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Pourquoi Hercule Poirot est-il belge ?

Le Vif

Pour qui a lu l’Autobiographie d’Agatha Christie, la « belgitude » d’Hercule Poirot ne constitue plus une énigme. Et pourtant…

Si, en effet, Agatha peut rester muette sur les mystères de sa propre vie – dont son étrange disparition en 1926, elle n’est en revanche pas chiche d’explications lorsqu’il s’agit de la genèse de son entreprise littéraire. A peu près au milieu de ses Mémoires, elle ménage l’entrée en scène de son célèbre détective. Nous sommes au début du premier conflit mondial. Jeune mariée – son époux, Archie Christie, fait la guerre en France comme aviateur -, Agatha officie dans un hôpital, d’abord comme infirmière puis comme laborantine dans le service de pharmacie. Peu de temps auparavant, il était sorti d’une discussion avec sa soeur aînée, Madge, qu’elle écrirait bien quelque jour un roman policier. Alors que son emploi à l’hôpital lui laisse le loisir de méditer, le moment vient du passage à l’acte.

Voici comment, après quelques considérations sur les rôles d’assassin et de victime, Agatha présente la naissance de son héros, Hercule Poirot, détective belge à la retraite : « Naturellement, il faudrait un détective. Je passai en revue ceux que j’avais admirés dans mes lectures. Pourquoi pas Sherlock Holmes, le seul, l’unique ? Je ne serais pas capable de rivaliser avec lui. Arsène Lupin ? Mais était-ce un détective ou un criminel ? Rouletabille, le jeune journaliste du Mystère de la chambre jaune ? Voilà le style de héros que j’aurais bien aimé inventer : un personnage inédit. »

Agatha Christie en est là de ses interrogations, lorsque, tout à trac, elle poursuit : « Je songeai tout à coup à nos réfugiés belges ! » Il y avait en effet, dans les villages environnants du Devonshire, des familles de ressortissants belges qui avaient fui, à l’été 1914, l’invasion allemande, et que l’Angleterre avait accueillies sur son sol. « Pourquoi mon détective ne serait-il pas belge ? » se demande-t-elle. Mais pourquoi aussi ne pas l’affubler du nom ridicule d’Hercule Poirot ? Et pourquoi ne le décrirait-elle pas comme un personnage certes très intelligent, faisant travailler comme personne ses « petites cellules grises », mais en même temps grotesque d’apparence et d’une vanité incommensurable ?

Poirot honoré par le New York Times

Rares sont les héros de fiction à trépasser. Plus rares encore, ceux qui bénéficient de leur nécrologie dans un quotidien américain. Dans toute l’histoire du prestigieux New York Times, Hercule Poirot est le seul et unique personnage imaginaire à avoir bénéficié d’un tel honneur ! Parue dans l’édition du 6 août 1975, cette nécro insolite rend hommage à celui qui « acquit une grande notoriété comme détective privé après sa retraite de la police belge en 1904. Sa carrière, telle qu’elle a été chroniquée dans les romans de dame Agatha Christie, fut l’une des plus illustres de la fiction ». L’article rappelle la petite taille de Poirot – « tout juste 1,62 mètre » -, son statut de réfugié durant la Première Guerre mondiale, mais également sa santé chancelante à la fin de sa vie. « Arthritique », dissimulé derrière « une perruque et de fausses moustaches pour masquer les signes de l’âge qui offensaient sa vanité », Poirot n’était alors plus que « l’ombre du détective vivace et élégant qui, avec un ego touchant mais immense et un anglais approximatif, résolut d’innombrables mystères dans les quelque trente-sept romans et recueils de nouvelles où il apparut ». Revenant sur les circonstances de sa mort, le texte rappelle qu’il réussit, « par son dernier geste, une ultime prouesse qui sauva un innocent quidam du désastre ». Avant de conclure, non sans humour : «  »Rien dans sa vie ne lui sied comme sa façon de la quitter », pour citer Shakespeare – que Poirot citait souvent, et mal. »

L’ÉTRANGER

Car s’il y a quelque chose d’original dans la création d’Hercule Poirot, c’est bien le caractère négatif de sa figure. Il tranche évidemment avec la bienveillance réservée à miss Marple. Pour faire ce choix d’un héros si étrangement négatif, sans doute faut-il faire appel à la vision du monde, toute victorienne, que professe Agatha Christie. Pour elle, le monde se divise en deux. Il y a l’Angleterre et il y a l’étranger. Au-delà du Channel commence le monde où l’on ne sait pas se tenir. L’Afrique commence à Calais. Si donc son héros doit être ridicule et vaniteux, il ne saurait être qu’étranger. Plus précisément, Poirot concentre les stéréotypes xénophobes de l’homme latin, léger, précieux, efféminé. Coiffeur italien d’allure, Français vaniteux dans son comportement, il n’est finalement belge que de circonstance. Les hasards de la guerre, en somme.

Par M. Riglet

Ellezelles, le village natal d’Hercule Poirot

Après le New York Times du 6 août 1975, c’est le quotidien anglais Daily Telegraph du 7 août qui annonçait la mort du détective belge Hercule Poirot, survenue le 29 septembre 1974 après une crise cardiaque. Décès confirmé par sa génitrice, Agatha Christie. Si le célèbre enquêteur belge se voyait ainsi gratifié d’une date officielle de décès, ne méritait-il pas aussi une date de naissance ? C’est ainsi qu’Ellezelles, petit village de la province du Hainaut, à cinquante-cinq kilomètres de Bruxelles, surtout connu pour son Sabbat des sorcières annuel, a décidé de faire du moustachu belge une gloire locale. Hercule Jacques Poirot y serait donc né le 1er avril 1850 d’un père wallon et d’une mère flamande, ce qui porterait sa longévité à 125 ans. C’est en tout cas ce qu’indique son acte de naissance consultable à l’hôtel de ville. Sur les murs de la maison communale se trouve d’ailleurs un bas-relief à son effigie. C’est dire si le privé est devenu un national treasure ! On raconte que son fantôme hante les rues du village le jour de son anniversaire. Preuve que les Belges ne manquent ni d’imagination ni d’humour. On peut désormais passer une nuit au Couvent des Collines, l’hôtel 3-étoiles d’Ellezelles. Mais il ne sera pas possible de se rendre sur son lieu de mort, à Styles Saint Mary, dans l’Essex, où le détective a résolu sa première enquête ( La Mystérieuse Affaire de Styles) et sa dernière ( Hercule Poirot quitte la scène) : ce village n’existe pas…

Cet article est paru dans le Vif extra du 14 janvier 2011

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