Jean Hindriks
Pourquoi l’enseignement francophone devrait s’inspirer d’un rapport flamand (carte blanche)
Abandonner les pratiques didactiques à la mode, remplacer les « smileys » par des cotes, valoriser les élèves forts… Le rapport Brinckman sur l’amélioration de l’enseignement vient d’être publié, en Flandre. Il contient 58 recommandations. Le résultat d’un travail de 14 experts durant plus d’un an. Selon Jean Hindriks (UCL et Itinera) et Kristof De Witte (KUL), ce rapport est aussi utile pour l’enseignement francophone.
Le rapport Brinckman n’a rien avoir avec le terme Brinckmanship qui est une stratégie consistant à adopter une action dangereuse dans le but de faire reculer un adversaire et atteindre le résultat le plus avantageux possible pour soi. Il porte le nom du président de la commission mise en place par le gouvernement flamand pour apporter des réponses concrètes aux difficultés rencontrées dans l’enseignement néerlandophone. C’est le résultat d’un travail de plus d’un an au sein d’une commission composée de 7 enseignants et 7 académiques. Ce rapport vient d’être publié avec plus de 58 mesures concrètes. Dans la mesure où les problèmes sont similaires du côté francophone, il nous paraît opportun d’attirer l’attention sur ce rapport dans le contexte du pacte d’excellence pour l’enseignement. L’intérêt du rapport réside selon nous dans son approche par le bas et non par le haut. Ce rapport s’intéresse avant tout à ce qu’il est possible de faire au niveau des enseignants et des écoles, plus tôt qu’à une nième grande réforme institutionnelle de notre enseignement.
Les difficultés de notre enseignement
L’enseignement néerlandophone et francophone partage en grande partie les mêmes difficultés. Les niveaux scolaires sont faibles et en baisse tendancielle du côté flamand. Les inégalités sociales à l’école sont très élevées avec un taux de redoublement chez les enfants de milieux défavorisés 7 fois plus élevé côté francophone et 4 fois plus élevé côté néerlandophone (L’Ecole de la Réussite, 2017). Une autre difficulté partagée concerne les pénuries d’enseignants sur lesquelles le décret anti-pénurie du 17/07/2020 a eu très peu d’effet (Le Vif 23/08/2021). L’image de l’enseignement et des enseignants n’est pas bonne auprès de la population, ce qui ne facilite pas les recrutements. La diversité des situations familiales, culturelles et linguistiques des élèves complique aussi la tâche des écoles.
Retour aux fondamentaux
La ligne directrice du rapport est de se recentrer sur l’essentiel : renforcer la maitrise des connaissances de base et garantir une maîtrise suffisante de la langue enseignée à l’école. Ce développement des connaissances de base est selon la Commission la première étape vers un enseignement de qualité. C’est aussi l’étape la plus importante pour les élèves plus faibles intellectuellement et pour les élèves issus de milieux défavorisés. Pour ceux-ci l’école est souvent le seul et unique endroit pour acquérir ces connaissances de base.
Le rapport nous invite aussi à prêter attention aux angles morts de notre enseignement. Il invite ainsi à mieux tenir compte des capacités réelles d’apprentissage des enfants en leur enseignant les compétences de base suffisantes au moyen des méthodes d’apprentissage appropriées. Il suggère aussi de mieux tenir compte des circonstances particulières d’apprentissage et de situations familiales de tous les enfants y compris en maternel, dans l’enseignement spécialisé et dans les groupes ethniques et socio-culturels différents. Il suggère enfin de tenir compte des compétences spécifiques des enseignants : ils sont au coeur du développement intellectuel et émotionnel des élèves. Il faut donc les encadrer avec le plus grand soin et leur offrir une formation rigoureuse et des outils adéquats pour un meilleur exercise du métier.
Patchwork de mesures
Le rapport rassemble plus de 58 mesures dont nous reprenons ici une courte sélection en guise d’illustration en espérant encourager ainsi le lecteur intéressé à lire l’ensemble du rapport.
- Abandonner les pratiques didactiques à la mode mais dont l’efficacité est discutable. La question de la modernisation des styles d’enseignement est un mythe de l’enseignement. Il n’existe pas mille et une méthodes d’apprentissage de la lecture. Le Royaume-Unis a fait l’expérience de multiples méthodes didactiques différentes sans résultat convaincant. Le ministère de l’enseignement a récemment décidé de revenir aux méthodes classiques avec un effet immédiat sur les résultats (Ending the Reading War)
- Soumettre les nouvelles méthodes d’enseignement à l’évaluation rigoureuse des effets et résultats (si possible au moyen d’expérience aléatoire contrôlée) pour ne pas tomber dans les auto-évaluations complaisantes. Certaines formes de digitalisation de notre enseignement ont eu des effets néfastes sur le développement des enfants.
- Développer un centre de connaissance et d’information sur l’enseignement qui peut servir à guider et informer les pratiques d’enseignements et les réformes éventuelles de notre enseignement. Il s’agit de mieux comprendre pour mieux agir en récoltant notamment des données anonymisées sur les parcours scolaires des élèves pour mieux suivre les progressions, les décrochages et les accidents de parcours. Agir plus vite pour agir mieux.
- Développer l’ambition des élèves et relever le niveau d’exigence des enseignants. Cela exige aussi des enseignants qu’il relève leur niveau d’exigence envers eux-mêmes. Le nivellement par le bas des niveaux d’exigence ne sert pas les intérêts des élèves, notamment ceux issus de milieux modestes. Ce nivellement par le bas des exigences ne rend pas non plus heureux les élèves en classe. Il y a une grande satisfaction personnelle à réaliser ses ambitions.
- Remplacer le smiley par des points et renforcer la qualité du feed-back aux élèves (et parents). Les points sont plus lisibles et permettent aux enfants de travailler suffisamment tôt sur leurs points faibles. La complaisance en matière d’évaluation de l’acquisition des compétences de base n’est pas permise.
- Proposer des exercices de médiation et d’attention pour renforcer la capacité de concentration des élèves dans un monde où ils sont en permanence soumis à des distractions.
- Renforcer l’implication et le soutien des parents avec les équipes pédagogiques pour ensemble contribuer au développement intellectuel et émotionnel de l’enfant.
- Organiser une remédiation publique et des écoles d’été gratuites pour les élèves en difficulté et enrayer la privatisation anarchique de cette remédiation face à la détresse des parents et élèves sous l’emprise de la réussite.
- Valoriser les élèves forts pour réaliser pleinement leur potentiel, au lieu de les laisser s’ennuyer dans leur coin. Une aide spécifique doit être prévue pour ces élèves aux besoins spécifiques. Cela peut se faire notamment par la mise en place structurelle de classes « kangourou » au travers desquelles des élèves forts sont tuteurs d’élèves plus faibles.
Le titre est de la rédaction.
Kristof Dewitte et Jean Hindriks sont les auteurs de l’Ecole de la Réussite
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