Publifin : les Liégeois resserrent les rangs
L’avenir de l’empire Publifin est entre les mains des trois partis traditionnels au niveau provincial. Les équipes se mettent en place pour défendre chèrement l’indépendance principautaire.
Vers un come-back de Stéphane Moreau à la tête de Nethys ? Qui pour s’opposer au retour du gladiateur dans l’arène ? Qu’on se le dise : les Liégeois sont les seuls propriétaires de Publifin/Nethys à travers la Province (61,1 %) et les communes associées, principalement, de la région liégeoise (38,4 %). Pas la Wallonie. Pas les Namurois, les Brabançons ou les Hennuyers. Encore moins les Bruxellois. Malgré les salaires abusifs et un système perverti par le secret et l’intimidation, on ne peut pas les exproprier ou les nationaliser contre leur gré. Leur patrimoine, s’il était introduit en Bourse, serait valorisé à près de trois milliards d’euros. C’est du moins ce que prétend André Gilles, président de Publifin (en sursis) et du collège provincial de Liège.
S’ils veulent calmer l’indignation de l’opinion publique, les présidents des partis francophones et le gouvernement wallon doivent tenir tête aux leaders principautaires, lesquels, passé le premier choc, se réorganisent façon tortue. Avec un argument imparable : les règles de la propriété. » Il est inacceptable de dépecer le groupe Nethys « , a prévenu le ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt (PS), dans La Meuse du 9 février. Après le méchant, le gentil. Sur le plateau de C’est pas tous les jours dimanche (RTL-TVI), le bourgmestre de Liège, Willy Demeyer, veut bien tout ce qu’on veut, y compris que le salaire de Stéphane Moreau soit ramené à 290 000 euros par an, mais pas touche au Club des 5. A l’exception d’André Gilles, qui a accepté de ne » pas faire un obstacle de sa personne « , les autres ne bougent pas : Jean-Claude Marcourt, Stéphane Moreau, Alain Mathot, Willy Demeyer.
Rue Louvrex, au siège de Nethys, le message a été reçu cinq sur cinq : la voie est libre pour un retour de l’enfant prodigue, jusqu’ici couvert par un certificat médical. Muettes depuis le début de l’affaire, les organisations syndicales n’ont pas bronché. Et, pour Elio Di Rupo, ce n’est pas non plus un problème puisque l’intéressé a choisi entre Nethys et son mandat de bourgmestre d’Ans, l’unique exigence présidentielle. Si l’on règle le problème des sursalaires et des questions éthiques visant André Gilles, Stéphane Moreau, et maintenant aussi Alain Mathot, la déplaisante parenthèse pourrait peut-être doucement se refermer, espèrent les décideurs liégeois.
La commission d’enquête va durer des mois au parlement de Wallonie, peut-être jusqu’en juin 2018. L’intérêt du public va décroître au fil de la plongée, forcément technique, dans les arcanes de l’intercommunale et de ses filiales privées. Seul élément de suspense : l’audit commandé par le gouvernement wallon, attendu pour fin mars, tout comme l’assemblée extraordinaire de Publifin, fixée au 30 mars prochain : 11 nouveaux administrateurs feront leur apparition, qui seront chargés de réfléchir au devenir de l’intercommunale afin d’arriver au mois de juin avec un plan de bataille. Les Liégeois ne vont pas se faire hara-kiri pour plaire à leurs présidents de parti ou à Paul Magnette. Pour les réformateurs, la fenêtre de tir est étroite. Marcourt en tête, les socialistes plaideront pour un modèle taillé sur mesure, après avoir mis fin aux défauts trop voyants du holding. Ils en ont les moyens. Et le temps joue pour eux.
L’actionnaire majoritaire de Publifin est le conseil provincial de Liège (56 membres). Celui-ci est formé de 21 PS, 17 MR, 8 CDH, 8 Ecolo et 2 PTB. La majorité, depuis trente-six ans, est laïque mais Dominique Drion, chef de groupe CDH au conseil provincial, est souvent considéré comme un membre informel du collège provincial, le » sixième député provincial « . Quand il s’agit de Liège, aucun soutien n’est négligé. Voir le rôle de Jean-Michel Javaux (Ecolo) à la tête de Meusinvest (aide au financement d’entreprise). Aussi sûr que deux et deux font quatre, l’atterrissage de l’affaire Publifin se fera avec l’accord des trois fédérations provinciales : socialiste, libérale et humaniste. » Cela a toujours été le cas, pose un éminent socialiste liégeois. Mais il faut laisser du temps au temps pour construire un consensus. Il n’y avait pas de plan B quand le scandale a éclaté. Le centre de décision se trouvant juridiquement à Liège, ce sont les trois familles politiques, des communes et de la Province, qui doivent trouver la réponse. »
La ministre Alda Greoli au charbon
Les Liégeois ne vont pas se faire hara-kiri pour plaire à leurs présidents de parti ou à Paul Magnette
Les chapeaux à plumes du grand pow-wow printanier sont identifiés au PS (Jean-Claude Marcourt en tant que nouveau coordinateur provincial, avec Willy Demeyer) et au MR (Daniel Bacquelaine, Olivier Chastel, Pierre-Yves Jeholet). Au CDH, la situation est plus confuse. Même si des coups décisifs ont été portés par la base (Cédric Halin) et le sommet (Benoît Lutgen), il y a comme un trou noir dans l’entre-deux. Dominique Drion a disparu du conseil d’administration de Publifin, comme tous les administrateurs CDH mais il est toujours vice-président de Nethys et a conservé ses autres mandats, ainsi que son poste de chef de groupe au conseil provincial (le tout lui ayant procuré 150 000 euros brut en 2015, selon Le Soir). Le CDH liégeois n’a pas d’autre spécialiste du secteur public, alors qu’au MR, Daniel Bacquelaine, actuel ministre des Pensions et président de la fédération du MR, a toujours été au courant de tout ce qui se tramait chez Publifin/Nethys. Pour la transition, l’avocat Drion peut encore être utile. Les centristes renvoient, gênés, à leur présidente d’arrondissement, Vinciane Pirmolin, dont le père, Jacques, a longtemps été le pilier social-chrétien de la Province. Faute de mieux, c’est donc la ministre francophone de la Culture, Alda Greoli, future tête de liste dans la Cité ardente, qui prend en charge le brûlant dossier.
