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Publifin : autopsie d’un système

David Leloup Journaliste

Un document de 2010 indique, sans ambiguïté, que Stéphane Moreau et André Gilles ont mis en place les comités de secteur à l’origine de l’affaire Publifin. Un scandale qui a coûté plus de 2,5 millions d’euros à l’intercommunale liégeoise.

Un vrai binôme. En 2010, le bourgmestre d’Ans faisant fonction, Stéphane Moreau (PS), et le député-président de la province de Liège, André Gilles (PS), sont déjà depuis longtemps aux manettes de l’intercommunale liégeoise Tecteo quand le premier comité de secteur  » gaz  » y est créé par le conseil d’administration. C’était le 22 décembre, dans la foulée de l’absorption de l’Association liégeoise du gaz (ALG) par Tecteo. André Gilles est président du CA depuis 1990. Stéphane Moreau en est le directeur général depuis 2005. La possibilité juridique de créer des comités de secteur – ces machines à créer des emplois fictifs dénoncés par l’échevin CDH des finances d’Olne, Cédric Halin, fin décembre dernier – apparaît dans les statuts de Tecteo (article 29) le 30 novembre 2006. Sous l’ère du binôme, donc.

Le bureau exécutif de Tecteo (ici en 2009) a été piloté par le binôme Stéphane Moreau (directeur général) et André Gilles (président) de 2005 à 2012. A gauche, assis, Claude Parmentier (vice-président; PS) et, debout, Dominique Drion (CDH), acculés à démissionner de leurs mandats ces derniers jours.
Le bureau exécutif de Tecteo (ici en 2009) a été piloté par le binôme Stéphane Moreau (directeur général) et André Gilles (président) de 2005 à 2012. A gauche, assis, Claude Parmentier (vice-président; PS) et, debout, Dominique Drion (CDH), acculés à démissionner de leurs mandats ces derniers jours. © TECTEO

En 2010, Tecteo est toujours  » unitaire  » : il faut attendre juillet 2012 pour que Stéphane Moreau se retire et aille diriger une filiale (Tecteo Services SA, future Nethys SA) dans laquelle l’intercommunale (Tecteo SCiRL, future Publifin SCiRL) a transféré toutes ses activités opérationnelles. En 2010, les statuts de Tecteo précisent que  » le conseil d’administration peut déléguer sous sa responsabilité une partie de ses pouvoirs à un organe restreint de gestion, dénommé bureau exécutif. […] Le bureau exécutif est chargé de la gestion opérationnelle de la société.  » Il y a sept ans, donc, ce bureau exécutif est dirigé par André Gilles et Stéphane Moreau. Ce double leadership est symbolisé par la photo de groupe figurant dans le rapport annuel 2009 : Gilles et Moreau, au centre et à l’avant-plan, sont les seuls à disposer d’un fauteuil design, là où les autres membres sont assis sur des… tabourets pliables.

Petits arrangements entre amis

Courant 2010, les deux hommes vont négocier plusieurs mois durant, au nom du bureau exécutif de Tecteo, les conditions de l’absorption de l’ALG. En face, leurs principaux interlocuteurs sont les deux représentants du bureau exécutif de l’ALG : le directeur général Gilbert Van Bouchaute et le président Willy Demeyer, par ailleurs bourgmestre de Liège et membre – comme Gilles et Moreau – du fameux  » club des cinq  » qui fait la pluie et le beau temps au sein du PS liégeois.Les négociations ne sont pas simples. Et l’idée de créer un comité  » de suivi  » vient sur la table à la demande des communes actionnaires de l’ALG. Le 17 septembre, devenu sénateur-bourgmestre, Demeyer est contraint de démissionner de la présidence de l’ALG : il ne peut pas cumuler un troisième mandat exécutif rémunéré. Il est remplacé par le bourgmestre de Welkenraedt, Claudy Klenkenberg, dont l’épouse, Carine Hougardy, est responsable des ressources humaines et membre du comité de direction de… Tecteo. Un ami chasse l’autre.

