Interdiction de la publicité pour les jeux de hasard : « On observe une augmentation des sites pirates »
Interdiction de la publicité pour les jeux de hasard dans l’espace public et dans les médias, c’est ce qui est en vigueur depuis le 1er juillet. L’arrêté royal a suscité la colère de nombreux acteurs du secteur qui trouvent la mesure inadaptée. Ils reprochent notamment l’invisibilisation du marché règlementé et la porte ouverte laissé aux sites illégaux.
Publié le 8 mars dans le moniteur belge, les enseignes de jeux de hasard ont eu un peu moins de 4 mois pour se préparer. Le 1er juillet, l’arrêté royal est entré en vigueur. Plus (ou presque plus) de publicité pour les jeux de hasard n’est autorisé. Une mesure que beaucoup – les acteurs concernés en tête – jugent inadapté. « On trouve cela normal de réguler, mais c’est sur la méthode que nous ne sommes pas d’accord. », déclare Emmanuel Mewissen, CEO d’Ardent Group et vice-président de l’association des organisateurs de jeux et paris (Bago). Selon lui, les mauvais effets sont déjà visibles. « On observe une augmentation des sites pirates. Comme à chaque changement de règlement, il y a une offensive des sites illégaux. Nous sommes moins visibles, c’est donc le bon moment pour eux de se montrer. ».
Rappel des faits
En mai 2022, Vincent Van Quickenborne initiait le projet. Son intention : protéger le citoyen des dangers que représentent les jeux, et les rendre accessibles uniquement à ceux qui y consentent, indépendamment des annonces commerciales. Pour ce faire, l’arrêté a visé large : interdiction des spots publicitaires à la télévision, à la radio et dans les cinémas ; interdiction des annonces écrites et vidéos sur les sites internet, sur les canaux numériques et sur les réseaux sociaux, de même que dans les magazines et les journaux ; ainsi que des affiches publicitaires dans les lieux publics et de la publicité́ personnalisée par courriel ou tout autre type de message. Autant dire qu’il ne subsiste plus grand-chose.
Hormis le sponsoring… qui sera lui aussi fortement limité d’ici 2025, le temps que les contrats en cours arrivent à échéance. D’abord dans les stades puis, dès 2028, dans n’importe quel club sportif. Face à cela, le secteur doit faire montre de créativité pour garder sa visibilité, et profite notamment des zones d’ombre de l’arrêté. « On ne peut pas faire grand-chose, donc on s’affronte sur le plan de l’interprétation. Il est toujours autorisé d’informer sur nos services, mais la frontière est parfois ténue avec la publicité. Par exemple, j’ai reçu un courrier me demandant de retirer un panneau routier indiquant la présence d’un casino », relate Emmanuel Mewissen.
Bonne ou mauvaise stratégie ?
Un des reproches fait à cette mesure est en effet le manque de clarté et les angles morts qu’elle peut contenir. « Il est un peu tôt pour tirer des conclusions, mais il est clair que l’arrêté n’est pas parfait. (…) Les règles ne sont pas toujours faciles à appliquer et ne sont pas toujours très claires », explique Magali Clavie, présidente de la Commission des jeux de hasard (CJH). L’organe, pourtant le régulateur officiel et un acteur central de la protection du citoyen, n’a par ailleurs pas été consulté par le gouvernement. Un autre point noir réside dans le sort réservé à la Loterie Nationale, qui échappe à ces interdictions. Un « deux poids, deux mesures » que le gouvernement justifie par le fait qu’il exerce « une supervision directe » sur la société.
Si, dans ses objectifs, la mesure est salutaire, est-elle efficace ? « Il faut être méfiant avec les interdictions trop fortes. Surtout que le marché illégal peut difficilement être endigué. On peut fermer des sites, mais de nouveaux s’ouvriront. La politique doit favoriser une canalisation vers un marché sûr », explique Magali Clavie. Selon Emmanuel Mewissen, « on rend invisible des sites où il y a beaucoup de réglementations. Les sites illégaux sont plus attractifs car ils n’ont pas de filtres et peuvent offrir plus de choses aux consommateurs. Le flux du marché est simplement détourné ».
Autres perdants : les groupes de presse. « Ils perdent des ressources publicitaires alors qu’ils sont les seuls à réellement protéger le consommateur, pour laisser le champ libre aux GAFA (Google, Facebook, Amazone, Apple) qui continuent de bénéficier du trafic de jeux sans aucune restriction », déplore le CEO d’Ardent Group.
Dangers bien réels des jeux de hasard
Si la méthode est décriée, les dangers des jeux de hasard et ses conséquences réelles ne sont pas remises en question, y compris du côté des acteurs concernés. « Ce n’est pas une activité comme une autre. Même si dans la plupart des cas elle n’est que récréative, il y a des comportements problématiques et pathologiques. La publicité banalise les jeux. Partant de ce principe, il nous semble donc important de tenter de diminuer sa consommation par des restrictions accompagnées de messages de préventions », soutient la présidente de la CJH.
Malgré cela, plusieurs recours au Conseil d’Etat sont en cours. Les opérateurs privés estiment à 550 millions d’euro leurs pertes dans les cinq prochaines années. Cependant, les procédures sont longues (délai moyen de 18 mois) et seuls les préjudices graves sont pris en compte. Vu que les pertes financières n’en font pas partie, cela restreint les chances de voir ces recours aboutir.
En attendant, la place est laissée au dialogue. « Nous proposons aux acteurs du secteur de faire des listages des zones d’ombre pour voir ce qui peut être fait et garantir des règles qui soient égalitaires. Ce n’est pas parce que les acteurs concernés donnent un argument qu’il est forcément faux. Il faut ouvrir un dialogue », affirme Magali Clavie. Un point sur lequel le CEO d’Ardent Group semble s’aligner, annonçant qu’il souhaite « favoriser le débat pour construire quelque chose ».
Gauthier Guilmot
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