Procès des attentats de Bruxelles: pourquoi l’ordinateur des terroristes est une pièce maîtresse de l’enquête
Dans un ordinateur utilisé par les terroristes, les enquêteurs ont retrouvé des centaines de fichiers et des heures d’enregistrements audio. Il y avait beaucoup de choses dans ce petit portable et, surtout, selon les policiers, des preuves noir sur blanc.
Il y en avait deux. Un PC avec des touches manquantes. Celui-là, les éboueurs de Bruxelles-Propreté l’ont balancé dans la benne de leur camion, à l’aube du 22 mars, croyant qu’il était hors d’usage. Il ne sera jamais retrouvé. Le second, en revanche, un HP ProBook 6460b, ils décident de le garder. Mais lorsqu’ils repassent, en fin de matinée, rue Max Roos, à Schaerbeek, l’artère est bouclée. Le chauffeur de taxi ayant conduit Najim Laachraoui, Ibrahim El Bakraoui et Mohamed Abrini jusqu’à l’aéroport a indiqué à la police l’adresse des kamikazes, et des perquisitions sont en cours. Les ouvriers sont alors pris d’un doute et inspectent l’ordinateur. Le fond d’écran s’affiche: des photos des membres de la cellule terroriste posant, armés, devant le drapeau de l’organisation Etat islamique (EI). Ils restituent aussitôt la machine à un policier. Cette pièce à conviction cruciale a échappé de peu à la destruction. Car les enquêteurs en sont sûrs, l’ordinateur, à la différence d’autres, a été transporté de planque en planque par les terroristes.
Le PC appartient à Najim Laachraoui. L’historique de navigation remonte au 9 octobre 2015. Il est utilisé une dernière fois le 22 mars, à 6 h 37.
Il appartient à Najim Laachraoui. L’historique de navigation remonte au 9 octobre 2015. Il est utilisé une dernière fois le 22 mars, à 6 h 37. Ibrahim El Bakraoui l’a ensuite jeté dans la poubelle au pied de l’immeuble, tandis que les trois assaillants partaient à l’aéroport.
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Il y avait beaucoup de choses, dans ce petit portable. Sur le disque dur, les enquêteurs cueillent des centaines de fichiers. Il est en outre équipé de programmes d’anonymisation et d’effacement des activités sur Internet, ainsi que du logiciel de cryptage TrueCrypt. Il s’agit d’une véritable «médiathèque pour djihadistes». Ils découvrent, en français et en arabe, «plusieurs milliers de pièces faisant l’apologie du terrorisme» et des thèmes propres à l’idéologie de l’EI: des vidéos d’égorgements, d’attentats, de scènes de combat, des audios et des anasheeds (NDLR: des chants religieux utilisés comme outils d’endoctrinement). Dans cette abondante propagande, ils trouvent également des dossiers consacrés à la falsification de documents et à la confection d’explosifs, d’armes, de silencieux. Ainsi, en janvier et les 19 et 21 mars 2016, les terroristes ont visionné, à plusieurs reprises, deux vidéos sur le montage et le démontage d’un Remington 9 mm.
Dans ce même PC, un document «Etudes» montre que la sélection des cibles a évolué dans le temps. Des lieux sont recensés en Belgique et en France (puisque l’ordinateur a aussi servi pour la préparation des attaques de Paris): des stades de football, «Rue de la Loi», placé dans la corbeille le 16 mars, six jours avant les attentats. Y figurent des épisodes de l’émission C’est pas sorcier sur les «usines à risque» et les «centrales nucléaires». D’autres sites potentiels apparaissent à un autre emplacement, sous forme de photos: la caserne de Flawinne, l’hôpital militaire de Neder-Over-Heembeek, son musée de la radiologie, des cafés bruxellois…
«Tout le monde est cramé, tu vois»
Les enquêteurs saisissent encore des heures d’enregistrement audio: des consignes envoyées à des complices, des testaments, des extraits de poèmes en arabe, des lettres d’adieu ou encore le récit d’un rêve d’attentat-suicide fait par Khalid El Bakraoui, deux jours avant sa mort. Surtout, ils mettent au jour deux fichiers audio adressés à un commanditaire en Syrie: «Abou Ahmed», la kunya, le nom de guerre d’Oussama Atar, cousin des frères Bakraoui. L’analyse de ces données fournit ainsi aux policiers des preuves que les terroristes étaient dirigés depuis la Syrie, et qu’ils entretenaient toujours des liens avec leur «émir».
