Pourquoi les notaires sont si chers en Belgique
Il y a ceux qui terminent l’année dans le rouge, et ceux qui engrangent des millions. Entre les deux, les notaires gagnent (très) confortablement leur vie : 30 % d’entre eux réalisent plus de 400 000 euros de bénéfices par an. Parce qu’ils se sont transformés en machines immobilières ou qu’ils mutliplient les » frais divers « . La profession elle-même reconnaît que des abus existent.
Pas terrible, 2017. Douze millions de chiffre d’affaires : trois de moins qu’en 2016 ! Et puis, ces 47 équivalents temps plein à rémunérer, ces » biens et services » à honorer… Voilà le bénéfice de l’étude notariale bruxelloise Berquin réduit à 2,55 millions d’euros. Comparé aux six millions de l’année précédente… Que ses sept notaires associés se consolent. Déjà parce qu’ils ont probablement débusqué un épatant comptable (à peine 65 500 euros d’impôts payés). Ensuite, parce qu’ils ont empoché chacun 355 700 euros, pas si mal. Enfin parce que Berquin reste l’étude la plus lucrative du pays. Ou presque. A Oostrozebeke, petite commune flamande adossée à Roulers, leur confrère Henk Dekiere a réalisé 3,12 millions de bénéfices avant impôts (qui, pour la petite histoire, s’élevaient à… 62 000 euros) ; 260 000 euros par mois. Une année exceptionnelle pour cette petite étude (deux équivalents temps plein) qui tournait habituellement autour des 300 000 à 400 000 euros de bénéfices.
Par rapport aux autres professions libérales, on est dans le haut du panier.
Pile dans la norme nationale. En 2017, une étude a gagné en moyenne 337 098 euros, selon les 812 comptes annuels consultés par le Vif/L’Express. Avant impôts, mais après déduction des rémunérations du personnel et des amortissements. Pour un seul notaire ou à répartir entre plusieurs, s’ils travaillent en association. Soit 28 000 euros par mois. Tout le monde n’est pas Berquin ou Dekiere. Des millionnaires, il n’y en a que 40. Une minorité (4,9 %) du panel étudié, soit toutes les études belges dont les comptes sont disponibles à la Banque nationale. Mais les (très) riches restent plus nombreux que les désargentés, ayant terminé l’année en négatif (4,19 %). Un tiers des notaires a gagné plus de 400 000 euros en 2017. Avec des disparités provinciales : du simple au double entre Liège (225 000 euros) et Bruxelles (482 000 euros). Les Flamands ne supplantent pas forcément les Wallons, qui font mieux que se défendre dans le Brabant ou encore à Namur (voir le tableau page 26).
Confortable. Beaucoup ? Trop ? Plus, en tout cas, que notre Premier ministre et ses 229 000 euros brut par an. Ou que les dirigeants de grandes entreprises publiques (290 000 euros à la SNCB, 303 000 chez Infrabel…) » Par rapport aux autres professions libérales, ayant effectué six ans d’université et trois ans de stage, on est peut-être dans le haut du panier. On ne le conteste pas, reconnaît Renaud Grégoire, notaire à Wanze et l’un des porte-parole de la Fédération des notaires. Mais on ne gagne pas cinq fois, dix fois plus que d’autres. »
Double statut
Pourquoi les salaires plantureux d’un avocat d’affaires ou d’un chirurgien réputé émeuvent-ils moins ? Sans doute parce qu’un notaire n’est pas qu’une profession libérale, mais aussi un officier de l’Etat. Exempt de toute concurrence (le nombre d’études – 1 155 en 2017 – et leur implantation géographique sont déterminés légalement), pratiquant des tarifs peu transparents et fixés depuis la nuit des temps. Enfin, depuis 1950. Pourtant, à un moment ou un autre de sa vie, tout un chacun s’acquitte de la facture notariale sans jamais se demander si elle est trop élevée. Ou justifiée. Seuls 13 % des plaintes introduites auprès de l’ombudsman des notaires en 2017 portaient sur les décomptes. Au sens large (paiements tardifs, montants infondés…)
Il faut reconnaître que, dans certains cas, la facture n’aura rien d’inabordable. Les barèmes légaux en matière de droit familial (contrat de mariage, divorce, donation…) sont bas. Et requièrent, souvent, pas mal de boulot. » Un testament, par exemple, coûtera environ 100 euros, détaille Renaud Grégoire. Rien que l’inscription (NDLR : au registre central), c’est 25 euros. Le temps consacré au dossier n’est pas facturé. » Du coup, certains notaires ne s’embêtent plus pour si peu… Ils ne sont pas censés refuser ces actes – c’est aussi ça, être officier de l’Etat – mais leur agenda peut se trouver trop encombré pour caser ce type de rendez-vous. » Le barème est mal adapté aux actes relevant du droit familial, sous-rémunérés, estime Yves-Henri Leleu, doyen de la faculté de droit de l’ULiège. Cela peut avoir des conséquences sur certaines études, tentées de se concentrer sur l’aspect le plus rémunérateur. »
Vache à lait
Suivez son regard vers l’immobilier. Vache à lait/pompe à fric à exploiter pour s’approcher de bénéfices à sept chiffres. Pas d’amalgame : les fameux » frais de notaires » n’atterrissent pas tous dans leur poche. Pour une maison de 257 000 euros (le prix moyen en Belgique, selon les statistiques les plus récentes), les » frais » s’élèveront à environ 36 000 euros, dont 32 125 euros de droits d’enregistrement, soit de taxes reversées aux pouvoirs publics. Les honoraires proprement dits s’élèveront, eux, à 2 453,14 euros. Ils sont calculés par tranches, de manière dégressive. Plus la fourchette du prix augmente, plus le pourcentage perçu diminue. Cette rétribution s’accompagne de la TVA (applicable depuis 2012) et de » frais administratifs » ou » divers « , qui oscillent ici entre 800 et 1 100 euros ; on y reviendra.
