« Quand son enfant médecin-assistant se suicide » (témoignage)
« Il y a 18 mois, son papa et moi avons retrouvé Marie, notre trésor, morte à l’hôpital où elle travaillait. Elle s’y est suicidée quelques jours après ses 30 ans. » Témoignage du Dr Christine Liégeois-Dom, pédopsychiatre et maman de Marie.
Le statut des assistants-médecins occupe le débat politique depuis quelques semaines. Le Vif publie un témoignage susceptible de l’éclairer de façon poignante.
Même si le suicide reste un geste mystérieux et personnel, nous avons la conviction que les conditions d’assistanat y ont largement contribué et ce à trois niveaux que je souhaiterais vous faire comprendre et illustrer. Marie était en 4ème année de pédopsychiatrie lorsque son parcours s’est interrompu.
La charge de travail
Beaucoup a déjà été dit sur ce sujet : le nombre d’heures exorbitant, la fatigue et la crainte de mal faire qu’elle entraîne. Mais je voudrais y ajouter l’organisation chaotique et l’impossibilité de s’adonner aux activités qui vous ressourcent ; vous ne faites plus que travailler, manger (mal) et dormir.
Même si le suicide reste un geste mystérieux et personnel, nous avons la conviction que les conditions d’assistanat y ont largement contribué
Marie aimait danser, marcher (elle avait parcouru le chemin de Saint-Jacques, marché dans l’Himalaya) et souhaitait découvrir la méditation. Mais dès sa première année d’assistanat en psychiatrie, plus rien ne fut possible.
Elle est arrivée fraîchement diplômée dans un service en pénurie au niveau du cadre des assistants (l’effectif fut doublé l’année suivante, notamment grâce au militantisme de notre fille) et aux prises avec un triple rôle : le service de psychiatrie proprement dit, les intramuros (avis aux autres services) et les urgences. Un jour où je l’avais au téléphone, les trois ont appelé en même temps, elle ne savait littéralement où donner de la tête. Très souvent, elle ne dînait pas et terminait à 21h.
Ses gardes étaient appelables, ce qui signifie non payées et non comptées dans l’horaire, mais il était cependant obligatoire de revenir les deux jours du week-end non seulement pour son service mais également pour les autres unités de psychiatrie et les intramuros, sans oublier les urgences. Et le lundi, elle reprenait comme si de rien n’était…
Vous ne faites plus que travailler, manger (mal) et dormir
La qualité de la formation
La formation peut s’envisager à plusieurs niveaux : l’accompagnement sur le lieu de travail, le temps qui vous est laissé pour lire et réfléchir et, dans le cas de la psychiatrie, un cursus en psychothérapie, bien utile pour ne pas être qu’un prescripteur de psychotropes. En ce qui concerne l’accompagnement, si les réunions d’équipe sont formatrices et que parfois des temps de supervision lui étaient accordés, Marie devait assumer seule, en première année, une consultation sans jamais avoir eu l’occasion d’être observatrice de consultations menées par ses aînés.
Lors de sa première garde, effectuée seule également, elle a dû gérer une situation de grande violence qui s’est achevée, pour le patient, par une privation de liberté (mise en observation), ce qui est une décision majeure. Certes, elle a pu en référer à son patron mais seulement par téléphone. Cette garde eut un effet traumatique. Il me semble que les premiers actes devraient toujours être accompagnés, d’autant plus que les études de médecine sont particulièrement pauvres en psychiatrie.
Il me semble que les premiers actes devraient toujours être accompagnés, d’autant plus que les études de médecine sont particulièrement pauvres en psychiatrie.
En ce qui concerne le temps pour lire et se documenter, il est réservé aux dimanches si l’on n’est pas de garde.
Quant à la formation en psychothérapie, la position du responsable académique était paradoxale. Il faut bien sûr se former. Toutefois, il fut expliqué à Marie durant sa 3ème année d’assistanat, et dans un service pourtant universitaire, qu’elle dépassait (de peu) les quotas de formation autorisés. Or il n’était pas possible de moduler ce cursus, pourtant organisé par la même université. Dès lors et nonobstant ses dépassements du soir, lesquels ne résultaient bien entendu que de sa « mauvaise organisation », elle devrait donc récupérer les heures « dues » en venant une heure plus tôt le matin. On imagine sans peine l’amertume que ce genre de mesquinerie suscite.
Le soutien
Que dire du soutien ?
Le premier soutien serait de reconnaitre ces conditions difficiles sans recourir à l’argument fallacieux (j’en témoigne) « c’était pire avant » qui permet de justifier tous les abus et donne ses lettres de crédit à une terrible indifférence.
Ce management était celui du chaud et froid. Vous assumez votre travail quelle qu’en soit la charge. On loue alors vos qualités de finesse, d’intelligence, de sensibilité, la justesse de votre intégration et bien sûr votre engagement. Mais si vous montrez une fatigue pourtant légitime et dénoncez le système abusif qui ne remplit pas son obligation de formation et abîme votre rapport au patient, vous devenez quelqu’un de « fragile » « qui ne sait pas assumer sa position de médecin »… Bref si le système dysfonctionne, c’est vous qui êtes en tort.
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Aux funérailles de Marie, un de ses chefs de service à qui je faisais part de la charge de travail m’a rétorqué qu’ « il [fallait] bien se rendre compte que certains sont plus fragiles »… J’en reste encore stupéfaite. Sa mort-même n’induisait aucune remise en cause ni question.
Quelques mois auparavant, un médecin spécialiste du burnout l’avait diagnostiqué chez elle et avait insisté pour un arrêt de travail. Elle l’avait refusé pour ne pas allonger un assistanat qui ne répondait pas à ce dont elle rêvait, ni pour elle ni pour ses patients, mais aussi pour éviter un discrédit qu’elle pressentait. Se dire en burnout, c’était courir le risque d’être blâmée. Elle espérait que son nouveau poste à l’étranger, plus adéquat et bienveillant, la soulage. Mais il était sans doute trop tard.
Comme le disent ses amies, Marie était faite pour ce travail qu’elle adorait, impliquée, consciencieuse et douée. Elle n’était par contre pas faite pour bâcler les choses sous la pression et vivre avec le sentiment de ne pas donner à ses patients la qualité de soins qu’ils méritent.
Marie était faite pour ce travail qu’elle adorait, impliquée, consciencieuse et douée. Elle n’était par contre pas faite pour bâcler les choses sous la pression et vivre avec le sentiment de ne pas donner à ses patients la qualité de soins qu’ils méritent.
Elle avait été en stage quatre mois au Kivu, y avait travaillé dans le service du Docteur Mukwege, avait publié sur le trauma. Elle avait été volontaire dans une clinique médico-chirurgicale au Burundi, dans un camp de réfugiés en Ouganda et s’était toujours avérée adaptée à la situation, même face à des situations de grande détresse. Est-ce cela être « fragile » ?
Marie avait un amoureux, une famille, des amis, aurait pu soigner avec bonheur des centaines d’enfants et rêvait de faire de nous des grands-parents.
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