Procès des attentats de Bruxelles: que retenir des sept mois d’audience?
Par sa durée, le profil des accusés, son ampleur, la place des victimes, le procès des attentats de Bruxelles est qualifié de hors norme. Que retenir des sept mois d’audience?
Le verdict sur les peines est annoncé à 18 heures. Il y a du monde, de la tension et de l’impatience. Personne n’ose s’éloigner et les pronostics circulent. Le collège, composé de douze jurés et trois magistrats, fait son entrée à 20 h 12. La présidente lit l’arrêt. Il est alors plus de 21 h 30 lorsque les magistrats du parquet fédéral ordonnent l’arrestation immédiate d’Oussama Atar, le cerveau présumé des attentats, probablement mort en zone irako-syrienne et jugé par défaut. «Bien, l’audience est levée.» Elle s’était ouverte en décembre 2022. Nous voilà à la fin de l’été 2023. Le procès des attentats du 22 mars est terminé.
Qualifié de hors norme, il l’a été à plusieurs égards. Avec plus de sept mois d’audience (dix en comptant le faux départ), c’est le plus long procès de l’histoire de la Belgique. Et les plus longues délibérations: il aura fallu 18 jours aux douze jurés pour statuer sur les 287 questions concernant la culpabilité des dix accusés. Il l’est aussi par le profil de certains accusés: six avaient déjà été condamnés lors du procès des attentats de Paris, en juin 2022. Il l’est enfin par son dispositif et sa forme. Il a fallu rénover et adapter entièrement le bâtiment Justicia, à Haren, au nord-est de Bruxelles, financer les services de communication, rémunérer les interprètes, les agents déployés sur le site, les jurés… Ce choix a un coût: 33,5 millions d’euros.
On a pu voir que lorsque le citoyen enfile sa robe de juré, il devient un juge investi.
En amont du procès, des voix s’étaient d’ailleurs élevées parmi les professionnels de la justice, notamment au parquet fédéral. Impossible, selon eux, de faire juger des affaires de terrorisme par un jury populaire, parce que juger est un métier qui exige une formation, une préparation et de l’expérience.
Le temps long
Malgré les prévisions de fiasco, ce fut un procès, un tribunal indépendant, impartial, une audience conforme au droit. «C’est une belle leçon donnée par la justice belge, observe Guillaume Lys, avocat de l’association des victimes V-Europe. On a ainsi pu voir que lorsque le citoyen enfile sa robe de juré, il devient un juge investi. Tous les jurés sont restés jusqu’au bout.» Plusieurs avocats – de la défense comme des parties civiles – ont en effet salué un verdict individualisé et des motivations finement détaillées. Un jury nuancé mais pas pour autant clément. S’il ne condamne pas Salah Abdeslam et Sofien Ayari à des peines additionnelles, en raison de leurs condamnations pour les attentats de Paris et pour la fusillade de la rue du Dries, il prononce quatre perpétuités – à l’égard d’Oussama Atar, Mohamed Abrini, Osama Krayem et Bilal El Makhoukhi – et punit plus sévèrement Ali El Haddad Asufi, qui écope d’une peine de vingt de prison et d’une mise à disposition du tribunal d’application des peines de dix ans, soit dix années de plus que sa condamnation à Paris.
Malgré, aussi, des incidents à propos des box et des fouilles quotidiennes ainsi que le refus de comparaître ou de s’exprimer de plusieurs accusés, chamboulant l’audience durant plusieurs semaines, le procès s’est achevé sans difficultés. «La présidente a géré ce procès d’une main de maître», note Jonathan De Taye, avocat d’Ali El Haddad Asufi. Ses collègues sont unanimes: Laurence Massart, première présidente de la cour d’appel de Bruxelles, a piloté ce mastodonte judiciaire en faisant preuve de flegme, d’humanité, de pédagogie et d’une autorité naturelle ayant œuvré à la sérénité des débats.
Ce fut long, pourtant. La durée est à la fois un luxe et le fardeau de ce procès. Pour éviter la surchauffe, les débats ne se sont tenus que quatre jours par semaine. L’écoute des parties civiles et des accusés a été absolue. Il n’a jamais fallu se dépêcher. Mais une certaine lassitude a fini par s’installer. Dans sa longueur, le procès a égaré une partie de sa force et de l’intérêt qu’il avait suscité à son ouverture – sept salles étaient prévues pour le public, qui n’ont jamais été occupées. Avec ses «éminents» témoins (issus de la politique, de la sociologie ou du renseignement) – c’est une première – qui l’ont mené au-delà des faits, le procès a parfois pris des allures de colloque. Les accusés ont, par moments, dû se demander ce qu’ils faisaient là.
Eux n’ont eu la parole qu’au bout de quatre mois. Tous, à l’exception d’Osama Krayem, mutique tout au long du procès, comme il avait gardé le silence durant les débats à Paris, se sont exprimés ou, du moins, ont saisi l’occasion d’exposer leur «vérité». Lors de son interrogatoire, Sofien Ayari, muet au procès de Paris, a longuement expliqué les raisons de son départ en Syrie et le traumatisme des bombardements.
