Quand Paul Magnette présente aux hauts cadres du PS son enquête électorale secrète
Le 21 avril, enquête par «focus groups» à l’appui, Paul Magnette a montré au «G40» du PS, réuni à Quaregnon, les atouts et les failles du parti en vue des élections de 2024.
En mars 1894, un congrès du Parti ouvrier belge (POB) adoptait une déclaration de principes – la charte de Quaregnon – écrite par l’illustre Emile Vandervelde et toujours formellement d’application au sein du Parti socialiste d’aujourd’hui. Théoricien volontiers friand de symboles, qui sait qu’Hegel avait écrit quelque part que l’histoire se produit pour ainsi dire toujours deux fois, praticien toujours attentif aux rapports de force, qui sait qu’un parti est fait d’équilibres géographiques, Paul Magnette avait réuni, le 21 avril, un «G40» dans la commune boraine.
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Il s’agissait d’inviter les étoiles socialistes à admirer un retour immobilier aux racines du mouvement: l’ancien bourgmestre, et actuel député wallon et vice-président de la fédération d’arrondissement, Jean-Pierre Lepine est allié au président fédéral Nicolas Martin, qui est lui-même allié au président national Paul Magnette, et les archives de l’Institut Emile Vandervelde (IEV), ainsi que le siège de la fédération de Mons-Borinage, ont été délocalisés là, dans un ancien centre de tri de bpost.
La préoccupation majeure des dirigeants socialistes se résume en trois lettres: PTB.
Mais il ne fut pas question, ce jour-là à Quaregnon, que de briques, de mètres de linéaires et de principes. Après avoir invité à dîner son G9 – le petit groupe, extrastatutaire, des principaux ministres et des vice-présidents – et avant l’inauguration des lieux prévue en fin d’après-midi, Paul Magnette a également voulu convier les plus hauts responsables socialistes à un exposé analytique et stratégique en vue de 2024, agrémenté de discussions sur l’actualité. Et là, Paul Magnette présenta un PowerPoint de trois heures là où Emile Vandervelde avait fait voter une charte de dix paragraphes.
Le G40 est une instance aussi peu statutaire que le G9. Il rassemble les présidents des quatorze fédérations, les ministres, les présidents d’assemblée et les chefs de groupe parlementaire, notamment. Paul Magnette en avait déjà convoqué deux ces dernières années, à chaque fois pour des journées studieuses – et puis un peu festives –, d’abord à Nivelles puis à Wanfercée-Baulet, journées pendant lesquelles étaient entre autres discutés les résultats d’une enquête par focus groups – composés d’électeurs de tous les partis, spécialement des citoyens qui ont modifié leurs préférences électorales dans les récents scrutins et qui ont été soumis à des entretiens qualitatifs – menée au long cours par une société spécialisée.
La séance du 21 avril à Quaregnon a été inaugurée par les premiers seconds du Carolo. Laurent Pham, secrétaire général du PS après avoir été le fidèle secrétaire de la fédération de Charleroi, a décrit le calendrier de l’année menant aux élections: mi-décembre, les deux premiers candidats de chaque liste seront annoncés, et mi-février les listes complètes. Frédéric Masquelin, porte-parole du parti après avoir été le fidèle porte-parole du ministre-président wallon Paul Magnette, a comparé la présence médiatique et sur les réseaux sociaux du PS, de ses figures et de ses adversaires. Letizia De Lauri, conseillère à l’IEV, a également fait un court exposé. Elle remplaçait le directeur Amaury Caprasse, absent pour raison médicale.
Les «slides» présidentiels ont ensuite entamé leur long et frénétique défilé. Des résultats dégagés par les focus groups ont émergé une ébauche de stratégie pour une formation à la peine, sortant du scrutin le plus mauvais de son histoire, et confrontée à de nouvelles affaires questionnant la moralité de certains de ses élus.
La « gauche des allocs »
La préoccupation majeure des dirigeants socialistes se résume en trois lettres – PTB – ainsi qu’en un concept qu’elles incluent, le travail. Le PTB a en effet, ces dix dernières années, attiré des dizaines de milliers d’électeurs issus des catégories populaires qui, auparavant, portaient leur choix sur le Parti socialiste. Leurs deux électorats, et en cela les focus groups confirment les enquêtes de sociologie électorale, partagent certaines grandes caractéristiques sociodémographiques et idéologiques. PTB et PS séduisent surtout des électeurs proportionnellement moins diplômés et aux revenus plus faibles que leurs concurrents, et des électeurs aux convictions bien ancrées à gauche. Mais des différences existent, qui sont toutes désavantageuses pour le Parti socialiste. Ses électeurs sont plus âgés. Il attire beaucoup moins de femmes que le PTB (et que l’ensemble des autres partis, selon l’enquête, qui dénombre deux tiers d’hommes pour un tiers de femmes dans l’électorat socialiste). Et ses électeurs sont beaucoup moins actifs que ceux de son jeune rival communiste. Le PS est perçu comme plus protecteur par les allocataires sociaux, les chômeurs, les malades et les pensionnés, tandis que le PTB recrute plutôt chez les actifs. «C’est la gauche des allocs contre la gauche du travail», a-t-on même alors entendu. Le président au PowerPoint a évoqué un exemple type de profil professionnel désormais passé au PTB: la travailleuse des titres-services ne se sent pas ou plus protégée par le PS, contrairement à une toujours large fraction des allocataires sociaux.
