Joyce Azar
Présomption d’innocence, même pour les djihadistes
Un djihadiste belge aurait-il pu commettre le pire ? Hier, les rumeurs relayées par certains médias ont été bon train. Elles dévoilaient le nom d’un jeune homme de Vilvorde parti en 2012 combattre en Syrie. On l’aurait reconnu dans les effroyables images filmées par des membres du groupe terroriste Etat islamique.
Un citoyen belge aurait-il vraiment pu être l’auteur d’un des actes les plus barbares qui soit, à savoir égorger une personne jusqu’à sa décapitation ? Il reviendra aux enquêteurs et à la justice d’en juger.
En attendant, certains médias ont, eux, déjà rendu leur verdict. Et donc, une bonne partie de l’opinion publique, francophone et flamande, pense que oui, l’un de nos ressortissants – n’en déplaise à certains qu’il soit considéré ainsi -, a commis l’impensable. Seulement voilà : on sait aujourd’hui de source sûre qu’il ne s’agissait pas du jeune homme en question. Ce qu’on sait aussi, c’est qu’il est désormais trop tard : des journalistes ont dévoilé son identité.
Ce faisant, ils contribuent à propager l’idée que les jeunes « musulmans » sont capables d’actes terroristes infâmes. Les sanctions qui leur sont réservées, telles que la confiscation de leurs papiers d’identité, en deviennent dès lors totalement légitimes. Pour les autorités, cette situation justifie également l’élaboration de nouvelles lois, plus strictes et plus sévères, visant à mieux lutter contre le terrorisme. On écarte dans la foulée les doutes sur l’efficacité de telles mesures.
La barbarie revendiquée par l’état islamique égare les esprits. On confond alors musulman et adepte d’une secte intégriste aux nostalgies califiennes.
La barbarie égare les esprits, permet à la pulsion d’être plus forte que la raison. Personne ne peut demeurer insensible face à des images d’une telle violence. On s’emballe. On se perd. Entre les « barbus » et autres « Abou Jihad », la confusion devient reine. On confond alors de façon tendancieuse musulman et adepte d’une secte intégriste aux nostalgies califiennes. On a peur, on panique, on fantasme sur ce que ces jeunes délinquants – faille ou échec de nos sociétés occidentales – sont capables de faire. Les dirigeants eux-mêmes sont dépassés. Comment agir face à de potentielles bombes à retardement ? Les punir ? Tenter de les réhabiliter ? Les experts ne parviennent pas à trancher.
Une chose demeure : qu’on le veuille ou non, ces citoyens belges ont, eux aussi, le droit au respect de la présomption d’innocence. Ce n’est pas le cas du jeune belge arabo-musulman cité mardi dans une grande partie des médias du pays, voire outre-Quiévrain. Cité, et donc en quelque sorte condamné, il n’en souffrira peut-être pas, certaines sources indiquant que le jeune homme est probablement déjà décédé. Mais sa famille devra, en plus du chagrin et de la douleur, affronter les regards et plaider l’innocence de celui qu’elle a perdu. Et toute une communauté vivre avec, pesant sur elle, la présomption de culpabilité.
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