Enfin, l’homme clé du procès, Salah Abdeslam, s’est exprimé. Il a surtout montré des hésitations, oscillant entre son engagement radical et la «manifestation d’humanité» que les psychiatres disent avoir décelée chez cet homme qui rêvait de vivre, s’il le pouvait, dans un pays pratiquant la charia, mais semble rester aussi «le petit gars de Molenbeek» qu’il fut avant de se radicaliser et de passer entre les mailles trop lâches du filet policier. Mohamed Abrini, lui, est resté avare d’explications sur son renoncement. Quelques accusés ont présenté leurs excuses aux victimes, regretté leurs erreurs ou reconnu leurs responsabilités.
Dans l’atmosphère tendue et inquiète du début du procès, la décision de la juge Laurence Massart de démonter et de remplacer les box séparés et vitrés – quitte à bousculer le calendrier – a sans doute permis aux accusés de se sentir respectés et les a encouragés à prendre la parole.
Des questions sans réponse
Une certitude: le procès de Bruxelles, après celui de Paris, confirme que Zaventem et Maelbeek furent, pour la cellule, des cibles par défaut. C’est l’arrestation d’Abdeslam qui aura poussé le groupe à agir dans l’urgence. Mais, en sept mois d’audience, il n’aura pas purgé toutes les questions. Comment le groupe, entre les attentats de Paris et ceux de Bruxelles, aura-t-il échappé si longtemps à la traque de la police alors que celle-ci disposait de renseignements jugés fiables sur Salah Abdeslam et ses relations? La Sûreté de l’Etat a-t-elle vraiment tout dit sur les informations dont elle disposait depuis l’attaque contre le Musée juif de Belgique en 2014, vue comme un prélude aux attentats suivants? Que s’est-il réellement passé entre l’arrestation de Salah Abdeslam, le 18 mars, et le double attentat? Et qu’en est-il réellement du rôle d’Oussama Atar, dont le parquet fédéral considère qu’il est «à la base de la création» de la cellule qui a frappé tant à Paris qu’à Bruxelles? Pourquoi a-t-il bénéficié d’un passeport, alors que cela lui était interdit, ce qui figure dans ses conditions de libération conditionnelle? Etait-ce une tentative de le «retourner» et d’en faire un informateur? Son dossier restera secret.
La Cour d’assises s’est posée pour la première fois comme un lieu d’exercice de la démocratie et du débat public.
Reste enfin cette question de fond, vertigineuse: pourquoi des jeunes gens qui ont grandi en Occident s’attaquent-ils à leur propre pays? Les explications ont manqué. On les a parfois cherchées vainement auprès des proches des terroristes. En dépit de ce point aveugle, la Cour d’assises s’est posée pour la première fois comme un lieu d’exercice de la démocratie et du débat public.
La place des victimes
Jamais un procès n’avait accordé une telle place aux victimes, proportionnelle à l’ampleur des faits jugés: quelque 960 personnes se sont constituées parties civiles et 310 en tant que personnes lésées. Jamais une salle d’audience n’avait accueilli autant de mots d’effroi, autant d’horreurs mises bout à bout. Chaque jour, durant quatre semaines, les rescapés ou les proches endeuillés ont livré leur récit, avec ces mêmes histoires qui commencent par des «bruits, de la suie, des débris de verre, et l’odeur» et s’achèvent par des cœurs qui ne battent plus. On se souvient de Leila Maron, survivante de Maelbeek, qui doit la vie à certaines personnes décédées dans la rame qui «ont servi de bouclier humain entre elle et cette foutue bombe». On se souvient aussi d’Orphée Vanden Bussche, rescapée de la rame, décrivant son sentiment d’avoir été «méprisée» par les organismes d’assurances. D’autres victimes ont raconté les mêmes parcours éprouvants. Leurs associations espèrent, désormais, que leurs récits seront entendus au-delà du Justicia et incitent le gouvernement et les assurances à reconnaître le syndrome du stress post-traumatique.
Dans l’atrium, la présidente, les procureurs et le jury ont écouté attentivement, parfois un peu hagards ; les victimes, elles, se sont senties considérées et soutenues.
Des audiences singulières, puisque, tournant historique majeur, la parole des victimes y importait autant que celle des accusés. Un suivi psychologique, la possibilité de porter des cordons de couleur différente selon que l’on souhaite ou non s’adresser à la presse, la mise en place d’une webradio permettant aux parties civiles de suivre les débats à distance, etc.: le procès a été construit autour des parties civiles.
Et après? Que conserver de ce procès exemplaire? Impossible de prédire les traces que ces audiences laisseront dans l’histoire. «La mémoire collective, c’est-à-dire le résultat de ce qu’un groupe retient ou rejette d’une expérience partagée, est une affaire de temps long», analyse Sarah Gensburger, sociologue et historienne, spécialisée dans l’étude de la mémoire collective au CNRS. En clair, la société ne retiendra pas tout de ce procès et celle des générations futures ne se remémorera que de petits fragments. Et l’experte de conclure: ce fut un procès symbolique, non pas historique. Ses accusés ne sont pas des figures historiques et le terrorisme existait avant eux et existera après eux…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici