Carte blanche
Publifin : « La démission des lampistes est l’arbre qui cache la forêt »
La dissolution des comités de secteur de Publifin ne suffit pas à régler les problèmes que le scandale a soulevés. Après l’onde de choc, il importe de sortir de l’émotion et de réformer le système des mandats publics de fond en comble, si l’on veut éviter de nouveaux lendemains qui déchantent.
Jamais, de mémoire récente, un scandale politique n’avait autant choqué que celui des rémunérations des mandataires de Publifin dans les « comités de secteur ». Si l’affaire ébranle à ce point notre confiance dans nos représentants, c’est parce qu’elle touche des mandataires locaux, supposément « proches du peuple », « à l’écoute des électeurs », et autres formules souvent creuses. Il ne s’agit pas d’un savant montage avec comptes en Suisse et intermédiaires étrangers: il s’agit de figures familières du paysage politique local, de tous les partis (à l’exception d’Ecolo et du PTB), qui ont perçu des sommes délirantes pour un travail inexistant.
Si le scandale Publifin nous choque autant, c’est parce que techniquement, le système n’a rien d’illégal, alors qu’il s’apparente à du vol en bande organisée et à des emplois fictifs – deux infractions pénalement répréhensibles. Il s’agit simplement d’une combine montée par André Gilles (président de Publifin et député-président de la Province de Liège) et Stéphane Moreau (bourgmestre d’Ans et CEO de Nethys, contrôlée par Publifin). Ces bras armés du PS liégeois visent ainsi à conforter et élargir leurs appétits financiers et économiques, à asseoir leur pouvoir politique, et à s’assurer surtout que personne ne mette en cause le système tentaculaire qu’ils ont mis en place: arrosez tout le monde, et personne ne posera de questions.
Le résultat est une incroyable publicité ambulante pour les populismes et extrémismes de tous bords. Que rétorquer en effet à ceux qui crient « tous pourris »? Les trois grands partis (PS, cdH et MR) qui se répartissent les mandats en région liégeoise sont directement impliqués. On ne peut néanmoins se contenter des pathétiques aveux et promesses de remboursement de quelques mandataires, et penser que le problème sera résolu une fois que les personnes incriminées auront disparu des radars politiques. C’est le sens des trois propositions que nous faisons aujourd’hui.
La démission des lampistes est l’arbre qui cache la forêt
1. La démission des lampistes est l’arbre qui cache la forêt: Stéphane Moreau (PS) et André Gilles (PS) doivent partir
Certains, notamment sur les réseaux sociaux, essaient aujourd’hui de minimiser l’affaire, en faisant croire que le scandale ne serait le fait que de « quelques brebis égarées », dont les démissions résoudraient le problème. Soyons clairs: c’est l’ensemble du système Publifin qui est une écurie d’Augias à nettoyer. Et il faut prendre leçon de ce cas d’école pour se pencher sur l’ensemble du mode de fonctionnement des intercommunales wallonnes, qui sont trop souvent considérées comme des jouets destinés à gratifier et enrichir personnellement leurs mandataires.
Ce ne sont pas les mandataires qui sont intrinsèquement pourris: c’est le système lui-même qui est pourri de l’intérieur, et qui pourrit ses membres. Au point que les promesses de campagne des plus jeunes concernés apparaissent aujourd’hui comme délirantes de cynisme ou de naïveté: c’est le cas de celui-ci, né en 1986, qui promettait de « ré-enchanter la politique » et de « rationaliser les intercommunales »; c’est le cas de cette autre, née en 1984, qui promettait « l’éthique en politique »…
Ce système affairiste qui corrompt les plus nobles ambitions, il a été mis en place à Liège par Stéphane Moreau et André Gilles. Tant que ces deux chefs de clan ne partiront pas, on s’agitera pour rien, on s’indignera pour rien, et les lampistes d’aujourd’hui seront remplacés par d’autres demain. Tant que ces deux-là resteront au sommet de la pyramide, toutes les tentatives de réformer le système depuis Namur – car il semble difficile de croire que le salut viendra de Liège – resteront vaines.
A Liège justement, ne serait-il pas nécessaire que des personnalités comme Jean-Claude Marcourt (ministre wallon de l’Économie) ou Willy Demeyer (bourgmestre de Liège et président de la Fédération liégeoise du PS) s’expriment suite à cette triste affaire? Ne serait-il pas nécessaire que les responsables des différentes fédérations politiques, qui se taisent dans toutes les langues depuis le début de l’affaire, s’expriment clairement sur les questions de gouvernance? Est-il donc notamment encore admissible, que Stéphane Moreau soit à la fois bourgmestre d’Ans et administrateur délégué d’une structure tentaculaire dont on ne sait si elle doit encore recevoir le qualificatif de « publique », sans même que son salaire ne soit connu?
Ce premier aspect de la question est conjoncturel, reconnaissons-le. Pour s’attaquer aux racines du problème, il faudra, à nouveau, se pencher sur les structures et les modalités d’exercice des mandats.
