Pourquoi la politique migratoire du gouvernement De Croo est un échec
La politique migratoire du gouvernement De Croo fait l’unanimité contre elle, à gauche, à droite, au centre et sur le terrain. Pourtant, ce sujet est le dernier sur lequel la Vivaldi pourrait tomber.
L’immobilité relative du gouvernement De Croo, exprimée par mille cafouillages, s’explique depuis sa formation par sa composition hétéroclite. Sur les pensions, par exemple, la gauche et la droite n’ont pas les mêmes idées et ne partagent pas les mêmes intérêts.
Alors elles se mettent à peu près d’accord pour ne rien faire. Et alors aucun pensionné ne perdra vraiment de droits et aucun n’en gagnera non plus.
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Sur la réforme de l’Etat, les régionalistes et les unitaristes s’opposent, alors il ne se passera rien de centrifuge ni de centripète.
Sur le climat, les volontaristes et les temporisateurs sont aux prises, et on sait déjà qu’ils ne se décoinceront pratiquement pas.
Et pour les libéraux et les écologistes, pour les socialistes et les sociaux-chrétiens, pour les Flamands et les Wallons, la même chose, comme pour presque tout le reste. Chacun se contente d’espérer, d’ici à 2024, valoriser ses maigres acquis, et se rengorger de n’avoir pas fait pire que le prédécesseur, et même d’avoir fait mieux.
Imaginez, en effet, dans quel état serait une opinion publique qui s’énerve déjà du Nord et du Sud, de tribord et de bâbord, de partout et d’au-delà si, plutôt que de n’en mener presque aucune, le gouvernement De Croo avait mis en œuvre les politiques de la coalition précédente.
Imaginez un saut d’index alors que la hausse des coûts de l’énergie et l’inflation ont miné le pouvoir d’achat. Imaginez même une hausse de la TVA sur le gaz et l’électricité alors que leur prix explose. Imaginez un tax shift qui augmente les accises sur le carburant et taxe les comportements polluants alors que ces derniers sont déjà hors de prix. Imaginez des économies sur la SNCB alors qu’il manque déjà de trains, qu’ils ne sont pas à l’heure et qu’il n’y a pas assez de cheminots pour les faire rouler. Imaginez des économies linéaires dans la santé alors qu’on est plongé dans la pandémie du siècle. Imaginez Marie-Christine Marghem ministre de l’Energie alors que c’est déjà le désordre partout ailleurs. Enfin, bref, essayez pour voir de mettre le texte de la suédoise sur le contexte de la Vivaldi.
La politique migratoire est une compétence qui peut transformer ses occupants en stars et faire de ses opposants des castards.
Eh bien, c’est sur cette base qui peut laisser une vaste place à l’imagination qu’Alexander De Croo ne cesse de répéter que son gouvernement est meilleur que celui de Charles Michel, quand bien même il en aurait été le vice-Premier ministre le plus coopératif. C’est donc vraiment que le Premier se dit que c’est sa meilleure carte à jouer pour se distinguer.
Il y a pourtant un domaine où, qu’on le contemple du Nord ou du Sud, de la gauche ou de la droite, du proche ou du lointain, la Vivaldi fait incontestablement moins bien que la suédoise, un domaine où la droite peut se rendre populaire, et où la gauche peut montrer qu’elle assure, un domaine sur lequel tomba le gouvernement Michel. C’est la politique migratoire, et c’est une compétence qui transforme normalement ses occupants en stars, rappelez-vous Maggie De Block, secrétaire d’Etat entre 2011 et 2014, et Theo Francken, secrétaire d’Etat entre 2014 et 2020. Et qui peut faire de ses opposants des castards, rappelez-vous les chaînes humaines autour du parc Maximilien et les grands moments de la plateforme citoyenne.
C’est un domaine sur lesquels, en expulsant du gouvernement De Croo une N-VA qui s’était elle-même expulsée du gouvernement Michel parce qu’elle refusait le pacte des Nations unies sur les migrations, les socialistes et les écologistes espéraient marquer la différence. Ils durent avaler la construction de centres fermés pour les familles, et l’ambition du CD&V en général, et de Sammy Mahdi en particulier, de faire ce qu’avaient fait Maggie De Block et l’Open VLD, puis Theo Francken et la N-VA, avant eux. Jusqu’alors, et vu cette configuration, on pouvait comparer cette thématique à toutes les autres qu’embrassait la Vivaldi.
Mais le propre de la politique migratoire de la Vivaldi n’est pas qu’il ne s’y passe rien, comme partout ailleurs, mais que ce qu’il s’y passe est tragique, et qu’aucun des acteurs aux prises, pourtant, n’y a le moindre intérêt politique.
Le CD&V et la secrétaire d’Etat Nicole de Moor, qui était la cheffe de cabinet de Sammy Mahdi et qui l’a remplacé au gouvernement lorsque ce dernier est devenu président de leur parti en juin 2022, perd chaque jour des électeurs dans la situation actuelle.