Les politiques liégeois auront à coeur de démontrer que leur empire a une logique économique et qu’il est sous contrôle. Dans son discours fleuve du 26 janvier dernier, André Gilles l’a souligné, » les actionnaires de Publifin sont à même d’imposer leur manière de voir les choses à Finanpart, en ce compris évidemment en ce qui concerne Nethys. » Toutefois, l’existence d’une » unité de direction » ne suffit pas à rassurer sur la légalité de la structure. Où est passé le contrat de gestion précisant la subordination de la SA Nethys à l’intercommunale Publifin ? Existe-t-il seulement ? Et que dit-il ? Que Publifin n’aurait qu’un droit d’information a posteriori ? Question cruciale que doivent se poser les commissaires de Namur ou la justice liégeoise. Car c’est à partir de la privatisation de la filiale Nethys, en 2012-2013, que tout s’est emballé : les salaires et les acquisitions douteuses au regard de l’objet social de l’intercommunale, comme les médias ou la participation dans l’aéroport de Liège.
Deux explications à la forme singulière du holding liégeois, avec ses culs-de-sac, ses portes dérobées et ses passages souterrains débouchant en Flandre, en Serbie ou au Kenya. Un, » c’est un empilement de structures actives ou tombées en désuétude que l’on a gardées au cas où, d’où son caractère très touffu « , admet un artisan de ce système, aujourd’hui retiré des affaires. Deux, » la diversification permet au management de se survivre à lui-même et de prétendre, au fur et à mesure que l’entreprise se développe, à de meilleures rémunérations, à plus de pouvoir et plus de prestige, mais pas nécessairement dans l’intérêt de l’actionnaire, observe Henry-Jean Gathon, professeur d’économie à HEC/ULg. Un classique enseigné dans toutes les écoles de commerce… Hélas, il n’y a pas de service d’études dans les communes. »
Malgré l’unanimisme de façade, certains Liégeois craignent que » la structure Publifin autorise l’usage privé de fonds publics » alors que d’autres continuent à s’extasier devant ce » bel outil industriel « . Pour ces derniers, il ne faut rien lâcher, au nom de l’ancrage local des emplois et des centres de décision. » Le patriotisme liégeois est invoqué par quelques leaders intéressés par l’argent, rétorquent les autres. Il faut opérer délicatement pour mettre au jour la circulation des flux financiers et corriger ce qui doit l’être. Mais en prenant de l’altitude : la majorité provinciale qui a avalisé ce système pendant des années n’est pas la mieux placée pour s’auto-réformer. »
C’est pourtant ce que tente le président de la fédération du MR, Daniel Bacquelaine. » Il faut séparer la distribution de gaz et d’électricité du reste, qui doit être géré sur le modèle de Proximus, une entreprise publique autonome, avec un ancrage public, liégeois mais ouvert au privé, explique-t-il au Vif/l’Express. Le modèle intercommunal est périmé. Dans une commune, l’échevin des Travaux n’a pas besoin d’un conseil d’administration pour diligenter ses travaux. Si la supracommunalité se substitue aux intercommunales, elle peut devenir le bras opérationnel de la Province. C’est plus facile à réaliser à Liège qu’ailleurs en Wallonie mais je ne dis pas que ce modèle doit être le même partout. Un décret peut encore être voté sous cette législature. Cela aurait le mérite de rendre les institutions plus claires. »
Stop ou encore ? Même dans le sanctuaire de Publifin, beaucoup de questions restent ouvertes. La vente de VOO (câble) est une option. Elle rapporterait trois milliards d’euros si l’on transpose la précédente opération de rachat de SFR/Numericable par Telenet. En 2018, Nethys aura fini de rembourser les 425 millions empruntés pour acquérir, en 2007, les huit réseaux de télédistribution wallons. Faut-il mettre en vente ? Ou temporiser ? Le sujet n’est plus tabou. Un ancien de Telenet, Jos Donvil, est déjà dans la place comme directeur de VOO, après avoir piloté la fusion de Base et de Telenet. En cas de vente, le retour sur investissement pour les communes associées et la Province de Liège serait exceptionnel. Cela permettrait au groupe Nethys de se recentrer sur l’énergie et ses diverses et plantureuses participations financières, pas toujours éthiques, comme le montre le scandale Publipart/ Publifin en Flandre. Le sort des Editions de l’Avenir se poserait inévitablement. Rossel est en embuscade. Enfin, la fusion d’Ores et de Resa pour la distribution unifiée du gaz et de l’électricité sur tout le territoire wallon est-elle une idée sérieuse ou simplement destinée à mettre la pression sur les » propriétaires » liégeois ? Difficile de croire que ces derniers soient disposés à partager l’activité historique de l’ancienne Association liégeoise d’électricité. Les mânes des princes-évêques ne s’en remettraient pas.
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