Quand Jésus est sur TikTok : plongée dans le monde des influenceurs cathos
De jeunes missionnaires 2.0 cartonnent sur les réseaux sociaux. Quel est leur message ? Qui sont leurs abonnés ? Comment réagit l’Eglise ?
«Coup de gueule.» L’intitulé de l’une des dernières vidéos de Thomas Remy, un jeune Belge fondateur d’une chaîne catho sur YouTube il y a trois ans, donne le ton de son intervention. «Je me suis énervé à la lecture de commentaires publiés sur certains forums, nous raconte-t-il. Des internautes me traitent d’hérétique! Un comble, alors que je n’ai rien d’un prédicateur allumé, comme il en existe tant. Je me contente de vulgariser les fondements de la théologie chrétienne. Je privilégie le questionnement, même si je peux avoir des avis tranchés sur certains sujets.»
Le youtubeur de 29 ans a créé sa chaîne pour «apporter des réponses argumentées aux détracteurs de l’Eglise et aux contrevérités propagées sur le christianisme», précise-t-il. Professeur de religion catholique dans l’enseignement secondaire à Wavre et étudiant à la faculté de théologie de l’UCLouvain, Thomas Remy est un ex-athée dont la conversion remonte à six ans à peine. Le jeune vidéaste se définit comme un «catholique conservateur», mais tient à se démarquer du courant traditionaliste identitaire, «de loin le plus visible sur les réseaux sociaux».
Phénomène en plein essor
Le jeune homme consacre son temps libre – et souvent ses nuits – à alimenter sa chaîne, qui compte aujourd’hui 3 800 abonnés. Les 118 vidéos postées depuis juillet 2020 ont fait plus de 150 000 vues. «C’est une activité chrono- phage, surtout les montages», avoue Thomas Remy, qui a ajouté à ses monologues face caméra quelques interviews d’auteurs chrétiens.
Fin septembre 2022, le youtubeur s’est rendu à Paris pour participer à la «Nuit des influenceurs catholiques». L’événement a rassemblé une quarantaine de jeunes qui affichent leur foi sur le continent numérique pour y «faire rayonner le Christ». Le phénomène des influenceurs catholiques est en plein essor depuis le confinement. Il a émergé dans la foulée de la vogue des «influenceurs», ces jeunes qui développent une communauté et tentent, par leurs posts, photos et vidéos parfois rémunérés par des marques, d’influer sur le comportement d’achat de leurs followers.
Le phénomène des influenceurs cathos est en plein essor depuis le confinement.
Sœur Albertine, star des tiktokeuses cathos
Présente à la soirée parisienne, Albertine Debacker, alias sœur Albertine, 28 ans, est l’une des stars cathos 2.0. Originaire de Lille, membre de la communauté du Chemin-Neuf à Lyon et en charge de l’aumônerie d’un lycée de la ville, elle compte 118 000 followers sur Instagram et presque autant sur TikTok, un chiffre qui ne cesse de grimper. Avec une énergie toute juvénile, elle embarque ses abonnés dans son quotidien de religieuse. «Tombée amoureuse de Dieu à 16 ans, j’ai décidé de lui consacrer ma vie, raconte- t-elle dans une vidéo. Ce qui me drive, ce n’est pas de faire un maximum de convertis sur Internet. Je ne me sers pas des réseaux sociaux dans le but de manipuler. Il n’y a ni stratégie ni business model dans ma démarche. Ma priorité est de casser les clichés sur les religieuses, de faire comprendre qu’elles ne sont pas toutes âgées, tristes et inaccessibles!»
Sœur Albertine déplore le peu de place laissée aux femmes dans l’Eglise. Dans ses contenus les plus vus, des vidéos d’une à deux minutes, elle parle de ses cheveux, qui ne peuvent dépasser 22 centimètres de longueur, signale qu’une religieuse «n’est pas asexuée», ou constate que ses abonnés lui posent souvent les mêmes questions: «T’as le droit de faire du sport?», «Tu peux t’habiller comme tu veux?», «Tu peux quand même te maquiller?»… «Comme si la vie religieuse se résumait à deux colonnes: j’ai le droit, je n’ai pas le droit», commente-t-elle.
Jeunes en quête de repères moraux
La jeune religieuse retient l’attention jusqu’en Belgique. «Sa façon de parler, avec cœur et conviction, est fort sympathique, estime Tommy Scholtes, porte-parole des évêques belges. Le phénomène des influenceurs catholiques francophones est surtout français, mais les réseaux sociaux n’ont pas de frontières.» Les Christfluencers, comme on les appelle dans le monde, «touchent des jeunes en quête de spiritualité et de morale, sans éducation ou culture religieuse», indique l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi). «Ces nouveaux jeunes catholiques cherchent avant tout des repères moraux et un code de bonne conduite», poursuit l’association.
