Nicole de Moor
Nicole de Moor, secrétaire d'Etat à l'Asile et à la Migration © AFP

Pourquoi la Belgique a plus de mal que les autres à renvoyer les étrangers en situation irrégulière (infographies)

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

En Belgique, d’après les chiffres, les ordres de quitter le territoire sont de moins en moins appliqués. À l’échelle européenne, notre pays fait même partie des moins bons élèves de la classe. Comment l’expliquer ? D’après le spécialiste de la migration irrégulière Denis Duez, les obstacles au renvoi des personnes en situation irrégulière seraient nombreux.

Abdessalem Lassoued, l’auteur du récent attentat terroriste de Bruxelles, n’aurait pas dû se trouver sur le territoire belge lors de son passage à l’acte meurtrier. Le Tunisien de 45 ans était sous le coup d’un ordre de quitter le territoire depuis 2021. Mais le courrier lui signifiant son expulsion, envoyé à son adresse, n’a jamais été réceptionné. « Faire appliquer un ordre de quitter le territoire n’est pas évident, rappelle le spécialiste de la migration irrégulière Denis Duez ( UCLouvain/Saint-Louis). Car c’est une décision administrative, et non une mesure pénale ».

Les ordres de quitter le territoire sont délivrés par l’Office des Etrangers. Les personnes qui se voient signifier un OQT disposent d’un certain temps pour quitter le territoire, de manière volontaire et par leurs propres moyens. Cette période passée, ils peuvent être arrêtés par la police, puis se faire déplacer dans un centre fermé ou autre logement en attendant que les autorités organisent leur expulsion. On parle alors de retour forcé. Ces OQT concernent des étrangers en situation irrégulière sur le territoire, statut qui recouvre une multitude de profils : étranger dont le visa serait périmé, étudiant étranger qui a fini ses études, quelqu’un qui ne peut plus demander l’asile…

La Belgique renvoie de moins en moins d’étrangers en situation irrégulière

En 2022, 20.245 étrangers en situation irrégulière ont reçu un ordre de quitter le territoire de la part des autorités belges. Mais seul 2.205 d’entre eux ont effectivement quitté la Belgique, c’est-à-dire que leur retour a été enregistré dans leur pays d’origine, ou dans un autre pays hors des frontières de l’Union européenne. Autrement dit, l’efficacité des autorités belges en la matière (rapport entre les personnes qui doivent quitter le territoire et celles qui le font dans la réalité) était de 11% l’an dernier. Si on revient en arrière, on remarque que les autorités émettaient davantage d’OQT, et qu’ils étaient davantage appliqués. En 2019, le taux d’efficacité atteignait encore 18%. Avant de chuter en 2020 (14%) avec l’arrivée de la pandémie, et de remonter en 2021 (15%). Pour atteindre 11% l’an dernier donc, soit le plus mauvais bilan depuis 5 ans.

Denis Duez rappelle qu’une tendance générale dépasse les chiffres : la majorité des OQT ne sont pas exécutés. Selon celui qui enseigne à l’UCLouvain et à Saint-Louis, les chiffres ne reflètent pas toujours la réalité de la situation. « Tout dépend de la priorité accordée par le politique à la migration irrégulière. Si vous y accordez moins d’importance, davantage de personnes passeront sous les radars, et ne seront pas reprises dans les chiffres ».

La Belgique, mauvaise élève de la classe européenne ?

D’après les chiffres d’Eurostat, les ordres de quitter le territoire sont de moins en moins appliqués en Belgique. Mais, pour l’année 2022, la dernière avec des chiffres complets, notre pays fait-il mieux ou moins bien que ses voisins de l’Union européenne ? L’ensemble des 27 Etats-membres ont émis 422.255 ordres de quitter le territoire, pour 90.940 départs réels, soit une efficacité de 21%. Quasi deux fois mieux que la moyenne belge. Et les autres ? Des pays sélectionnés, il n’y a que la France (7,5%) et l’Italie (10,3%) qui font moins bien que la Belgique. L’Allemagne (40%) et les Pays-Bas ‘scorent’ relativement bien, mais restent loin de la Suède (70,5%) et de la Hongrie (76,6%).

« C’est difficile de s’assurer des départs volontaires »

Denis Duez ( UCLouvain/Saint-Louis)

Le cas français attire l’attention. Nos voisins émettent bien plus d’OQT que les autres : il y en avait 135.640 en 2022, pour… 10.205 départs réels effectivement enregistrés. « C’est sans doute lié à une politique du chiffre en France, estime Denis Duez. Peut-être qu’au ministère de l’Intérieur, la consigne a été donnée d’émettre un grand nombre d’OQT. Mais on constate que le suivi sur le terrain laisse à désirer ».

Etrangers en situation irrégulière: Comment expliquer ces différences entre pays ?

L’expulsion des étrangers en situation irrégulière recouvre donc des réalités différentes selon le pays. Mais que disent ces différences ? Des pays avec une politique en matière de migration irrégulière efficace peuvent être moins regardants sur les règles, et enregistrer des départs de migrants irréguliers, sans s’assurer par après qu’ils sont effectivement arrivés dans le pays de destination. Leur démarche est politique : tenter de gonfler les chiffres, pour afficher une politique migratoire ‘dure’ à la population. Comme en Suède, où un gouvernement de plus en plus à droite a durci le ton ces dernières années.

Denis Duez confirme que la volonté politique des pays peut avoir un impact sur les chiffres. Et livre une autre raison, géographique cette fois. « Les pays qui se trouvent au centre de l’UE auront plus de mal à gérer les flux de personnes, qui seront peut-être déjà passées par un autre Etat-membre. Il est plus facile de détecter quelqu’un qui arrive en Espagne ou en Italie, où les migrants peuvent arrivent par la mer et pas uniquement par voie terrestre ».

Pourquoi est-ce si difficile de faire appliquer les OQT ?

Les obstacles à la mise en œuvre des ordres de quitter le territoire sont nombreux. « C’est difficile de s’assurer des départs volontaires, précise le spécialiste de la migration irrégulière. Quant aux retours forcés, c’est parfois compliqué quand les personnes s’opposent à leur départ ». Le cas de Semira Adamu, une demandeuse d’asile nigériane morte il y a une vingtaine d’années dans de sombres circonstances lors de son rapatriement, en est la triste illustration. Dans le cas d’un retour forcé, c’est au pays concerné à organiser le voyage. Il faut affréter un avion, et cela coûte de l’argent. « Sans oublier qu’il faut l’accord du pays de destination pour récupérer ses nationaux. On cite souvent les pays du Maghreb en exemple, mais la Belgique n’était par exemple pas chaude à l’idée du retour de femmes et d’enfants présents en Syrie dans le contexte du jihad ».

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