Puisque les prix de l’immobilier s’envolent, les honoraires suivent la même ascension. En 2010, le prix médian d’une maison atteignait 185 000 euros. La facture du notaire ne s’élevait alors qu’à 2 049 euros. Un montant justifié par rapport au travail fourni ? Non, répond Karine Lalieux. La députée fédérale socialiste a déposé une proposition de loi en juin 2017 (toujours pas mise à l’ordre du jour), visant à » reconnecter les honoraires à la réalité en matière immobilière « . » Les prix n’ont cessé d’augmenter ces trente dernières années et la facture du notaire aussi, développe-t-elle. Alors que la charge de travail est restée identique, voire a diminué, grâce à l’informatisation. Or, il n’y a pas de raison qu’un même job soit payé de façon exponentielle ! » Et de suggérer que les tarifs notariés soient revus à la baisse, en plus d’une réduction spéciale de 10 % en cas de première acquisition.
Les notaires n’ont pas sauté de joie. OK, leurs actes ne sont plus dactylographiés, les courriels ont remplacé les courriers, les archives sont numérisées. Sauf qu’on leur demande toujours plus, de recherches, de vérifications, de formalités. Assainissement des sols, contrôle des installations électriques, certificats énergétiques… » Oui, des outils nous ont simplifié la tâche. Mais l’inflation juridique est telle que notre boulot n’est pas plus facile aujourd’hui qu’il y a vingt ans « , certifie Renaud Grégoire.
» Leur responsabilité et leurs connaissances juridiques sont importantes « , abonde Olivier Hamal. Le président du Syndicat national des propriétaires est, en revanche, plus sceptique concernant les tarifs que la profession aimerait pratiquer. A la demande du ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), deux experts – en réalité deux notaires – ont rédigé un rapport soumettant différentes réformes. En matière de tarification, ils proposent 10 % de diminution sur les tranches inférieures… mais une majoration sur les tranches supérieures. Offrir d’une main ce qu’on reprend de l’autre. » Ça m’a fait tiquer ! reprend Olivier Hamal. Si on commençait d’abord par diminuer les honoraires de 25 à 30 % ? Ils oublient que les propriétaires sont leurs clients. »
Ridiculement surpayés ?
Les deux experts envisagent également une répartition des honoraires entre l’acquéreur (75 %) et le vendeur (25 %). » Tout ça pour ne pas diminuer leurs propres revenus, je trouve ça honteux « , peste Karine Lalieux. Dans les colonnes de Knack, récemment, le professeur en sciences socio-économiques à l’université d’Anvers Ive Marx parlait même d' » idiotie « , arguant que les vendeurs ne feraient qu’augmenter encore un peu plus le prix de vente (ce qui gonflerait encore la facture notariale). Selon lui, les officiers de l’Etat sont déjà » ridiculement surpayés « . Une juste rémunération pour des services juridiques, OK. » Mais dresser un acte de vente n’en est pas un. C’est un acte de routine, qui peut être expédié par un bon fonctionnaire. »
Les bénéfices mirobolants de certains ne le détrompent pas. Un résultat annuel flirtant avec le million ne peut trouver d’autres explications : l’étude s’est transformée en machine immobilière, enchaînant les actes standardisés. » Certains revenus sont incohérents, inacceptables. Je n’ai pas de souci à le dire « , reconnaît Renaud Grégoire. La fédération des notaires a lancé une étude interne sur les revenus, afin que » les abus puissent être épinglés et éradiqués à court ou moyen terme « . Parmi ceux, aussi, qui ont la main trop lourde sur les » frais administratifs » ou » divers « , aussi appelés déboursés (on y revient). Pour élaborer un acte, les notaires effectuent des recherches payantes. Un renseignement urbanistique auprès de la commune ? Ça fera 50/150/250/400 euros, svp (cocher le montant exact selon l’entité et le degré d’urgence). Un état hypothécaire ? Entre 50 et 250 euros. Quarante euros pour une attestation de non-pollution. Etc., etc. Le notaire refacture donc le total à son client.
