Gérald Papy
Poutine et la veulerie des Européens
Le mouvement olympique devra-t-il rendre gloire à Vladimir Poutine d’avoir sorti les Jeux olympiques d’hiver de leur douce léthargie ?
Car si vous n’avez gardé aucun souvenir de Vancouver 2010 ou de Turin 2006, vous vous souviendrez de Sotchi 2014. De la jubilation contenue de l’imperator russe dans la tribune du stade olympique Fisht le soir de l’ouverture ou, plus sûrement, du geste symbolique que ne manqueront pas de poser, à l’une ou l’autre occasion, des athlètes en solidarité avec les homosexuels du pays hôte. Poutine n’en a cure. Ce n’est là que bagatelle occidentale. La Russie est de retour. Et Sotchi aujourd’hui, le Mondial de football 2018 demain, en sont les spectaculaires démonstrations.
Professeur à Sciences Po, à Paris, Bertrand Badie juge que « la persistance du réflexe oligarchique devient aujourd’hui l’un des facteurs les plus graves de blocage du système international » et en déduit le triomphe de La diplomatie de connivence (éd. La Découverte). Après le délitement des années Eltsine, Poutine a rétabli la Russie dans une certaine puissance, économique puis diplomatique, préalable indispensable à la réintégration au sein de l’oligarchie mondiale. Aujourd’hui, Moscou est redevenu un acteur qui compte dans l’ordre international dicté par les Etats-Unis, que ce soit pour la résolution de la crise syrienne ou le dénouement du dossier nucléaire iranien.
Les Occidentaux ont concomitamment perdu leur pouvoir d’influence sur la démocratisation du régime russe. Les chanteuses-militantes des Pussy Riot, l’homme d’affaires libéré de prison Mikhaïl Khodorkovski ou l’opposition démocratique survivent dans l’indifférence coupable des dirigeants politiques européens. Qui sont tout aussi impuissants à accompagner la révolte des Ukrainiens pro-européens en regard des milliards de dollars d’aide promis par le Kremlin au président Ianoukovitch.
Face à la Russie, puissance gazière, comme devant les pétromonarchies d’Arabie saoudite ou du Qatar, l’Europe « ne décide pas, se contente de dessiner un consensus minimal, fait de rhétorique, mais aussi de silences » ; c’est un autre travers de la diplomatie de connivence. Ainsi, l’assurance et l’arrogance d’un Poutine renvoient-elles l’image de notre propre faiblesse, cette couardise qui, renforcée en temps de crise économique, réduit proportionnellement notre niveau d’exigence en matière de respect des droits de l’homme.
Miné par son coût exorbitant, les affres de la corruption et les entorses au respect de l’environnement, Sotchi 2014 bafoue la charte olympique qui ambitionne de « mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine ». Mais il y a longtemps qu’on sait le Comité international olympique gagné par la realpolitik et soumis aux pressions. Plus décevante est en définitive l’attitude de dirigeants élus, chantres de la démocratie en Centrafrique ou en Syrie, mais dépourvus de courage politique face à la Russie.
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