Premier baromètre de la transparence à Bruxelles: résultats consternants!
Depuis onze ans, les mandataires publics bruxellois sont soumis à des règles strictes de transparence sur leurs rémunérations. Selon l’enquête que nous avons menée, avec cinq autres médias et Transparencia, la plupart ne les ont pas respectées. Or le Parlement bruxellois s’apprête à voter de nouvelles règles plus contraignantes.
Thierry Denoël-Le Vif/L’Express Enquête avec la RTBF, la VRT, La Capitale, Het Nieuwsblad et Bruzz
Les politiques bruxellois prennent-ils les citoyens pour des idiots? La réponse se trouve dans la question… Voici le topo: le 28 novembre dernier, tous les groupes politiques du Parlement bruxellois, emmenés par le président Charles Picqué (PS), annonçaient triomphalement, face à la presse, avoir négocié de nouveaux textes sur la gouvernance à Bruxelles. Des textes révolutionnaires qui vont enfin changer les moeurs politiques dans la capitale ! Ont-ils la mémoire courte, ces élus? Ce changement, voilà en effet onze ans qu’il devait être en route, suite à l’ordonnance du 12 janvier 2006 sur « la transparence des rémunérations et avantages des mandataires publics bruxellois ». Mais de cette ordonnance on ne parle plus ou presque. Focus désormais sur les nouveaux projets.
Ne soyons pas naïfs. En matière de gouvernance, les politiques réagissent au gré des scandales. Au pied du mur. Les projets qui viennent d’être présentés au Parlement bruxellois interviennent après plusieurs mois de révélations sur les affaires Publifin et Samu Social, deux scandales qui ont mis au jour l’existence de réunions ou mandats bidon rémunérés. En 2006, la fameuse ordonnance sur la transparence, qui allait, elle aussi, bouleverser les règles en matière de rémunérations des mandats, est née dans le sillage de La Carolo, cette vaste affaire politico-financière aux multiples ramifications qui a créé un véritable séisme dans la région. A priori, les Bruxellois n’étaient pas mouillés, mais le gouvernement Picqué III a préféré prendre les devants et légiférer, sans attendre un scandale propre à Bruxelles.
Le texte voté en 2006 constituait une avancée majeure. Il consacrait le plafond de 150% pour la rémunération des mandataires, soit une fois et demie la rémunération brute d’un député fédéral. Etaient visés les bourgmestres, échevins, conseillers communaux, membres des conseils et collèges de police, tout membre d’un organe de gestion d’un organisme public. Quant aux mandats ciblés, l’ordonnance soulignait explicitement qu’il s’agissait aussi des mandats dérivés, soit les mandats désignés par le conseil communal au sein d’intercommunales ou d’ASBL communales, par exemple.
Des sanctions lourdes sont prévues
Ces mandats, surtout lorsqu’ils sont rémunérés, sont très prisés et font l’objet d’un véritable mercato dans les communes au début de chaque législature. L’ordonnance de 2006 donne une définition claire de ces mandats: « fonctions exercées par un mandataire public au sein d’une personne juridique de droit public ou de droit privé ou d’une association de fait », pour autant que ce mandat « lui a été confié en raison de son mandat originaire par l’autorité où il exerce celui-ci ou de toute autre manière ». Il était prévu que les déclarations de mandats (y compris dérivés) et leurs rémunérations soient remises aux secrétaires communaux, lesquels doivent dresser un rapport annuel reprenant ces données qu’ils transmettent à l’autorité de tutelle, soit la Région, censée contrôler que personne ne dépasse le plafond de 150%. Des sanctions lourdes étaient prévues, notamment des peines de prisons ou des amendes. Un rapport annuel devait aussi être publié par la Région qui ne l’a jamais fait.
En réalité, aucun arrêté d’exécution n’a été pris suite à l’ordonnance. La cellule transparence qui devait effectuer le contrôle n’a jamais vraiment vu le jour, en tout cas pas de manière indépendante. Une personne mi-temps, au sein de l’administration régionale, s’est occupée d’archiver les données transmises par les secrétaires communaux sans vérifier si celles-ci étaient correctes ou complètes. Dans ce contexte, les communes et la Région bruxelloises ont beau jeu aujourd’hui de se renvoyer la balle, les premières arguant ne pas savoir comment procéder, la seconde renvoyant les communes à leur obligation de publier un rapport annuel.
