Claude Demelenne
PS liégeois : carton rouge pour le mariage Willy Demeyer – Christine Defraigne?
Liège a voté à gauche, mais ne sera pas gouvernée à gauche. Le mariage politique entre le bourgmestre Willy Demeyer (PS) et sa principale opposante, Christine Defraigne (MR), fait beaucoup jaser dans l’électorat socialiste. Mariage contre-nature ? Pas si sûr.
A première vue, cela sent l’arnaque. Lors du scrutin communal du 14 octobre, près de sept électeurs liégeois sur dix (66,36%) ont voté pour un parti de gauche, tantôt rouge (PS : 30,76% ; PTB : 16,32%), tantôt rouge-vert (Vert Ardent : 14,75% ; VEGA : 4,53%). Toutes tendances confondues, les formations de gauche raflent 35 sièges sur 49 au conseil communal, pour 10 sièges à la droite libérale et 4 sièges aux centristes du CDH (3 élus) et de DéFI (1 élu).
Très « rose », Christine Defraigne
Tout est clair ? En fait, rien n’est clair. Car à Liège, la cheffe de file des libéraux, Christine Defraigne, brouille les pistes. Elle est un OVNI politique. Pas vraiment la caricature de l’ultra-capitaliste, généreuse avec les forts, dure avec les faibles. Elle est opposée à la limitation dans le temps des allocations de chômage. Elle défend les droits des travailleurs du sexe qui réclament un statut, comme tous les autres travailleurs. Elle a mené la fronde contre le projet de loi cher au secrétaire d’Etat NV.A Théo Francken, autorisant les visites domiciliaires chez les personnes hébergeant des migrants en séjour illégal. Elle a soutenu l’ouverture de la « salle de shoot » liégeoise, espace de consommation de drogue à moindre risque, encadré par des professionnels de la santé, pour limiter la toxicomanie de rue. Par ailleurs, dans le scandale Publifin-Nethys, Christine Defraigne n’a jamais voulu jeter le bébé avec l’eau du bain. Elle a mis en garde contre de fausses « bonnes réformes », certes dans l’air du temps, mais qui auraient pour conséquence de « tuer Liège ».
Christine Defraigne est une libérale progressiste de combat. Pas évident, au sein d’un MR qui a fait le choix de pactiser avec la NV.A. Pas évident, quand on est à la fois députée au Parlement wallon et présidente du Sénat, de sortir du placard doré imaginé par ses petits camarades du MR pour faire rentrer dans le rang une personnalité atypique. C’est raté. Christine Defraigne ne s’est pas assoupie au perchoir du Sénat. Son positionnement finalement très « rose » la rend PS-compatible à Liège, a fortiori avec un socialiste pragmatique comme Willy Demeyer.
L’exception liégeoise
Le tandem Demeyer-Defraigne qui va diriger Liège les six prochaines années ne correspond pas à une classique coalition gauche-droite, jugée contre-nature par beaucoup d’électeurs de gauche. La configuration politique liégeoise est particulière, avec une sous-représentation de la droite conservatrice, y compris au sein de MR local.
Il existe une exception liégeoise. Dans la Cité ardente, deux projets progressistes se font face. Le premier, sur les rails, associe le PS au MR de Christine Defraigne, pas vraiment un clone du MR fédéral, plus centriste dans le bon sens du terme, plus social que ce dernier. Ce projet mise sur la stabilité pour accélérer le renouveau liégeois piloté par le bourgmestre Willy Demeyer
Le second projet, qui a déraillé dès le début des négociations, aurait pu associer le PS et le PTB (voire les écologistes de Vert Ardent). En rupture avec les politiques antérieures, ce second projet, porté par la gauche radicale, supposait notamment que la Ville de Liège mène « une fronde municipale contre le carcan austéritaire imposé par les autorités régionales et fédérales ». Impossible en effet, vu les difficultés financières de la Ville, de réaliser l’ambitieux programme prôné par le PTB, notamment en matière d’embauches, de crèches et de logements sociaux, en se contentant des budgets existants.
L’isolement du PTB
Le PTB (16,32% et 9 élus sur 49 au conseil communal) était seul à défendre son « projet progressiste de rupture » . Dès lors, la messe était dite. La percée électorale du parti de Raoul Hedebouw est certes spectaculaire. Il est devenu le troisième parti liégeois, obtenant un élu de moins seulement que le MR. Mais le rapport de forces reste défavorable. A part le PTB, aucun autre parti n’est prêt à sortir des clous de la gestion social-libérale. Ni les socialistes, ni les écologistes n’évoluent dans le registre de la rupture, particulièrement à l’échelon communal.
Le PTB aurait tort de fustiger la « trahison » du PS qui préfère le MR à une coalition de gauche. On peut le déplorer ou pas, les faits sont là : la plupart des socialistes liégeois sont aujourd’hui politiquement plus proches du social-libéralisme de Christine Defraigne que du socialisme rouge vif de Raoul Hedebouw.
Carton rouge ? Feu orange !
S’ils restent les deux premiers partis liégeois, le PS (-5 élus) et le MR (-1 élu) ont perdu des plumes, lors des élections du 14 octobre. Ce « mariage entre perdants » ne mérite pas pour autant un carton rouge. D’abord parce que la « défaite » est toute relative : les deux partis disposent d’une confortable majorité de 27 élus sur 49 au conseil communal. Ensuite, ce mariage sera un laboratoire : socialistes et libéraux progressistes peuvent-ils réenchanter la politique en bousculant les tabous ?
Face au mariage Demeyer-Defraigne, une part non négligeable des militants de la gauche liégeoise seront pourtant tentés d’actionner le feu orange. La méfiance envers le MR, qui a déroulé le tapis rouge pour la NV.A, atteint en effet des sommets. Christine Defraigne aura fort à faire pour démontrer que le libéralisme social n’est pas une chimère.
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