Ces messages retracent les derniers jours des deux terroristes de Zaventem: Najim Laachraoui, l’étudiant en électromécanique devenu artificier de l’EI, et Ibrahim El Bakraoui, ancien braqueur improvisé logisticien des attentats de Paris.
Le premier enregistrement, intitulé «Carved001884.wma», est effectué entre le 13 et le 15 mars 2016, le second, «Message audio», la veille, quand tout s’est emballé. Ces documents permettent de comprendre la genèse du 22-Mars, ainsi que l’évolution de l’état d’esprit des kamikazes au fil de leur mission. Et, enfin, que tout ne s’est pas déroulé comme prévu.
L’auteur du premier audio est Najim Laachraoui. Il évoque des cibles dans une relative liberté. C’est lui qui suggère des idées à Abou Ahmed. Il soumet la proposition, finalement jamais mise à exécution, de faire un «kidnapping d’une ou deux têtes», afin de demander la libération de certains «frères qui ont travaillé». Si le Royaume-Uni fut un temps envisagé, leur attention s’est ensuite portée sur la France, puis, dans l’urgence, sur la Belgique. «On t’avait parlé de l’Angleterre… Ouais, ça, on oublie, tu vois? Il faut… Ouais, on oublie», dit-il sans expliquer ce revirement. S’ensuivent des questions pointues sur la fabrication de TATP, les dosages, les recettes d’autres explosifs. Il précise qu’«en dix jours à peu près, on a fait plus de cent kilos de TATP. Là, en tout, on a 130 kilos». Plus loin, Najim Laachraoui aborde le projet d’insérer des explosifs sous des rails. Il demande encore la photo d’un schéma d’une commande à distance, laissant entendre que le plan initial des terroristes n’était pas de mourir en martyr.
Tant que vous continuerez à nuire aux intérêts de l’Etat islamique par votre participation à cette maudite coalition, alors il vous faudra accepter d’être frappé.
La suite du message indique que leur premier choix était de travailler «à long terme» en planifiant plusieurs opérations. Dans cette optique, l’artificier explique qu’ils sont «tous» d’avis qu’il serait préférable de «se focaliser sur la France» afin de conserver la Belgique comme «base de repli». «Ça reste toi l’émir, tu vois? C’est toi qui décides.»
Le 18 mars, Salah Abdeslam est arrêté, en compagnie de Sofien Ayari. Cette interpellation crée un mouvement de panique dans la cellule. Salah Abdeslam en sait trop: il connaît les planques, les hommes, les projets. Ces événements bouleversent les plans du groupe, qui n’a plus la capacité de monter une opération en France. Décision est prise de frapper la Belgique sans plus tarder. Dans un fichier enregistré le 21 mars à 22 h 43 intitulé «Texte Bel», les terroristes adressent un message de revendication à l’Etat belge. «Tant que vous continuerez à nuire aux intérêts de l’Etat islamique par votre participation à cette maudite coalition, alors il vous faudra accepter d’être frappé», peut-on y lire.
Autre audio, autre ton. Dans le second enregistrement, daté du 21 mars, «on n’a plus de planque de sécurité, il n’y a plus personne, etc. Tu vois, il n’y a plus de frères pour logistique, etc. Tout le monde est cramé, tu vois, explique Najim Laachraoui à Abou Ahmed. Les cibles ce sera inchallah l’aéroport et les métros. Les lignes de métro. Ça va être cinq dougma (NDLR: opérations suicides), inchallah. Tu vois. Direct.» Il motive les choix: «Mais pourquoi aussi l’aéroport?» «Parce que… on a eu des informations. Un frère nous a donné comme information qu’en matinée, il y a des vols américains, des vols russes, des vols israéliens. On va essayer de les toucher.» Ce «frère», selon les enquêteurs, serait Ali El Haddad Asufi, l’ami proche d’Ibrahim El Bakraoui et livreur de plateaux repas à l’aéroport.