Gilles et Moreau sont assis dans un fauteuil design, les autres sur des tabourets pliables  » Pour convaincre les membres du bureau exécutif de l’ALG de se faire hara-kiri, il a bien fallu leur offrir une compensation »

Deux mois plus tard, un document signé par Stéphane Moreau et André Gilles montre sans ambiguïté que les deux hommes ont mis en place ce premier comité de secteur  » gaz  » pour atteindre leur but. Datée du 23 novembre 2010 et envoyée aux communes actionnaires de l’ALG, cette lettre de trois pages reprend les  » engagements de Tecteo dans le cadre de l’opération de fusion par absorption de l’ALG par Tecteo « . On peut notamment y lire :  » En ce qui concerne l’après-fusion, il a été décidé de créer, comme le prévoient les statuts de Tecteo, un comité de secteur afin que ce dernier perpétue la gestion de l’activité de distribution gazière au sein de Tecteo. Cela signifie que les instances actuelles de I’ALG seront maintenues au sein de ce Comité de secteur « gaz » jusqu’à la fin de l’actuelle législature, soit juin 2013.  »

Un « geste » pour engloutir l’ALG

Un proche du dossier décode : » Pour convaincre les membres du bureau exécutif de l’ALG de se faire hara-kiri en votant la fusion avec Tecteo, il a bien fallu leur offrir une compensation. Et cette compensation, c’est la prolongation de leur mandat rémunéré au sein du comité de secteur « gaz » de Tecteo. Stéphane Moreau et André Gilles ont fait un « geste » pour arriver à leurs fins : engloutir l’ALG.  » Un geste d’autant plus facile à réaliser qu’à l’époque, André Gilles préside le comité de rémunération de Tecteo. Celui-là même qui a dû décider des émoluments attribués aux membres du comité de secteur  » gaz « . Seuls les huit membres de l’ex-bureau exécutif de l’ALG se sont vu octroyer des émoluments fixes mensuels. Les 22 autres  » simples  » ex-administrateurs de l’ALG touchaient un modeste jeton de présence.

Fin 2010, Stéphane Moreau et André Gilles officialisent la création du comité de secteur
Fin 2010, Stéphane Moreau et André Gilles officialisent la création du comité de secteur  » gaz  » et annoncent déjà les comités suivants…© SDP

Selon nos informations, ce premier comité de secteur s’est réuni huit fois en 2011 et cinq fois en 2012. On ignore si des réunions ont eu lieu début 2013, avant la dissolution du comité le 21 juin : le porte-parole de Publifin, Patrick Blocry, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Ces réunions ont-elles un intérêt quelconque ? Sont-elles fréquentées avec assiduité par les membres du comité ? Le Vif/L’Express s’est procuré dix procès-verbaux de réunions. Celle du 10 mai 2011 a duré quarante minutes, et celle du 12 mars 2012, trente. La durée moyenne des réunions est d’une heure. Le 23 novembre 2011, seuls trois des huit membres bénéficiant d’un émolument mensuel fixe étaient présents.

Les comités post-2013 prévus dès 2010

Lors de ces réunions, les mandataires ont reçu de l’information, souvent via des présentations PowerPoint qu’on leur a envoyées par la suite par courriel. Ils ont pu poser des questions, et quelques vrais débats ont eu lieu. Mais la nécessité de ces réunions est d’autant plus questionnable que six des huit membres bénéficiant d’un émolument fixe mensuel avaient également rejoint le conseil d’administration de Tecteo. Ils ont donc pu y défendre avec bien plus de force les intérêts de l’ex-ALG que dans un simple comité consultatif…

