Pourquoi le sentiment d’insécurité augmente… alors que la criminalité reste stable
A chaque élection, la lutte contre l’insécurité est mis sur le devant de la table par tous les partis politiques. Pourtant, les chiffres montrent une tendance à la baisse de la criminalité en Belgique. En revanche, le sentiment d’insécurité augmente et les politiques s’y engouffrent.
C’était l’un des principaux thème de campagne des élections communales : la sécurité. Lutter contre « l’insécurité grandissante dans les communes belges »- pour ne citer que le MR – était la priorité de chaque parti, encouragé notamment à Bruxelles par les fusillades sur fond de trafic de drogues, d’agression à l’arme blanche, ou de terrorisme.
Mais l’insécurité a-t-elle vraiment explosée ces dernières années ? « L’insécurité est un fourre-tout« , pose d’emblée Vincent Seron, criminologue à l’ULiège. Difficile, donc de l’ évaluer. On peut par contre quantifier la criminalité, une « donnée objective qui reflète l’activité des services de police » et de justice. Et d’après les chiffres fournis par la police fédérale, elle est plutôt stable.
Selon un rapport de 2023, les délits enregistrés en Belgique depuis 2000 ont tendance à baisser. 1.002.082 ont été déclarés en 2000, contre 902.059 en 2023. Cela concerne des faits variés tels que des vols, des dégrations, de la fraude, de l’ivresse etc. A Bruxelles, cela représente une baisse de 11 % en 2023 par rapport à 2011.
Il y a toutefois une légère remontée depuis 2018, puisque le chiffre était tombé au plus bas à 884.084 en 2017. Cela est notamment dû aux infractions liées à la drogue (autour du deal en lui même et non les violences qu’elle engendre), qui sont passées 50.328 en 2000 à 56.688 en 2021, et à la criminalité informatique.
Du côté de la justice, les chiffres de l’INCC montrent aussi une diminition globale des infractions portées devant les parquets. « Depuis le début du XXIe siècle, la Belgique connaît une baisse des atteintes aux biens telles que les vols, le vandalisme, les cambriolages et les vols de véhicules. Les infractions contre les personnes, quant à elles, restent plutôt stables. La criminalité informatique et les délits liés aux technologies de l’information s’inscrivent clairement à contre-courant et affichent une tendance à la hausse. La baisse des homicides se poursuit jusqu’en 2018. »
Toutefois, « ces données ne reflètent pas la criminalité réelle mais celle portée à la connaissance de la police« , précise le criminologue. Il n’existe aucune banque de données capable d’évaluer la réalité de l’insécurité. De plus, les chiffres ont longtemps été très incomplèts et sont aujoud’hui toujours difficile à collecter en Belgique, précise l’INCC
« Il existe des chiffres gris, qui ne remontent jamais vers la justice et la police soit par ce qu’ils n’ont pas été constatés, soit par ce que les victimes ou témoins de ces faits ne se sont pas fait connaitre ou ne se sont pas présentés à la police pour les dénoncer », Laurent Stas ancien policier fédéral et doctorant chercheur attaché au centre de recherche CeRePoi de l’ULB.
Un sentiment d’insécurité en hausse
En revanche, on observe une hausse du sentiment d’insécurité, « qui est extrêment subjectif » et indépendant de la criminalité, souligne Vincent Seron. Selon l’édition 2021 du Moniteur de sécurité, une enquête menée par la police fédérale, 62 % des Belges se sentent toujours ou presque toujours en sécurité, 29 % ont parfois un sentiment d’insécurité et 9 % se sentent souvent ou toujours en insécurité. Des chiffres en hausse par rapport au moniteur de 2018 où à peine 6 % des répondants affirmaient se sentir souvent ou toujours en insécurité.
Du côté de la capitale, une enquête de safe.brussels, l’administration régionale de sécurité et prévention, menée en 2022, rapportait que 45% des Bruxellois interrogés déclaraient être souvent, parfois ou tout le temps en insécurité dans la région. Et 68 % des navetteurs wallons et flamands sondés se sont dit s’être sentis tout le temps, souvent ou parfois en insécurité à Bruxelles. Pour le détail, l’enquête montre que plus de 40 % des Bruxellois sondés disent avoir subi une tentative d’escroquerie via Internet, 18 % de la discrimination, 16 % du harcèlement de rue, 15 % de la violence psychologique en dehors de la sphère familiale, 13 % des faits de vandalisme, 9% un vol de bien personnel sans violence, 8% de la violence en dehors de la sphère familiale
En mars 2024, le grand baromètre RTL info/Ipsos/Le Soir s’est intéressé au sentiment de sécurité dans la capitale, suite à la série de fusillade survenues. Résultat: 58 % des Belges interrogés se sentent moins en sécurité lorsqu’ils se rendent à Bruxelles. Concernant les Bruxellois, c’est 66 % des interrogés qui se sentent davantage en insécurité qu’avant.
« Dire que la montée du sentiment d’insécurité est lié à la montée de la criminalité est un raccourcis et un biais de sens commun qui n’a aucune valeur scientifique », martèle Laurent Stas. Dès lors, qu’est-ce qui alimente ce sentiment ? « Chaque territoire est différent, dans les grandes villes c’est l‘insécurité routière qui revient énormément », déroulent Laurent Stas et Vincent Seron. Et tout une série d’indicateurs comme le harcèlement de rue, l’insalubrité, l’absence d’éclairage public, le fait d’avoir été victime, le contexte économique et aussi le contexte international de ces dernières années avec la guerre en Ukraine et surtout le conflit au Moyen-Orient s’est largement exporté dans les débats en Europe. Sans négliger le rôle des médias et des réseaux sociaux.
La faute aux politiques ?
« A chaque campagne électorale, les différents partis politiques surfent sur l’insécurité pour séduire l’électorat, ce qui n’est pas sans effets sur la montée du sentiment de peur au sein de la population », pointe encore Laurent Stas. D’autant plus que certaines stratégies avancées par les politiques pour lutter contre l’insécurité sont contre productives « Souvent la réponse des politiques c’est ‘plus de bleu dans les rues’ (c’est le cas du PS, du MR, des Engagés). Augmenter la présence policière a peu d’effet sur la criminalité mais alimente le sentiment d’insécurité », appuie Vincent Seron.
« Le sentiment d’insécurité augmente car le populisme augmente », dénonce aussi Delphine Paci, avocate pénaliste. « Renforcer les sanctions, comme le prônent certains partis, surout à droite, ne va pas régler le problème », martèle-t-elle. « Ca permet de donner des réponses facile à la problématiques complexes »
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