Carte blanche
Procès des hébergeurs: « Je suis en prison depuis huit mois. Pour rien. »
« Ils ont détruit ma vie. » Le témoignage de Walid, 42 ans, hébergeur de migrants poursuivi et actuellement encore détenu. « Le 20 octobre 2017, ma vie a basculé. Depuis le 20 octobre 2017, je suis en prison à Dendermonde. »
Je m’appelle Walid. J’ai 42 ans. Je suis tunisien.
Je vis en Belgique depuis 2001. Ça fait dix-sept ans que je vis à Bruxelles. J’ai été marié avec une belge – Dominique – pendant des années. On a divorcé, mais on a gardé de bons contacts. Je suis quelqu’un de calme et de gentil. Parfois un peu fragile. Depuis la mort de mes parents, je suis en dépression.
Je n’ai jamais commis de délit. Je n’ai jamais été arrêté.
Le 20 octobre 2017, ma vie a basculé. Depuis le 20 octobre 2017, je suis en prison à Dendermonde.
Je n’ai rien compris à ce qui m’arrivait. A 5 heures du matin, des policiers ont frappé à ma porte. J’ai ouvert, je n’ai pas résisté, j’ai été menotté. Ils ont tout fouillé, tout retourné, jeté les vêtements par terre. Je ne savais pas ce qu’ils cherchaient. J’étais choqué. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je pensais vraiment qu’ils se trompaient de personne.
Je croyais qu’ils allaient m’amener au commissariat de Schaerbeek, près de chez moi. On a roulé longtemps et on est arrivé au commissariat de Dendermonde. Je n’étais jamais venu dans cette ville. A part à Anvers, je ne suis jamais venu en Flandre.
Les policiers m’interrogeaient. Je ne comprenais rien. Ils parlaient de parkings dans des endroits dont je n’avais jamais entendu parler. Ils me soupçonnaient de trafic d’êtres humains.
Finalement l’inspecteur m’a dit : Walid, je sais que tu n’es pas un passeur. Mais le garçon qui dormait chez toi, lui, c’est un passeur.
C’est là que j’ai compris. J’ai hébergé un jeune qui dormait au parc Maximilien.
C’est de ça que je suis accusé : avoir hébergé quelqu’un qui serait un passeur.
J’ai logé un SDF et l’inspecteur me dit que c’est un passeur. Moi je le connais ce garçon. Je n’y crois pas. Un passeur gagne beaucoup d’argent. Lui il avait même pas de quoi se payer à manger. C’est moi qui lui achetais ses cigarettes. Il était misérable, il me faisait pitié.
Ce garçon, il voulait passer en Angleterre. Je le savais. Il essayait tout le temps, mais il n’y arrivait pas. Alors il revenait chez moi pour prendre une douche, pour se reposer. Ce garçon a l’âge d’être mon fils, alors je l’avais un peu pris sous mon aile. Je n’ai pas grand-chose, mais ce que j’ai, je le partage.
Même en prison, je lui achetais du tabac avec ma cantine. Moi j’ai des visites. Ma soeur et mon ex femme m’envoient un peu d’argent. Lui il est tout seul, sans famille, sans personne.
J’ai juste voulu être gentil.
Ils ont détruit ma vie. J’ai perdu mon appart. J’ai appris que le propriétaire avait vidé l’appartement et jeté toutes mes affaires. J’avais des photos de mes parents, des souvenirs. Mes vêtements, c’est pas grave, mais les photos quand j’y pense, j’ai envie de pleurer.
Voilà mon histoire.
Je suis en prison depuis huit mois. Pour rien. Les gardiens sont gentils avec moi. Je n’ai aucun problème avec personne, mais ici c’est pas ma place. Je n’ai rien fait.
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