Pourquoi l’extrême droite flamande succombe au charme de Poutine
Alors qu’autrefois l’extrême droite flamande partait en guerre contre les Russes, les ennemis d’hier sont aujourd’hui intimement enlacés. Notre confrère de Knack est parti à la recherche du lobby pro-russe en Belgique. « Je trouve que Staline a fait du bon boulot. »
Le plus grand fan de Poutine du pays vit à Termonde. Quand on entre dans la maison de Kris Roman on se croirait dans une boutique de souvenirs située à trois pas de la Place Rouge. Roman, un quinquagénaire corpulent au crâne rasé, reconnaît qu’il a un passé de droite. Dans les années quatre-vingt et au début des années nonante, il militait pour le Vlaams Blok pour protester contre la hausse de migrants à Bruxelles. Roman qualifie son passé extrémiste, où il a ouvertement sympathisé avec le Troisième Reich, de « pêché de jeunesse » auquel il a dit adieu.
Après une visite à Kiev en 1998, c’est l’amour pour la Russie qui a pris le dessus, et il a échangé Hitler contre Staline. « Je trouve que Staline a fait du bon boulot », explique Roman. « Je l’admire parce qu’il a remporté la Seconde Guerre mondiale. Cela me dérange que l’Occident ne reconnaisse pas cette victoire. » Rapidement, cet amour tourne à la passion dévorante. Aujourd’hui, Roman réside environ la moitié de l’année en Russie. Il a exceptionnellement obtenu un visa pour deux ans. Il y a deux ans, il a été baptisé selon le rite orthodoxe et aujourd’hui, il envisage même de se faire naturaliser.
Illustre inconnu en Belgique, Kris Roman est un hôte apprécié par les studios de télévision russes. Il fait de continuels allers-retours entre la Belgique et Moscou pour donner son opinion sur des sujets politiques brûlants. Il le fait principalement auprès de chaînes locales, mais aussi sur des chaînes publiques à grande écoute telles que Rossija-1, Pervyj Kanal et NTV. Bien qu’en Belgique il n’ait obtenu qu’un diplôme A1 en électricité, les médias russes l’accueillent comme un politologue belge influent.
Un Russe dans la cuisine
L’appréciation de l’extrême droite pour la Russie est un phénomène européen largement observable. Le FPÖ autrichien et la Lega Nord italienne ont un accord de coopération avec Russie Unie, le parti du président Poutine. Frauke Petry, jusqu’à il y a peu présidente d’Alternative für Deutschland, a été reçue en février à Moscou et après de longues hésitations Geert Wilders ira également en Russie. Pour les élections, le Front National de Marine Le Pen a reçu un emprunt russe. « Dans le fond, ces partis adoptent la même politique que le régime de Poutine », déclare le chercheur Anton Shekhovtsov, qui étudie les liens entre la Russie et l’extrême droite. « Tout comme Poutine, ce sont des anti-globalistes qui éprouvent une aversion de la démocratie libérale. Ils voient la Russie comme un contrepoids au modèle de civilisation américain. » Dans son dernier livre « Russia and the Western Far Right », Shekhovtsov parle d’un tango noir.
Jean Thiriart, idéologue bruxellois et collaborateur condamné qui a remis l’eurasianisme au goût du jour dans les années soixante, joue un rôle frappant dans cette association sinistre. Malgré ses sympathies fascistes, Thiriart a peu à peu élaboré le projet d’une alliance géopolitique entre l’Europe et l’Union soviétique. Dans les années quatre-vingt, il devient une source d’inspiration importante d’Alexandre Douguine, l’idéologue nationaliste qui a réinstauré l’eurasianisme dans le spectre politique russe après la chute de l’Union soviétique. « J’ai toujours été partisan d’une Europe qui va de Vladivostok à la Mer du Nord. L’Europe doit se détourner de Washington et tourner son regard vers Moscou. On essaie de garder l’image hostile de Poutine, mais il est clair que la Russie doit être notre alliée. »
En Wallonie aussi, les partis d’extrême droite tournent les yeux vers Moscou. Le Parti Populaire de l’avocat bruxellois Mischaël Modrikamen n’hésite pas à se qualifier de pro-russe et oeuvre explicitement à la suppression des sanctions financières et économiques. Cependant, au sein du Vlaams Belang, le virage vers l’Est a commencé depuis longtemps. Aujourd’hui, le parti qui à ses débuts parlait avec nostalgie de la Légion flamande héroïque partie combattre « Le Russe » à l’Est, voit le président russe Vladimir Poutine comme le protecteur de traditions chrétiennes.
