Prix unique du livre : partout… sauf à Bruxelles
Un an après la Flandre, la loi sur le prix unique du livre entrera en vigueur le 1er janvier 2018 en Fédération Wallonie-Bruxelles. Enfin, pas partout à Bruxelles : les points de vente bilingues pourront continuer à pratiquer le tarif qu’ils veulent, grâce à une décision du ministre fédéral Kris Peeters. Surréaliste fédéralisme.
Trente-cinq ans. Trente-cinq ans que la Belgique essaye d’accoucher d’un prix unique du livre. L’envie d’enfanter lui était venue en 1982, après la naissance d’une législation française dont Jack Lang peut revendiquer la paternité, qui encore aujourd’hui empêche la concurrence effrénée entre petits libraires et grandes surfaces. L’éditeur fixe le prix d’un bouquin et aucun revendeur ne peut (plus) outrageusement le brader. Le gouvernement fédéral belge a essayé (19 propositions de loi…) et a même failli y arriver, en 2003. Le texte avait été voté à la Chambre puis devait être entériné au Sénat. Interruption non-accidentelle de grossesse : MR, Open VLD et SP.A avaient déposé plus de 300 d’amendements pour traîner jusqu’aux élections. Puis la nouvelle ministre libérale flamande en charge, à l’époque, Fientje Moerman, n’en avait plus voulu et personne ou presque n’en avait reparlé.
Jusqu’à la sixième réforme de l’Etat de 2014, rendant les entités fédérées compétentes pour la fixation des prix. Tel un couple infertile ne devenant parent qu’une fois séparé, la Flandre et la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) ont réussi seules ce qu’elles avaient toujours raté ensemble. Le prix unique du livre est entré en vigueur au 1er janvier 2017 au nord du pays, et doit l’être au sud le 1er janvier 2018. Les deux textes ne sont pas tout à fait jumeaux. Entre autres divergences, la protection flamande du tarif ne dure que les six premiers mois suivant la sortie de l’ouvrage puis redevient libre, contre vingt-quatre mois en Wallonie.
Et à Bruxelles ? Allez savoir. Tuyauterie institutionnelle oblige, pour pouvoir appliquer ces décrets dans la capitale aux points de vente bilingues, il faut conclure un accord de coopération tripartite avec le fédéral. Le ministre de l’Economie, Kris Peeters (CD&V), a donc été appelé à se prononcer. Et il s’est prononcé contre. Dans un courrier envoyé le 31 octobre dernier à Alda Greoli (CDH), ministre de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles, il se base sur un avis de l’autorité de la concurrence pour estimer qu’il faut laisser aux libraires bruxellois « le libre choix de fixer les prix des livres ». Peeters juge que les deux lois sont trop différentes pour pouvoir être appliquées conjointement. « L’accord serait une source de tracas administratifs et d’incertitude juridique », poursuit-il, ajoutant ne pas être certain que le texte, même « dans une forme plus développée, soit opportun et pratique ».
Alda Greoli ne réagit pas, si ce n’est pour signifier qu’une « réponse est en cours de rédaction, avec l’appui du Centre d’expertise juridique de la FWB ». Le syndicat des libraires francophones de Belgique n’était pas au courant, mais ne s’étonne pas vraiment, « tant le lobbying dans ce dossier est important », dixit Philippe Goffe, administrateur qui a suivi ce dossier pour le compte de l’organisation. Les grandes surfaces et les sites de vente en ligne qui proposent, à Bruxelles, des ouvrages dans les deux langues ne pleureront sans doute pas : ils pourront continuer à casser les prix, alors que leurs homologues flamands et francophones devront se limiter à une ristourne de 5 % maximum. Un même livre sera in fine soumis à trois règles différentes. La concurrence que les deux nouvelles lois étaient censées gommer n’en sera qu’exacerbée… Le surréalisme à la belge, décidément.
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