Le frère Paul-Adrien d’Hardemare, initiateur de la première soirée consacrée à l’évangélisation en ligne, est, lui aussi, un «créateur de contenus» religieux très populaire. Prêtre de 42 ans, il comptabilise 41 000 abonnés sur Instagram, 55 000 sur TikTok, 227 000 sur YouTube. Il a créé une chaîne Twitch en 2020 et a réuni une communauté sur le service Discord. Depuis son studio aménagé dans son couvent dominicain, il commente l’actualité de l’Eglise et aborde les questions de société. «Il est dynamique et efficace, mais son discours missionnaire radical et sans nuance ne peut atteindre que des croyants très convaincus, juge le youtubeur belge Thomas Remy. Sa vidéo L’apocalypse, les 10 signes de la fin du monde, a dû consterner plus d’un bibliste.» Dans une autre vidéo, qui a accumulé pas moins de 133 000 vues en trois mois, le sensationnalisme racoleur est également au rendez-vous. Le prêtre avance «7 preuves que Jésus est ressuscité, auxquelles les irréductibles athées persuadés du mensonge du christianisme seront incapables de répondre».
Traditionalistes choqués
Figure la plus influente des tiktokeurs cathos français, le père Matthieu Jasseron, 38 ans, curé de la paroisse de Joigny, en Bourgogne, a adopté un registre pédagogique beaucoup plus progressiste pour annoncer la Bonne Nouvelle. Certaines de ses vidéos ont même suscité de vives réactions. Dans l’une d’elles, il salue la mise en place, en Flandre, d’une célébration de prière pour les homosexuels. «Il n’est marqué nulle part, ni dans la Bible ni dans le catéchisme de l’Eglise catholique, que pratiquer l’homosexualité est un péché», remarque-t-il. A propos du diable, il déclare que «le principe d’une entité malveillante qui pousse à mal agir est un conte pour enfants». Ces propos ont scandalisé des catholiques traditionalistes. Des plaintes ont été adressées à Rome et à son évêque. Ordonné en 2019 après une première vie dans la gestion de patrimoine, le père Matthieu est suivi par plus d’1,2 million d’abonnés sur TikTok et a lancé cette année une plateforme Internet au slogan vendeur: Theostream, «le Netflix de la foi». L’initiative, soutenue par les évêques de France, vise à donner plus de visibilité aux vidéos de youtubeurs chrétiens de toutes obédiences.
En Belgique, Thomas Sabbadini, jeune curé de paroisse en région liégeoise et youtubeur, a eu son petit succès en 2021 (7 400 abonnés). Ses vidéos les plus regardées («Le pape François est-il communiste?», «Pourquoi des hosties pour la messe?»…) ont totalisé 6 000 à 7 000 vues. Toutefois, il a dû interrompre provisoirement cette activité pour se consacrer à ses paroissiens. Thomas Remy, le vidéaste de Louvain-la-Neuve, a appelé sa chaîne YouTube Foi et raison. Tout un programme. «A la différence d’influenceurs catholiques au discours axé sur la prière ou le mysticisme, j’évite de spiritualiser mon propos, prévient-il. Je reste très terre à terre pour toucher non seulement des catholiques, mais aussi des agnostiques.» Thématiques de ses vidéos: la violence dans la Bible, le créationnisme, les liens entre foi et neurosciences, la légitimité de l’Eglise… Avec souvent, en guise d’accroche, une question: toutes les religions se valent-elles? , peut-on se représenter l’au-delà? , pourquoi le célibat des prêtres? , le concile Vatican II a-t-il vidé les Eglises? , etc.
Contrevérités et fausses révélations
Le jeune vidéaste belge reproche à certains de ses confrères chrétiens actifs sur les réseaux sociaux leur «manque de rigueur intellectuelle»: «Les jeunes catholiques sans formation religieuse sont bernés par des contrevérités, légendes et fausses révélations sur Jésus, l’Eglise et la foi. Les boniments et allégations de farfelus et pseudospécialistes donnent une image caricaturale de la religion et sont du pain bénit pour les youtubeurs et internautes athées et sceptiques, prompts à qualifier les chrétiens d’adeptes de vieilles superstitions et croyances infondées.»
L’Eglise belge ne prend pas assez en compte le phénomène des influenceurs cathos.
Thomas Remy estime aussi que l’Eglise belge «ne prend pas assez en compte le phénomène des influenceurs cathos, alors que leurs messages ont un impact sur des jeunes en quête de sens». Les Eglises sont, selon lui, plus réactives dans les autres pays francophones, en particulier en France. «Nous encourageons la liberté de parole du peuple de Dieu, assure Tommy Scholtes, directeur de la communication des évêques de Belgique. Néanmoins, si un prêtre décide d’afficher sa foi sur les réseaux sociaux, il est souhaitable qu’il avertisse sa hiérarchie.»
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