Y ajoutant… des frais de dossier et des vacations. Soit la » rémunération du temps consacré à l’accomplissement de certaines fonctions « . A se demander à quoi servent, dès lors, des honoraires. Rien d’illégal, la loi l’autorise. Rien de normal ou moral pour autant. Renaud Grégoire convient que ces frais divers constituent une zone grise, » une question qui doit être vidée » et qui engendre » probablement des abus « . Au député libéral MR Benoît Piedboeuf qui s’étonnait d’un tel procédé, le ministre Geens avait répondu, en février 2017, que les vacations sont comprises dans les honoraires lorsqu’elles concernent les recherches préalables prévues par la loi et devant être obligatoirement effectuées par le notaire. Les autres recherches, supplémentaires ou pouvant être réalisées par quelqu’un d’autre, peuvent être facturées en sus. Mais – ouf ! – tout client dubitatif peut se tourner vers l’ombudsman ou la chambre notariale provinciale, histoire de vérifier que le montant est bien fondé. Encore faudrait-il qu’il sache qu’il paie des vacations… » Je constate un manque de transparence, de détails, en matière de frais, pointe Yves-Henri Leleu (ULiège). Des sommes variant parfois de 600 à 1 200 euros sont réclamées sans qu’on sache ce qu’elles recouvrent précisément. Alors qu’un avocat, lui, doit tout justifier au centime près. »
Transparence : Jean-Philippe Ducart, porte-parole de Test-Achats, ne demande pas autre chose. Et rappelle qu’il est tout à fait possible, voire souhaitable, d’exiger un décompte détaillé de ces déboursés. » On peut se poser la question de la facturation de certains frais, dans un monde de plus en plus digitalisé, expose-t-il. S’il y a une valeur ajoutée, nous n’avons pas de problème avec ça. » Sinon… » Nous réclamons une réforme plus courageuse, plus profonde. Qu’on supprime certains frais s’ils ne sont plus justifiés. » Dans leur rapport, les deux experts mandatés par Koen Geens proposent que les frais administratifs ne puissent plus dépasser 750 euros, hors TVA.
« Je gagne quand même bien ma vie »
Ils envisagent également une simplification des barèmes en vigueur et une suppression des actes obsolètes. Il y en a. L’honoraire d’exécution du testament, par exemple. Le notaire sollicité pour coucher des dernières volontés sur papier sera rétribué, logique. Moins logique : après le décès, si les héritiers souhaitent faire appel à l’un de ses confrères, il pourra imposer un honoraire d’exécution d’environ 600 euros, juste pour avoir sorti le document de ses archives. » En effet, je pense que cela ne se justifie plus aujourd’hui « , admet Renaud Grégoire.
» Pour moi, c’est une arnaque notariale ! » s’insurge Martin Vanden Eynde. Ce licencié en notariat a travaillé treize ans dans le secteur bancaire avant de s’immiscer dans une brèche, la seule activité d’un notaire sur laquelle il n’a légalement pas le monopole : les déclarations de succession. D’autres en Flandre l’ont précédé ( » souvent des clercs de notaires « ), lui est le premier à se lancer sur le marché francophone. » La profession vit très mal ma pub, elle n’est pas habituée à la concurrence « , s’amuse-t-il. D’autant qu’il a calqué ses tarifs sur ceux généralement pratiqués dans les études… en les abaissant jusqu’à 40 %. Et en supprimant les fameux frais divers. » Et, franchement, je peux quand même bien gagner ma vie ! Il serait grand temps de réfléchir à la question des honoraires, lance-t-il. Ou au moins supprimer les frais. »
Le ministre Koen Geens cogite sans doute aussi, lui qui avait annoncé son intention de réformer le métier (avant les élections ? Hum, hum). La Fédération des notaires a elle-même entamé une réflexion. La nouvelle génération, qui arrive progressivement à la tête des études, a déjà commencé à dépoussiérer le métier. » On tire toujours sur le notaire, mais il ne faut pas oublier que nous sommes une des rares professions totalement indépendante, plaide Renaud Grégoire. Aujourd’hui, nous évoluons dans un système où il n’y a jamais de conflits sur la qualité de la propriété immobilière. Ça paraît tellement évident qu’on oublie que c’est grâce au travail du notaire. » (Fort) bien payé, mais compétent. Heureusement.
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