Que faire?
Pour les socialistes, la surpondération masculine doit être compensée par une plus grande attention aux questions de genre, principalement abordées sous un angle social. Au PS, le «congrès social féministe» du 2 avril dernier a matérialisé ce tournant stratégique, comme, espère-t-on au boulevard de l’Empereur, le travail de Karine Lalieux aux Pensions et à la Lutte contre la pauvreté au fédéral, et celui de Christie Morreale aux Affaires sociales à la Région wallonne. Les conclusions du congrès du 2 avril, y compris les modifications statutaires qui auraient eu pour effet de davantage féminiser des instances déjà plutôt paritaires, ne sont toutefois pas contraignantes. Rien ne dit donc que ces recommandations seront suivies d’effets.
La reconnexion avec les catégories inférieures de salariés, contre la pesante catégorisation en «parti de la sieste» que véhiculent les adversaires, doit se marquer par des initiatives sur la fiscalité en particulier. L’idée est simple, sa mise en œuvre difficile: on ferait baisser la pression fiscale sur les publics ciblés de «brebis égarées» (les jeunes actifs ouvriers et employés, les travailleurs à faible revenu et à statut précaire, ou en fin de carrière), sans «définancer» la collectivité puisque «les épaules les plus larges», elles, contribueraient davantage. Les discours du 1er mai, partout, ont poussé sur cette focale fiscale. Mais le PS s’est malgré tout fait enfermer dans son enclos de «gauche des allocs» par le Premier ministre Alexander De Croo et l’Open VLD qui, bien aidé par Conner Rousseau, a fustigé, le soir du 30 avril à Blankenberge, un PS opposé à sanctionner davantage les chômeurs.
La travailleuse des titres-services ne se sent pas ou plus protégée par le PS.
L’enquête par focus groups a soulevé un autre problème dans l’équation électorale socialiste: les électeurs du PTB, qui sont très nombreux à venir du PS, sont très solidement attachés à leur nouveau choix.
Ils sont parmi les moins indécis quant au prochain scrutin, ce qu’un morceau de slide résume comme «un vote refus irrécupérable», même si une partie, si la dynamique de campagne est favorable, n’est pas considérée par Paul Magnette comme définitivement perdue. Il faudra alors mettre en avant les rares atouts concurrentiels dont le PS dispose: la proximité et la pression au vote utile. Les électeurs écologistes de 2019, eux, sont nombreux à se montrer hésitants pour 2024. Le PS, écosocialisme en bannière, espère aller en chercher là quelques-uns. Ils constituent, avec ces «chrétiens de gauche» désorientés par la transformation du CDH en Les Engagés, et que le président socialiste estime à 2%, les marges de récupération de l’héritier du POB.
Les écolos qui «font chier»
Les derniers slides de l’héritier de Vandervelde évoquaient les enjeux sur lesquels se cristallisera, probablement, la campagne. La fatigue post-Covid engendrant un grand besoin de protection, la tension entre pouvoir d’achat et lutte contre le réchauffement climatique, le risque communautaire, la justice fiscale et l’équité entre travail et allocations ont alors été cités. On a aussi, bien entendu, parlé de l’éthique en politique et des dangers de l’antipolitique. C’est à ce moment que plusieurs socialistes se sont poliment réjouis des tourments qui frapperaient bientôt Sarah Schlitz, grande propagatrice de logos personnels, parce que les écolos, sur ces sujets dits de gouvernance, «ils font chier».
André Flahaut s’est alors emparé du moment pour répéter ce qu’il avait dit à La Libre sur les suppléments de pension, à savoir qu’ils n’avaient rien d’illégal ni d’illégitime, et a déploré les excès d’une presse en recherche de scandales.
Il fut alors un peu recadré par son président.
Philippe Close, bourgmestre de Bruxelles, en profita pour replacer une tirade qu’il avait inaugurée au G40 de Nivelles: «On a un problème avec l’argent dans ce parti», a-t-il répété, avant d’expliquer sa méthode pour le contourner. «Ce qu’il faut, c’est de la transparence. Moi, je donne mon salaire, 5 100 euros comme bourgmestre, 900 ailleurs, et puis on n’en parle plus.» Il a été applaudi par quelques-uns à Quaregnon, plus qu’à Nivelles. Pas par ceux qui se croient aussi crédibles que les aïeux de 1894.
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