Procès des attentats de Bruxelles: la fouille à nu n’en finit pas de monopoliser les débats (analyse)
Il n’était plus vraiment question de scène de crime, d’enquête, ni même des victimes, ces derniers jours au procès des attentats de Zaventem et de Maelbeek, mais bien des conditions de transfert des accusés. La police campe sur ses positions, mais promet de fournir des explications, la défense n’en démord pas, la présidente s’impatiente, les victimes hallucinent. L’audience est suspendue. Une fois de plus.
A la demande de sa présidente, Laurence Massart, la cour d’assises a entendu mercredi après-midi le commissaire général de la police fédérale à propos des conditions de transfert des accusés.
Marc De Mesmaeker s’est engagé à communiquer les documents individualisés motivant les éventuelles futures fouilles à nu avec génuflexion sur les accusés détenus. Il a également affirmé que de tels documents existaient pour l’audience du jour et de la veille et a accepté de les transmettre.
Mercredi matin, les détenus ont manifesté leur profond désaccord avec le principe de la fouille à nu, à laquelle ils doivent se plier quotidiennement, en pratiquant la politique de la chaise vide. La veille déjà, les débats avaient tourné court après que de nouveaux échanges sur ces transferts ont viré à l’absurde.
Le responsable adjoint de la Direction de la Protection (DAP) de la police fédérale a en effet refusé de se présenter à l’audience pour expliquer ce qui justifie le maintien de la mise à nu accompagnée de génuflexions, et ce, en contradiction avec l’ordonnance rendue fin décembre par le tribunal des référés. Quant au rapport rédigé par le chef d’enquête après avoir entendu un responsable de la DAP, il n’a pas vraiment permis de mettre de l’huile dans les rouages.
Pour tenter de sortir de l’impasse, la présidente n’a donc eu d’autre choix que de réclamer la venue du plus haut gradé de la police, lequel ne pouvait logiquement se retrancher derrière un quelconque ordre hiérarchique.
Pas plus surveillés qu’eux
Les débuts kafkaïens de ce procès marathon génèrent un sentiment de frustration, voire de colère, dans le chef de parties civiles et laissent certains observateurs du monde judiciaire perplexes. C’est le cas de l’avocat spécialisé en droit de l’exécution des peines et président du Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP), Marc Nève. « La question du caractère systématique de la fouille et la question des génuflexions ont déjà été traitées antérieurement et sont réglées en matière pénitentiaire de façon extrêmement précise. La cour constitutionnelle avait, à l’époque, insisté sur le fait que ces mesures de sécurité doivent être justifiées par des éléments propres à la personne qui doit s’y plier et aux circonstances. En effet, on sait qu’en matière de privation de liberté, la fouille à nu est ce qui porte le plus atteinte à la dignité du détenu, raison pour laquelle les plaintes qui portent sur ces faits sont nombreuses. C’est vraiment un point très sensible. La police avance le critère de dangerosité liée à la nature de l’infraction reprochée aux accusés pour justifier une telle procédure alors que ceux-ci sont déjà soumis à la fouille vestimentaire et au détecteur de métaux ».
« Ce qui, en général, peut justifier l’imposition d’une fouille à nu, poursuit celui qui a défendu des criminels faisant l’objet d’une surveillance particulièrement serrée comme Marc Dutroux ou Farid Bamouhammad, c’est par exemple lorsque le personnel pénitentiaire soupçonne un détenu d’avoir manipulé de la drogue, et que la fouille de vêtements s’avère insuffisante. Or, dans ce cas-ci, on parle de détenus qui sont soumis à un régime d’isolement très strict et qui n’ont donc aucun contact rapproché avec qui que ce soit ».
« Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, pointe le professeur de droit pénal (ULiège) et avocat de l’association de victimes V-Europe Adrien Masset, c’est que ce n’est pas à la cour d’assises de statuer sur le bien-fondé de ces fouilles à partir du moment où la police s’est engagée à en communiquer les raisons. Comme il s’agit de documents administratifs, elle n’a pas à se positionner. D’ailleurs, peut-être que ces fouilles sont tout à fait justifiées au vu des éléments recueillis lors de la surveillance des détenus ». En cas de statu quo, les avocats de la défense pourraient intenter un recours devant le conseil d’Etat mais ses arrêts ne porteraient que sur les décisions qui ont déjà été rendues, pas sur les décisions futures relatives aux conditions de transfert, étant donné que celles-ci peuvent varier au gré des évaluations quotidiennes et individuelles.
« La juge Massart a dit à six reprises devant le commissaire générale de la police fédérale que si les fouilles n’étaient pas indispensables elles ne devaient pas être menées. Mais personne ne veut perdre la face. Franchement, les victimes méritent mieux. Si on va au clash et que les accusés refusent de comparaître, personne n’aura rien gagné », soupire Me Masset.
L’autre question qui se pose aujourd’hui, c’est qui a les cartes en main? Qui peut mettre fin à cet imbroglio qui, après la saga des boxes, donne une image peu reluisante de la justice belge? Pour Marc Nève, le procureur général doit se montrer plus ferme. « La magistrature assise a pris ses responsabilités. A présent, c’est à la magistrature debout de faire en sorte que la situation se débloque. Parce qu’à ce jour la cour n’a encore reçu aucune explication. Or, il y a forcément une raison à ce refus d’appliquer l’ordonnance ».
Pour le président honoraire du tribunal de première instance de Bruxelles, Luc Hennart, le parquet fédéral a effectivement son mot à dire – et il a d’ailleurs rappelé à l’audience qu’une décision avait été prise en référé et qu’il fallait s’y tenir – mais la loi sur la fonction de police octroie néanmoins aux effectifs de la fédérale une certaine autonomie. « Or, explique-t-il, celle-ci estime qu’elle applique correctement la directive sur les fouilles à nu du ministre de la Justice. Ce n’est donc pas si simple… »
La police fédérale a-t-elle un quelconque intérêt à ce que le procès s’enlise? « On peut en effet se demander si d’autres enjeux ne viennent pas polluer le procès », se questionne un magistrat habitué de la cour d’assises. « Lors des préparatifs du procès, au cours des derniers mois, il a souvent été question de capacité policière et de moyens promis aux forces de l’ordre et qui ne sont jamais arrivés. A travers ce positionnement, on pourrait effectivement voir une manière de renvoyer la responsabilité à ceux qui avaient fait des promesses et qui ne les ont pas respectées« . Un autre avance de bonnes vieilles querelles linguistiques entre le ministre de la Justice et des magistrats francophones… mais personne ne prétend réellement connaître le dessous des cartes.
Que se passera-t-il si le bras de fer entre les détenus et leurs avocats et la Direction de la Protection (DAP) tourne à l’avantage de cette dernière? Mardi, alors que le box des accusés était déjà resté vide, les avocats des trois absents ont expliqué que, si leurs clients souhaitaient se présenter devant la cour, ceux-ci avaient renoncé à venir après avoir été contraints de se soumettre à une fouille à nu. Or, personne ne souhaite un procès sans accusé.
« Défendre un accusé qui est absent à l’audience, c’est vraiment difficile pour un avocat », met en garde Marc Nève. « Quant au détenu, il n’a aucun intérêt à ce que le procès tourne au fiasco et qu’il faille passer par la cour de Cassation. D’autant que ce qui est très particulier ici, c’est l’effet de groupe. Il est rarissime que plusieurs détenus entament ensemble une telle procédure ».
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