L’Etat belge a été condamné des milliers de fois, par les justices belge et européenne (huit mille fois par les tribunaux belges, mille fois par la Cour européenne des droits de l’homme, indiquait Le Soir, le 31 janvier), pour n’avoir pas pu fournir d’accueil à des centaines de demandeurs d’asile. Le mobilier de son cabinet est même passible d’être saisi pour dédommager ces plaignants. En outre, après la piteuse gestion des centaines de demandeurs engourdis de froid devant le Petit-Château, le scandale sanitaire et politique du squat du «palais des droits», à Schaerbeek, ridiculise les ambitions, aussi bien de fermeté que d’humanité, des protagonistes de la Vivaldi. Un millier de personnes y sont entassées depuis des mois, dans des conditions d’hygiène innommables, sans que l’Etat ait pu leur assurer un hébergement ni même, et c’est sans doute le plus embarrassant, pu traiter leur demande. Jusqu’à il y a peu, la secrétaire d’Etat soutenait même que seule une centaine de personnes s’y trouvant était susceptible d’introduire une procédure. Il y en a finalement environ sept cents, dont trois cents ont, petit à petit, été à ce jour déménagées.
La situation est pire qu’en 2015 où le gouvernement Michel et le secrétaire d’Etat Francken durent, tant bien que mal, procurer un lit, une douche et du pain («bed-bad-brood», disait Theo Francken) et traiter – durement – un peu moins de quarante mille demandes. Le CGRA en examina autant l’an dernier que cette année-là. Mais l’arriéré dans leur traitement, et leur lenteur infinie, provoque une inévitable saturation des places d’accueil, par ailleurs plus nombreuses fin 2015 (quelque 33 000) que fin 2022 (quelque 31 000).
C’est ce qui permet à Theo Francken dont, tout de même, de nombreuses polémiques pas très propres ébranlèrent le mandat, et dont un membre de son cabinet a été condamné à huit ans de prison pour avoir vendu des visas, de pouvoir dire que c’était mieux avant, sans que personne à gauche, au gouvernement comme dans l’opposition, ne puisse factuellement le contredire.
Mais, et c’est sans doute le plus surprenant politiquement, sans que personne n’en fasse une affaire de gouvernement. Celui de Charles Michel, qui avait moins mal géré la crise précédente, est tombé sur une question migratoire. De son côté, celui d’Alexander De Croo, qui se vautre sur l’actuelle, ne semble pas trembler trop sur ce scandale.
Où les petits sont petits
Deux partis de l’opposition francophone veulent mettre ce sujet sur la place publique nationale. Les Engagés ont, à la mi-décembre, planté leur tente devant le siège de l’Open VLD, parti du Premier ministre, pour marquer leur solidarité avec les demandeurs d’asile laissés dehors. Une cinquantaine de mandataires de l’ex-CDH ont participé au happening et, à la Chambre, leurs députés sont fort actifs sur la question. DéFI, dont le président François De Smet était, avant de devenir député fédéral, directeur de Myria, l’institution fédérale en charge des migrations, est également des plus offensifs. François De Smet estime que les questions identitaire et migratoire ne doivent pas être l’apanage de l’extrême droite. Son expertise sur le sujet lui avait valu, sous le gouvernement Michel, de sévères réprimandes ministérielles. Elle ne l’avait sans doute pas préparé à devoir, comme député de l’opposition, constater d’encore plus dramatiques manquements.
Le propre de la politique migratoire de la Vivaldi n’est pas qu’il ne s’y passe rien mais que ce qu’il s’y passe est tragique.
Où les grands sont mal pris
Mais les deux plus petits partis de l’opposition francophone (à la Chambre, DéFI compte deux sièges, les Engagés cinq) ont peu de prise sur l’agenda politique et médiatique. De leur côté, les socialistes (19 sièges) et les écologistes (13 sièges) sont désormais au pouvoir. Et alors qu’ils participaient à toutes les manifestations, et supportaient toutes les initiatives, notamment au niveau local, autour par exemple du parc Maximilien, ils sont aujourd’hui infiniment plus silencieux. Certains députés fédéraux, en particulier l’écologiste Simon Moutquin et le socialiste Khalil Aouasti, s’expriment de plus en plus durement, et, mi-décembre, Rajae Maouane avait signifié avoir «honte pour la Belgique». Mais si la N-VA, soumise à la concurrence du Vlaams Belang, pouvait, fin 2018, espérer profiter électoralement d’une crispation politique sur la migration, aucun parti de gauche ne peut estimer profitable de faire tomber un gouvernement parce qu’il traite trop mal les migrants. En Europe occidentale, on ne gagne pas une élection au XXIe siècle en portant un agenda progressiste sur ces questions. C’est pourquoi verts et rouges avaient déjà, à l’été 2021, été fort embêtés que leur volonté de démissionner si un gréviste de la faim, parmi ceux du Béguinage, venait à décéder, ait fuité dans les médias. Ils sont, de surcroît, soumis à une autre concurrence, sur le terrain, que celle des Engagés et de DéFI. Une concurrence à la fois plus puissante et moins bruyante.
Où le PTB est là, mais pas là
Le PTB (douze sièges, francophones et flamands, à la Chambre), en effet, est, comme tous les partis de gauche, associé de longue date à toutes les initiatives de support aux migrants. Il est sur le terrain humanitaire très présent, notamment via Médecine pour le peuple, dont une antenne existe à Schaerbeek. Aujourd’hui plus que jamais. Mais les stratèges de la «gauche authentique», communiquant habilement par silos, évitent d’en faire une trop grande publicité en dehors des secteurs concernés: leur seule vidéo sur le sujet, publiée sur leur page Facebook, n’a reçu que des commentaires hostiles. Même les plus investis défenseurs des migrants n’ont pas intérêt à les défendre trop bruyamment. C’est dire si ceux-ci ne sont pas près d’animer une campagne en leur faveur.
31 000
Le nombre de places d’accueil disponibles, fin 2022, pour les demandeurs d’asile. Il y en avait 33 000 fin 2015.
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