Alors que dans les années quatre-vingts, Filip De Winter manifestait encore devant l’ambassade de l’Union soviétique sous la devise « mieux vaut un missile dans le jardin qu’un Russe dans la cuisine », aujourd’hui il glorifie « le leadership musclé » de Poutine. « Pour moi, Vladimir Poutine est un exemple politique », raconte Dewinter. « Il se fait valoir et déclare de quoi il en retourne. En Russie, on a encore une pensée ethnico-culturelle saine. Le Rideau de Fer présentait l’avantage clair d’être une barrière physique contre tout le modernisme progressif et la société multiculturelle. » Pour appuyer son engagement, Dewinter compte déposer une motion destinée à lever les sanctions financières et économiques européennes contre la Russie. « Personne ne se rappelle pourquoi nous avons pris ses sanctions. Cessons ces absurdités. »
Ce changement de cap a été initié par l’ancien député flamand Frank Creyelman, ancien VMO (Vlaamse Militanten Orde) reconverti en patron de la section malinoise du parti. En 2006, Creyelman a été le premier Vlaams Belang à partir observer les élections en ex-Union soviétique. Le 19 mars, il assiste à la troisième élection d’Alexandre Loukachenko au poste de président de Biélorussie. Pour l’ancien sénateur, un monde s’ouvre. « En Russie, j’ai découvert une pensée que l’élite libérale de gauche en Europe a supprimée depuis longtemps », déclare Creyelman. « Il n’y a pas de politiquement correct étouffant en Russie. »
Pour le président du parti Tom Van Grieken, cette évolution est un défi. Parmi les membres du parti, les sentiments anti-russes prennent de l’ampleur et la sympathie dans le conflit ukrainien va surtout à Kiev. Van Grieken souligne que son parti ne doit pas choisir définitivement son camp. « En ce qui me concerne, la balance est en équilibre. Nous pensons dans l’intérêt de la nation flamande, et nous optons pour Moscou quand cela nous arrange. » Cependant, Van Grieken n’exclut pas que le Vlaams Belang s’oppose à l’OTAN en 2019. « Je me demande pourquoi la Belgique doit encore faire partie de l’OTAN. Nous sommes suffisamment intégrés en Europe, et je ne pense pas qu’on doive s’attendre à une attaque de la France ou de l’Allemagne. Pourquoi avons-nous besoin de l’OTAN ? Pourquoi nous aventurer dans une région désolée comme l’Afghanistan ?
Travailler pour Poutine
Pour la Russie, les partis servent à attiser les oppositions au sein de sociétés. En outre, les politiciens russophiles sont engagés massivement par les médias financés par le Kremlin tels que Russia Today ou Sputnik. Ainsi, RT aime inviter des politiciens tels que Tom Van Grieken ou Aldo Carcaci pour parler de l’actualité européenne. Frank Creyelman estime que c’est là un choix « logique ». « Pourquoi les médias russes devraient-ils donner une tribune aux personnes antirusses? Les Russes n’ont presque pas d’amis dans le monde, et donc leurs médias optent en masse pour tous ceux qui se prononcent contre les sanctions. Le fait que je sois pro-russe ne signifie d’ailleurs pas que je suis une marionnette. Je n’ai jamais été obligé à dire ce que je ne voulais pas. »
En outre, les partis sont utilisés pour effectuer des corvées électorales. L’ Eurasian Observatory for Democracy & Elections (EODE), une ONG dirigée depuis la Belgique y occupe un poste clé. La gestion quotidienne est aux mains de Luc Michel, l’ancien bras droit de Jean Thiriart, qui se manifeste aujourd’hui comme anti-fasciste. Avec l’EODE, Michel s’est spécialisé en ce qu’il appelle « la diplomatie parallèle ». Ces dix dernières années, l’ONG a organisé des missions électorales dans pratiquement tous les états-membres de l’ex-Union soviétique. Ces missions sont remplies par la fine fleur de l’extrême droite européenne, même si de temps en temps il y a quelques clandestins d’extrême gauche de partis comme Syriza ou Die Linke.
Alliance temporaire
Depuis la Révolution orange ukrainienne de 2004, où le candidat pro-russe Viktor Ianoukovytch a été battu par un bloc pro-occidental, les cénacles de pouvoir ont l’idée que les protestations ont été organisées par la CIA. Pour se défendre contre cette perception d' »attaque américaine », Moscou aime contrôler les activités électorales dans de nombreux pays voisins, parfois à l’aide de fraude électorale à grande échelle. En assurant des missions de monitoring, la Russie tente de donner un vernis de légitimité aux élections. « Le régime russe se rend compte que l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) désapprouvera les élections », déclare Shekhovtsov. « En peuplant les missions d’observation d’observateurs qui soutiennent la Russie, le régime procure une alternative. N’oubliez pas que la population russe se considère comme européenne. C’est pourquoi le régime russe a besoin des Européens pour dire que les élections se sont passées correctement. Avec des observateurs non européens, cela ne fonctionnerait tout simplement pas. »
Shekhovtsov estime que l’alliance entre Poutine et l’extrême droite est un pis-aller qui ne plaît pas beaucoup au Kremlin. « Suite à la répression après les protestations de 2011 et l’annexion de la Crimée, le régime s’est mis hors-jeu », déclare Shekhovtsov. « Le régime russe préférerait de loin avoir des alliés parmi les politiciens mainstream. Moscou souhaite normaliser les relations le plus rapidement possible, mais ne semble guère prêt à faire des concessions, ce que les partis de centre jugent inacceptable. À long terme, le Kremlin caresse le rêve d’élire un leader pro-russe, mais aujourd’hui il serait déjà ravi d’une normalisation des relations. »
Celle-ci semble se profiler. Ainsi, il y a de plus en plus de voix favorable au retour du droit de vote de la Russie au Conseil d’Europe qui a perdu la Crimée après l’annexion. Le Premier ministre Charles Michel a également répété plusieurs fois que l’Europe doit continuer à parler à la Russie. Fin janvier, il se rend à Moscou pour rencontrer le président Poutine et le Premier ministre Dmitri Medvedev. S’il n’y a pas de déclaration d’amitié, ce voyage indique la tendance croissante à normaliser les relations diplomatiques avec la Russie, malgré les sanctions. Et alors que les fans inconditionnels demeurent presque exclusivement dans les cercles d’extrême droite, les partis mainstream s’intéressent également de plus en plus à l’Orient. « Je reçois régulièrement des questions très intéressées de députés de la N-VA sur ce qui se passe en Russie », souligne Filip De Winter. « Évidemment, je leur réponds avec plaisir ».
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