Prix de l’énergie : pourquoi éteindre les autoroutes la nuit est anecdotique
Depuis le 21 septembre, la Wallonie a éteint l’éclairage nocturne des bermes centrales au LED de ses autoroutes. Une mesure sensée mais avant tout symbolique, puisqu’elle n’aidera presque en rien à faire baisser le prix de l’électricité.
Les petits ruisseaux forment les grandes rivières», résumait le Premier ministre, Alexander De Croo, après le Codeco du 31 août dernier, jugé unanimement décevant vu l’ampleur de la crise énergétique. Il est pourtant vrai que tout ce qui peut concourir à la réduction de notre consommation est bon à prendre, tant pour se passer progressivement des énergies fossiles que pour faire baisser urgemment la facture énergétique, par le biais de l’offre et de la demande. Logiquement appelés à montrer l’exemple, les pouvoirs publics ont ainsi adopté, à différents échelons, une série de mesures visant à réduire leur propre consommation: limitation du chauffage des bâtiments occupés à 19 degrés maximum, extinction de l’éclairage nocturne des bâtiments publics, des monuments historiques… De son côté, le gouvernement wallon a également décidé, début septembre, d’éteindre l’éclairage des bermes centrales sur ses autoroutes de 22 heures à 5 heures, soit pendant la période de trafic la plus creuse. Cette «mesure d’urgence» est pleinement effective depuis le 21 septembre et durera au minimum jusqu’à la fin de l’hiver.
La baisse de consommation due à l’extinction partielle de l’éclairage autoroutier ne représente que 0,01% de l’électricité que la Wallonie engloutit en un an.
Considérée par beaucoup comme une évidence, elle relève toutefois davantage du symbole que d’une parade, même minime, pour contrer la flambée du prix de l’électricité. Elle ne s’étend pas sur les heures de pointe, qui constituent les créneaux les plus problématiques pour le réseau et – la plupart du temps – pour le prix intrajournalier sur les marchés de l’électricité. En Belgique, celui-ci atteint généralement des sommets entre 7 heures et 9 heures, puis entre 17 heures et 21 heures, comme l’attestent les données de la bourse européenne de l’électricité, Epex Spot. Sachant que l’éclairage des autoroutes s’enclenche dès le coucher du soleil, d’autant plus précoce en hiver, ses luminaires contribueront bel et bien à la demande globale en électricité pendant les heures de pointe.
Uniquement grâce au led
A l’heure actuelle, cette mesure ne concerne pas l’ensemble des tronçons autoroutiers. En 2019, la Wallonie a, en effet, adopté son «Plan lumières 4.0», visant à moderniser l’éclairage sur 2 700 kilomètres de son réseau routier structurant, composé des autoroutes et des principales nationales wallonnes. Montant total de l’investissement, confié au consortium LuWa pour vingt ans: 600 millions d’euros. Pour septembre 2023, ce plan prévoit le remplacement de 110 000 éclairages orange au sodium, dont 25 000 en berme centrale autoroutière, par des luminaires LED. Ceux-ci offrent un meilleur éclairage, tout en étant à la fois pilotables – ils peuvent, par exemple, clignoter par endroits pour signaler un danger aux usagers – et bien moins énergivores. D’après la Société de financement complémentaire des infrastructures (Sofico), en charge du réseau structurant wallon, le passage au LED devrait permettre de générer une économie d’énergie de 76%. Or, «seuls les points ayant fait l’objet d’une conversion au LED dans le cadre du Plan lumières 4.0 pourront être éteints, soit à ce jour 20 000 points lumineux sur les 25 000 que comptent les bermes centrales des autoroutes», précisait la Sofico dans un récent communiqué.
En additionnant ces facteurs limitants, la baisse de consommation d’électricité due à l’extinction partielle de l’éclairage autoroutier ne devrait donc s’élever, sur une base annualisée, qu’à 2 760 mégawattheures (MWh) en 2024. Cela représente 13% de la consommation de l’ensemble des luminaires du réseau structurant à la même échéance. Et 0,01% seulement des 23 000 gigawattheures d’électricité que la Wallonie engloutit en un an. A titre de comparaison, ces 2 760 MWh équivalent à la consommation électrique annuelle de 1 380 ménages wallons (2 000 kWh chacun en moyenne). Mais pour cet automne et cet hiver, cette mesure n’ économisera tout au plus que quelques centaines de mégawattheures, vu qu’elle ne s’étend pas sur une année complète et que 20% des bermes centrales ne sont pas encore rénovées.
Une décision sensée?
Il peut a priori paraître inutile d’éteindre des luminaires en pleine nuit, soit au moment où la demande en électricité est généralement la plus faible. D’autant que les réacteurs nucléaires belges, quand ils sont opérationnels, sont supposés fonctionner en continu, y compris la nuit. Certes, notre pays dispose de larges capacités d’interconnexions, lui permettant de revendre, à un prix potentiellement bas, l’éventuel surplus d’électricité produite en Belgique, en l’absence de capacités significatives de stockage (à l’exception de la centrale hydroélectrique de Coo-Trois-Ponts). Mais est-il pour autant sensé de réduire davantage la consommation nocturne? Oui, comme l’explique le professeur Damien Ernst, spécialiste des questions énergétiques à l’ULiège: «Pendant la nuit, nos besoins en électricité nécessitent encore une capacité de 6,5 gigawatts. Sachant qu’il nous restera cinq réacteurs nucléaires, puisque nous venons de fermer Doel 3 (NDLR: ce réacteur a définitivement été mis à l’arrêt le 23 septembre), il reste encore 1,5 gigawatt à couvrir par d’autres sources. En se limitant à une vision très belge, il faudra toujours un peu d’énergie fossile pour répondre à cette demande nocturne. Mais même à l’échelon européen, il n’est pas possible de la couvrir entièrement avec un mix électrique uniquement basé sur le nucléaire et l’ éolien.»
De son côté, Elia, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute tension en Belgique, confirme que tout ce qui permet de réduire la demande, y compris la nuit, peut contribuer à faire baisser les prix. A fortiori quand cette réduction est à la fois prévisible et effective pendant plusieurs mois, au moins. Même partielle, l’extinction des autoroutes la nuit a donc du sens d’un point de vue énergétique. Mais ce n’est pas tant une véritable «mesure d’urgence», comme la qualifie le gouvernement wallon, qu’un infime ruisseau dont la pertinence se mesure à l’aune de l’exemplarité qu’il symbolise.
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