On sait que la Région n’a pas vraiment fait le job. Avec Transparencia et cinq autres médias (RTBF, VRT, La Capitale, Het Nieuwsblad et Bruzz), Le Vif/L’Express a vérifié si les communes, elles, avaient, malgré tout, suivi les règles prescrites par l’ordonnance de 2006. Nous avons donc enquêté sur ces petits papiers bruxellois, que nous avons baptisés, un peu ironiquement, « Brussels Papers », avec cette question sous-jacente: l’ordonnance en vigueur a-t-elle réussi à modifier les comportements ou bien les mandataires politiques ont-ils fait fi de leurs belles promesses d’il y a onze ans? La question nous semblait d’autant plus pertinente que la Région se prépare à voter de nouveaux textes, plus contraignants encore.
Patience, patience
Nous nous sommes partagés les 19 communes auxquelles nous avons demandé via le site transparencia.be de nous fournir les rapports annuels de transparence qu’elles devaient avoir publié depuis 2006. Une première demande a été adressée début juillet dernier, puis une second demande vers la fin septembre-début octobre et, enfin, pour les communes récalcitrantes (soit presque toutes), un avis a été demandé à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) de Bruxelles, début novembre.
Nous avons opté pour un classement sous forme de baromètres en couleurs. Les critères vont de la non-réponse (en rouge foncé) à une réponse conforme à l’ordonnance de 2006 (en vert foncé). Entre les deux, nous avons tenu compte des données fournies ou non sur les mandats, en particulier les mandats dérivés (rémunérations, avantages de toute nature, frais de représentation, etc.) et du nombre d’années couvertes. Il ne fallait pas être dupe : pour plusieurs communes, il a suffi que nos médias montrent le bout de leur nez sur Transparencia pour voir des rapports annuels et des listes de mandat éclore sur les sites web communaux. Comme par enchantement. Certaines communes avaient aussi été sollicitées par de simples citoyens sur Transparencia, avant notre enquête, sans y donner suite ou de manière très peu satisfaisante. Elles se sont montrées plus diligentes avec les demandes des médias.
Il a fallu cependant être patient. Très patient. Au bout du compte, la CADA a rendu des avis se révélant favorables à nos requêtes: selon ces avis, les communes doivent communiquer les rapports annuels établis depuis 2006, y compris les pièces justificatives en sa possession en vue de rédiger ces rapports annuels. Mais elles n’ont pas l’obligation d’établir un rapport qui n’existerait pas. Cela dit, l’ordonnance oblige les communes à établir ces rapports. Dont acte.
Conclusion de notre enquête: le résultat global est décevant. Près de la moitié des communes sont en zone rouge-orange foncé, huit en orange clair, avec un score moyen donc, et deux seulement dans le vert. Aucune n’atteint le vert foncé. Une seule, Boistfort, atteint le vert clair. Une seule, Etterbeek, le vert moyen. C’est vraiment très peu par rapport aux promesses faites en 2006. Ce sont surtout les données concernant les mandats dérivés qui sont lacunaires. Cela signifie que, depuis onze ans, la grande majorité des communes se sont moquées de la loi et des électeurs, tout comme la Région qui n’a pas rempli ses missions de tutelle. Consternant.
A l’aune de ces résultats, on peut évidemment se demander si les nouvelles règles de bonne gouvernance que le Parlement s’apprête à voter et qui devraient entrer en vigueur en 2018 seront, elles, respectées et de quelle manière. Qu’est-ce qui le garantit? D’autant que ces règles seront plus contraignantes encore que celles de 2006. Il est prévu que soit publié sur Internet tous les mandats et rémunérations, pas seulement des élus, et y compris les rémunérations privées (par tranche de revenus). Les mandataires vont-ils s’y plier? La cellule transparence qui doit être créée au sein du parlement ressemblera-t-elle à autre chose qu’un fantôme, cette fois? On est sceptique. Forcément.
L’intégralité du dossier dans Le Vif/L’Express de ce jeudi.
Lancé en octobre 2016, le site transparencia.be permet aux internautes-citoyens qui veulent accéder à un document administratif d’encoder leur demande via un formulaire en ligne. La demande est automatiquement dirigée vers l’administration concernée grâce à un logiciel mis au point par l’ONG britannique My Society, à l’origine du site web WhatDoTheyKnow qui a déjà réuni, en neuf ans, plusieurs centaines de milliers de documents publics. Depuis sa création à l’initiative d’Anticor.be (site anti-corruption via un système de lanceurs d’alerte) et de Cumuleo.be (baromètre de cumul des mandats), transparencia.be affiche un très beau succès: 60.000 visites en un an. Un record. Il est devenu un poil à gratter qui irrite nombre de mandataires qui se plaignent de crouler sous les demandes et qui sont, en fait, peu habitués à cet exercice de transparence, obligatoire depuis 2006 en Région bruxelloise.
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