2. Il faut oser revenir à la mission de base des intercommunales
Depuis la création de la Belgique, l’équilibre des pouvoirs se répartit entre les piliers socialiste, chrétien et libéral. Ce système, conçu au départ pour assurer la stabilité politique du jeune pays, est aujourd’hui celui qui conduit aux pires dérives. Chaque parti dispose ainsi d’une nébuleuse d’associations et d’entreprises: mutuelles, syndicats, associations culturelles, maisons médicales… Il ne s’agit pas ici de mettre en cause le travail, souvent de qualité, qui est effectué dans ces différentes structures. Il s’agit de reconnaître qu’une fonction essentielle de ces structures consiste aussi à fournir des mandats politiques rémunérateurs à des élus locaux et des emplois à des électeurs captifs, le tout pour accroître l’emprise des partis sur différentes sphères de la société.
Pour ce qui concerne précisément les intercommunales, il faut selon nous en revenir stricto sensu à leur ambition première: contribuer à ce qu’un service public de qualité soit rendu à la population de communes qui, prises individuellement, seraient totalement incapables de fournir ce service (alimentation en eau, gaz, électricité, gestion des déchets, hôpitaux, services d’incendie…).
Permettre aux intercommunales de s’émanciper de leurs missions premières, notamment pour développer des services commerciaux comme ceux de Nethys (Voo, BeTV, L’Avenir…), amène nécessairement une complexification des structures (Tecteo s’est démultipliée en Publifin et Nethys, notamment), une confusion des genres (est-ce la mission d’une intercommunale liégeoise d’investir dans des journaux du sud de la France?), et des dérives comme celle des comités de secteur de Publifin. Beaucoup des missions assurées aujourd’hui par certaines intercommunales seraient plus efficacement et plus sainement prises en charge par l’administration ou par des compagnies privées.
Tant que les partis disposeront d’un réseau tentaculaire pour étendre leur emprise sur la société, tous les abus resteront possibles, y compris des dérives totalitaires de la part de leurs dirigeants.
3. Il faut réformer le système de rémunération et de nomination des mandataires publics
La rémunération des mandats politiques a été instituée pour permettre une plus grande diversité des représentants: sans rémunération, il n’était pas possible, pour ceux qui n’avaient pas de fortune personnelle, d’abandonner leur activité pour exercer un mandat politique. Mais, outre qu’il n’a guère permis la diversification des représentants politiques (les ouvriers ou les jeunes restent ainsi très minoritaires parmi les élus), ce système a aussi engendré de nombreux effets pervers: la politique est aujourd’hui un métier, parfois exercé par certains qui n’en ont pas connu d’autre, et qui en dépendent. C’est aussi pour cela que certains semblent exercer des mandats sans fin, ou les utiliser à des fins d’enrichissement personnel: sans mandat, plus de salaire.
Les mesures votées précipitamment à Namur suite aux révélations du Vif sur Publifin ne sont pas claires: le plafonnage des jetons de présence à 150€ par réunion sera-t-il appliqué à l’ensemble des intercommunales? Si tel n’est pas le cas, qu’est ce qui justifie des montants supérieurs? Sera-t-il encore possible, comme il nous le revient par ailleurs, d’enchaîner deux réunions de 30 minutes et de toucher deux jetons distincts? Pourra-t-on encore percevoir quelque part des jetons sans participer à rien? Par ailleurs, comment peut-on aller plus loin dans la limitation des cumuls des mandats? Certains mandataires continuent à cumuler plusieurs dizaines de mandats…
Une réflexion plus large est également nécessaire quant aux modes de rémunérations des élus: il importe de faire en sorte que l’engagement politique soit accessible à tous, sans qu’il devienne une carrière en tant que telle. Des pistes existent en ce sens: on pourrait ainsi imaginer que la rémunération des élus ne leur soit plus versée directement par l’État, mais par leur employeur précédent, qui recevrait en contrepartie une indemnité compensatoire de l’État. Ceci limiterait considérablement la dépendance des mandataires à leurs mandats, qui ne pourraient plus devenir des vecteurs d’enrichissement personnel. Cette réflexion constitue à notre avis une condition nécessaire pour rendre à l’engagement politique son sens originel.
Notre démarche doit être bien comprise. Nous voulons croire que la plupart de nos élus ont le souci du bien commun ancré en eux. Et nous voulons voir dans l’affaire Publifin une opportunité pour eux de le montrer. Sans des jalons importants, que nous avons ici esquissés, toutes les réformes, toutes les démissions de lampistes, ne seront que malheureux emplâtres sur jambe de bois. C’est notre crainte.
François Gemenne Chercheur en sciences politiques à l’Université de Liège et à Sciences Po Paris et Eric Jadot (ancien parlementaire fédéral Ecolo et conseiller communal indépendant à Herstal)
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