PTB, CDH, DéFI, N-VA,…: les premiers cris de l’opposition
Déséquilibrée linguistiquement, timorée sanitairement, tiraillée idéologiquement… L’opposition au nouveau gouvernement Vivaldi marche sur des oeufs. Le PTB devra démontrer sa professionnalisation, le CDH sauver sa tête et DéFI jouer dans la cour des grands avec de petits moyens. Mais tous les trois pourraient en tirer plusieurs avantages.
Un « raté », au « manque d’anticipation flagrant et coupable » tant et si bien qu’il en devient « affligeant », conséquence d’une « gestion étatique défaillante ». Résumé condensé des sorties médiatiques de Maxime Prévot, président du CDH, ces derniers jours dans La Libre, Le Soir et sur Bel RTL, à propos de la gestion de la crise sanitaire. Neuf mois de pandémie et la voilà née, l’opposition! Félicitations, Madame Fédéral, ce sont des jumeaux. Un joufflu, 46 sièges à la pesée, qui occupait toute la droite de l’utérus. Puis un malingre de 15 sièges qui se recroquevillait sur le centre gauche. Le potelé chouine en néerlandais, le chétif babille en français. Drôle de gémellité.
Félicitations, Madame Fédéral, ce sont des jumeaux. Un joufflu flamand et un malingre francophone. Drôle de gémellité.
Ils avaient bien donné quelques coups, durant leur gestation. Bim, une commission d’enquête corona sinon rien! Bam, les maisons de repos, ce scandale! Boum, plus de sous pour les soins de santé! Mais guère de sévère contraction, pas de grave agitation prénatale. Aucun n’a véritablement remué, au moment de la gestion des masques. Aucun ne s’est agité, quand les centres de testing furent saturés et qu’il fallut rétropédaler. Aucun ne s’est ébranlé, alors qu’un deuxième confinement était décrété, pas davantage pour s’interroger sur le bien-fondé de mesures sans précédent.
Silencieuse opposition. Sans doute est-il compliqué de hurler, lors d’une crise sanitaire. Un cri trop strident, mal poussé ou pas à temps, et une étiquette de rassuriste, d’inconscient, de corona- sceptique peut coller longtemps. « Il semble y avoir une volonté de se restreindre, de ne pas tirer sur l’ambulance, constate Caroline Sägesser, chargée de recherches au Crisp (Centre de recherche et d’information socio- politiques). Par exemple concernant la fin des tests sur les asymptomatiques (NDLR: qui ont repris depuis le 23 novembre): ce fut un échec assez grave, et en temps normal l’opposition n’aurait pas hésité à cogner. » « On est sortis par exemple sur la mainmise du big pharma sur les vaccins, cite Raoul Hedebouw, porte-parole et chef du groupe du PTB. Mais sur le lockdown, c’est plus compliqué. Aucun ne le décrète par plaisir. Et, sur toutes ces questions, il n’y a pas de ligne gauche-droite évidente. » La critique des mesures sanitaires, délaissée politiquement, fut donc laissée aux « antimasques » et aux réseaux sociaux, plutôt qu’aux parlements.
Un pied dehors, un pied dedans
Puis les partis (PTB et Vlaams Belang non compris) furent un temps mal pris, eux qui votèrent en mars dernier les pouvoirs spéciaux et intégrèrent le kern +10, organe de soutien au gouvernement Wilmès minoritaire. « On avait un pied dehors, un pied dedans, déclare François De Smet, président de DéFI. Nous approuvions des mesures, essentiellement économiques, mais nous gardions une autonomie de critique. Mais ajouter trop de politique politicienne, alors que nous n’avions pas de gouvernement… Etait-ce cela le plus responsable? »
Mais la Vivaldi a désormais vu le jour. Et l’opposition itou. Plus à l’aise pour dégainer, en témoignent donc les récentes sorties de Maxime Prévot dans la presse concernant la vaccination et la gestion de crise. Une opposition linguistiquement déséquilibrée: 46 sièges en Flandre (24 N-VA, 18 Vlaams Belang, 4 PVDA et un indépendant, Jean-Marie Dedecker) mais seulement 15 côté francophone (8 PTB, 5 CDH et 2 DéFI). L’exact opposé de feu la suédoise.
