Christine Laurent

Quand ça décalotte…

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Il a fait frémir les pages des journaux de toute la planète. Et a crevé les écrans télé. Le pape François a enfiévré la presse. Il arrive que la vertu paie, et cette fois-ci non seulement auprès des croyants, mais bien aussi de certains mécréants. Avec lui, ça décalotte. Humilité, douceur, parler vrai, compassion, amour, ce jésuite à sensibilité sociale fait mieux que passer la rampe.

Tout seul, avec bonhomie, il frappe, juste et bien mieux que toute une escouade de communicants. Inspiré, il est descendu de l’Olympe, il a ouvert les bras, accueilli, embrassé. Le poids des images, le choc des mots.

Pour les images, rien que des temps forts : la ferveur des pauvres dans les favelas devant lesquels il s’est fait tout petit, tandis que d’autres leur donnent leur bague à baiser ; la coiffe à plumes de l’Indien Pataxo qu’il a joyeusement plantée sur sa tête ; les trois millions de jeunes enthousiastes venus le voir et l’écouter sur le sable de Copacabana ; les évêques, chasubles au vent, qui se tortillent sur une musique (presque) endiablée… Etonnant ! Mais c’est bien avec les mots que François, sept millions de followers sur Twitter, nous a soufflés. « Dialogue, dialogue, dialogue », a-t-il asséné, exhortant les fidèles à « mettre la pagaille dans les paroisses ». « L’Eglise doit sortir dans la rue, sinon elle deviendra une ONG. » Objectif : reconquérir les brebis égarées, les catholiques à l’identité flottante qui l’ont fuie, pour les ramener dans « une Eglise qui réchauffe le coeur ».

Réenchanter le rêve… Voilà les ouailles invitées par le « Poverello » (tout comme saint François d’Assises qui l’inspire) à s’entraîner pour devenir « les athlètes de Dieu », prêts à mener la « Révolution de la tendresse ». Pour les encourager, il leur a égrené en prime tout un chapelet, brossant, d’une perle à l’autre, la fresque d’une Eglise idéale au service des plus démunis.

Mais en évitant soigneusement d’évoquer les sujets qui fâchent : mariage des homosexuels, célibat des prêtres, et tout le toutim. Car ce pape-là, s’il est conservateur (même s’il a montré quelques ouvertures à l’égard des femmes et des gays), est aussi un malin. Et puis à ses yeux, le message chrétien est ailleurs. Doit-il d’ailleurs nécessairement être en phase avec tous ? « En un sens évidemment ; en un autre pas. Pas plus que le Christ lui-même, explique le philosophe catholique Jean-Luc Marion dans L’Express du 24 juillet dernier. Les chrétiens sont à la fois dedans et à part. Il y a d’autres lois que celles de la cité, même si cela ne veut pas dire qu’ils s’opposent à elle. Pour le dire une fois avec François : « Seul ce qui est donné n’est pas perdu ». Le don contre l’auto-affirmation de la volonté. »

Pas simple comme concept, mais intéressant. Et puis n’attend-on pas d’abord du pape nouveau-né qu’il réforme l’Eglise, ce à quoi il semble s’atteler avec jubilation ? Mais le plus interpellant, ce n’est pas tant ses gestes, ses actes, ses poses. Mais bien l’émotion soulevée un peu partout par un discours confondant de simplicité et d’humanité. Une émotion qui permet de mieux mesurer combien l’Eglise, au fil des siècles, a délibérément tourné le dos aux Ecritures. Car en réalité, François ne fait que réciter son catéchisme de base. Avec grâce, certes, et sans fatras idéologique. Mais le monde entier découvre, stupéfait, que oui, derrière les fastes et les ors du Vatican, il y a « paroles d’Evangile » tout entières orientées vers les pauvres. Juste retour aux sources.

Christine Laurent

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