Puis Ibrahim El Bakraoui se rapproche du micro: «Je te jure frère, Allah, il est témoin, on avait plein de plans. On avait plein d’idées. On voulait faire plein de choses, mais c’est le destin et la volonté d’Allah, on est obligés de travailler, sinon on va rester pourrir dans une cellule.»
La même nuit, à 2 h 51, cinq heures avant de se faire exploser à Zaventem, l’un des terroristes (non identifié) rédige un dernier fichier reprenant des extraits de poèmes en arabe: «Notre amour pour la mort va précipiter son instinct, tandis que leur peur de la mort allongera leurs vies.» Plus loin, l’auteur écrit: «Je m’apprête à faire une opération martyre.» Il implore qu’Allah l’accepte, lui et ses frères.
Tout est prêt pour le chaos.
La clé USB et les «kunya»
Il y a aussi la fameuse clé USB. Elle avait échappé aux enquêteurs lors d’une première perquisition de l’appartement d’Ali El Haddad Asufi, le 24 mars 2016. L’intéressé avait collé sur cette clé un autocollant, que la police avait apposé sur une autre saisie puis restituée, pour qu’«elle passe inaperçue», selon Ali El Haddad Asufi. Les enquêteurs en ont extrait des enregistrements audio d’Ibrahim El Bakraoui et destinés à plusieurs personnes. Elle comprend six fichiers, créés le 21 mars, en fin d’après-midi, et copiés le même jour. Ceux-ci sont identiques à ceux du PC de la rue Max Roos, à l’exception de «Abou Souleyman pour les frères». L’enquête montre qu’on a encore accédé à ces fichiers le 26 mai 2016. En audition, Ali El Haddad Asufi déclare qu’«entre le 15 et le 20 avril» «quelqu’un» – il ignore qui – l’a glissée «dans sa boîte aux lettres». Elle était emballée dans une «enveloppe avec marqué: “pour maman Bims”». Il l’aurait consultée vers la mi-mai, en prenant la précaution de la regarder d’un cybercafé. Ne l’aurait-il pas reçue des mains d’Ibrahim El Bakraoui lors d’une visite à Max Roos? Non, assure-t-il devant les policiers. Quant au passage enregistré sur cette clé dans lequel Ibrahim El Bakraoui précise que le frère «qui sera en possession du message saura à qui le faire écouter», il peine à l’expliquer.
Il y a encore ces deux kunya, Abou Imrane et Abou Amine. Ces noms, suivis d’un numéro de portable jamais activé, sont notés sur un bout de papier retrouvé rue Max Roos. Le premier serait celui de Bilal El Makhoukhi, combattant sous cette kunya en Syrie, que Najim Laachraoui connaît bien par l’intermédiare du réseau Sharia4Belgium. C’est à lui que l’artificier aurait confié les armes non utilisées. Il s’agit d’«un frère de confiance. Il est vraiment bien. Il a déjà été Sham. Il a travaillé avec nous», précise Najim Laachraoui, dans son dernier audio, la veille des événements du 22 mars. Lui nie être celui que Najim Laachraoui désigne sous ce nom: «Ici, en Belgique, personne ne m’appelait comme ça.»
D’après les enquêteurs, le second, Abou Amine, serait relié à Hervé Bayingana Muhirwa, ami de Bilal El Makhoukhi. Ils l’identifient également dans les deux messages audio. «Le frère Amine qui avait fait allégeance, qui nous a aidés aussi entre-temps, ils espèrent une route pour le Sham», explique, le 21 mars, Najim Laaachraoui à Abou Ahmed. Ou, à défaut, une voie pour la Lybie. L’analyse de son ordinateur révèle des recherches sur l’allégeance, le prénom Amine et la Lybie. En audition, l’intéressé a répondu: «Je ne sais pas quoi vous dire. C’est peut-être moi ou un ami.»
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