La joufflue flamande devrait vagir fort. Car les partis du nord du pays minoritaires au sein du gouvernement De Croo (Open VLD, SP.A, Groen et CD&V) « jouent gros, résume Caroline Sägesser. Ils seront d’autant plus attentifs à soigner l’opinion publique de Flandre sur des thèmes de droite, comme la sécurité, l’intérieur ou l’immigration. » Qui sont d’ailleurs entre les mains de ministres néerlandophones. Pour le Vlaams Belang, ça sera opposition as usual. « Tribunicienne », qualifie Jean Faniel, directeur général du Crisp. Soit relativement virulente, mise en scène pour mieux être filmée puis diffusée sur les réseaux sociaux. « Pour la N-VA, on s’attendait aussi à une posture véhémente, poursuit-il. Mais c’est apparemment moins le cas pour l’instant. » Les nationalistes semblent avoir « une volonté d’apparaître comme une opposition constructive, plus réfléchie », abonde la chargée de recherches, citant la sortie de Bart De Wever sur la fin du nucléaire (le bourgmestre d’Anvers ayant proposé une majorité alternative pour empêcher que les centrales soient fermées en 2025, comme le prévoit l’accord de gouvernement). Même le Vlaams Belang n’est pas aussi outrancier qu’il était permis de l’imaginer. Pour l’instant. « Car l’échéance, c’est 2024. Rien ne sert de courir, il faut partir à point! »
Quand la Flandre rencontre le PTB
Petite nouveauté, in het Vlaamse Gewest : l’apparition inédite d’une opposition d’extrême gauche, avec quatre députés PVDA, qui devra balbutier suffisamment pour ne pas être inaudible au milieu de l'(extrême) droite. « C’est un enjeu particulier, de reconquête d’une partie de l’électorat populaire, qui avait été perdu dans les années 1990 lorsque ces électeurs déçus se sont tournés vers la droite », décrit Raoul Hedebouw.
Côté francophone, le PTB se retrouve en revanche premier parti de l’opposition, avec ses huit députés, lui qui n’en avait que deux au cours de la précédente législature. « C’est un parti assez inexpérimenté, qui n’est pas habitué au parlementarisme », souligne Jean Faniel. Un « revers » possible mais, sinon, un boulevard laissé aux marxistes, qui ont d’ores et déjà dénoncé un programme insuffisamment social et excessivement droitier.
« La Vivaldi, c’est la continuation de la politique de Charles Michel, scande Raoul Hedebouw. On a une responsabilité importante, on est le seul parti de gauche dans l’opposition. » Tout au long de la suédoise, les deux députés pétébistes s’étaient – faute de pouvoir se démultiplier – centrés sur la fiscalité et les pensions. Cette fois, les nouveaux élus vont investir d’autres thématiques. « On entre en contact avec d’autres organisations et interlocuteurs, on élargit au climat, à la démocratie, à l’égalité des genres… » Les compétences ont été réparties: Nadia Moscufo suivra les pensions, Thierry Warmoes le nucléaire, Sofie Merckx la santé… Attaques multiples à prévoir vers le gouvernement De Croo. Mais aussi vers le Vlaams Belang. « Autant on ne va pas rater la majorité, comme on l’a déjà fait en dénonçant le faux impôt sur la fortune, la fausse pension à 1.500 euros ; autant on ne va pas rater l’extrême droite flamande non plus. On va mener une double opposition, c’est vraiment un choix stratégique chez nous. » Les partis francophones de gauche au sein de la majorité – PS et Ecolo pour ne pas les citer – devront dès lors donner des gages sociaux à leur électorat. Pendant que les partis flamands feront de même, mais à droite.
Quand les centristes s’opposent… à un gouvernement centriste
Et au milieu de tous ces tirs croisés, le CDH et DéFI. Engoncés au centre, alors que le gouvernement se définit également comme tel. Pas hyperconfortable. « On retrouve dans leur programme certaines mesures que l’on aurait pu mener si on avait fait partie de la majorité, concède François De Smet. On est donc obligé de faire de l’opposition constructive, ne pas se permettre de critiques sans contre-proposition. » En rappelant que l’attelage De Croo n’est centriste « que par contrainte ». Sous-entendu, la copie vaut rarement l’original.
Le CDH est finalement resté sur son choix initial de l’opposition, lui qui avait tout de même fricoté avec les négociateurs lors de la formation gouvernementale. Avec ses cinq députés fédéraux, il est à la limite du nombre accepté pour former un groupe politique. Dans cette opposition, il joue sa survie en 2024, alors que l’opération de refonte du parti, baptisée « Il fera beau demain », a du plomb dans l’aile pour cause de coronavirus. Les consultations locales et les réunions d’échanges d’idées sont peu compatibles avec une pandémie. Il lui reste donc la tribune offerte par l’opposition. Point fort: ses représentants fédéraux sont tous des parlementaires expérimentés. Point faible, en corollaire: pas de nouveaux visages à populariser.
DéFI s’offre par contre une fenêtre d’opportunité médiatique inespérée, vu l’opposition francophone restreinte. « Il y a un traitement semblable pour les trois partis, alors qu’ils ne pèsent pas du tout la même chose, note Jean Faniel. Pour le dire autrement, DéFI ne sera pas six fois moins sollicité par les médias que le PTB, même s’il a six fois moins de sièges. Ça pourrait lui être favorable. » Pour améliorer la visibilité des amarantes en général et celle des deux élus fédéraux en particulier, François De Smet et Sophie Rohonyi. « Mais il ne faut pas que nous soyons le parti de deux, trois noms, tempère le premier. A la fin de la législature, il faut qu’on soit à cinq, six ou sept personnalités connues. » Notamment en Wallonie, où malgré des sièges gagnés aux échelons communaux et provincial (à Namur), sa popularité stagne. Alors, ce sera durant la Vivaldi. Ou peut-être jamais.
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