Fonds Blouses blanches à partir de l’automne 2019.
«En temps d’urgence, c’est le gouvernement qui dispose de la majeure partie des leviers et il appartient au Parlement d’effectuer son contrôle sur le gouvernement, dont nous avons déploré l’attentisme, tout en formulant des contre-propositions», remarque François De Smet (DéFI). Pour le député d’opposition, le Parlement est bel et bien un lieu indiqué pour poser les termes du débat énergétique sur le moyen et le long terme. «Nous vivons une crise de l’indépendance énergétique. C’est maintenant qu’il faut mener une réflexion. Je propose, par exemple, que nous auditionnions à la Chambre des spécialistes comme Jean-Pierre Hansen, ancien patron d’Electrabel, ou l’économiste Eric De Keuleneer», qui plaident pour davantage de régulation des tarifs. «Pourquoi pas Damien Ernst, aussi», le professeur de l’ULiège expert des énergies.
L’idée consiste encore et toujours à nourrir la réflexion, voire faire percoler les idées, y compris depuis les bancs de l’opposition.
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