Mais revenons à cette lettre de novembre 2010 cosignée par Stéphane Moreau et André Gilles. La suite du courrier a de quoi surprendre puisqu’il prévoit déjà les… futurs comités de secteur post-juin 2013. Ceux dénoncés il y a un mois par Cédric Halin :  » Au-delà de cette date (NDLR : juin 2013),il conviendra aux quatre fédérations politiques provinciales d’envisager les suites à donner aux instances de Tecteo : maintien d’un comité de secteur  » gaz « , création d’un comité de secteur  » télécoms  » ou élargissement du conseil d’administration de Tecteo ? Dans l’état actuel des choses, la question est ouverte et peut être débattue.  »

« Gaz » et « Liège-ville », même combat

Le scandale Publifin

C’est la révélation d’un système d’emplois fictifs, subtilement organisé sur le plan juridique, qui a permis de distribuer mensuellement, durant six ans, des fonds publics de l’intercommunale liégeoise Publifin (ex-Tecteo) à une trentaine d’élus communaux ou provinciaux (PS, MR, CDH) ayant rendu de bons et loyaux services à leur parti.

Entre fin 2010 et fin 2016, ces mandataires ont siégé au sein de  » comités de secteur » de l’intercommunale. Des comités purement consultatifs qui se réunissaient quelques fois par an pour assister, le plus souvent, à des présentations PowerPoint dispensées par des cadres de Tecteo. Selon les comités et le statut des élus au sein de ceux-ci (simple membre ou président), les mandataires étaient payés de 1 340 à 2 871 euros brut par mois sans la moindre obligation d’assister à ces réunions bidon.

Le système a été créé fin 2010 lorsque Tecteo a absorbé l’Association liégeoise du gaz (ALG). Un premier comité de secteur « gaz » a été créé pour y recaser les 30 administrateurs de l’ALG qui venaient de perdre leur mandat de façon prématurée. Le 21 juin 2013, à la suite du renouvellement des mandats dans les intercommunales postélections 2012, le comité de secteur « gaz » a été dissous et remplacé illico par trois autres comités de secteur (« énergie », « Liège-ville » et « télécoms « ) composés de huit membres chacun.

Au total, 31 élus (13 PS, 9 MR, 9 CDH) ont siégé dans les quatre comités de secteur de Publifin. Le scandale a été révélé le 20 décembre 2016 par Le Vif/L’Express sur son site Internet, grâce au travail de contrôle du représentant d’un actionnaire de Publifin (la petite commune d’Olne) : l’échevin CDH des finances Cédric Halin. Deux jours plus tard, le 22 décembre, Publifin liquidait ses comités de secteur. Depuis, le scandale n’a cessé d’enfler jusqu’à entraîner une cascade de démissions, dont celle du ministre wallon des Pouvoirs locaux, Paul Furlan, et a déstabilisé le Parti socialiste dans son ensemble, et Stéphane Moreau, patron de Nethys (filiale de Publifin) et bourgmestre PS d’Ans, sommé de choisir entre son mayorat et le secteur privé.

Il semble donc y avoir eu un deal, dès 2010, pour prolonger  » les instances  » de l’ALG au-delà de la mandature communale s’achevant en juin 2013. Après, soit les mandataires rejoindront le CA de Tecteo, soit le comité  » gaz  » sera prolongé, soit un comité  » télécoms  » sera créé pour en prendre le relais. Les  » quatre fédérations politiques provinciales  » (PS, MR, CDH, Ecolo) trancheront après les élections d’octobre 2012. Leur décision, on la connaît avec le recul. Le comité  » gaz  » a été prolongé et rebaptisé  » énergie  » (et deux membres du premier ont repris un ticket pour le second : l’échevin sérésien PS Eric Vanbrabant et la conseillère waremmienne MR Marie-Noëlle Mottard). Un comité  » télécom  » a été créé. Et un comité de sous-secteur  » Liège-ville  » a vu le jour. Ce dernier a été mis en place pour exactement les mêmes raisons que le premier comité de secteur  » gaz  » fin 2010 : afin de compenser la perte de mandats au sein d’une intercommunale absorbée par Tecteo. En l’occurrence Intermosane, dont Tecteo a mis le grappin sur les réseaux électriques du centre-ville de Liège au printemps 2013.

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