Jacques Wels
Pourquoi augmenter l’âge de la retraite ne résoudra rien
A la fin juin 2015, une trentaine d’experts universitaires critiquaient la réforme de l’âge de la retraite, qui passerait de 65 ans aujourd’hui à 67 ans en 2030. Si, à mon sens, il est nécessaire de questionner la mesure, les arguments qui ont été utilisés étaient fallacieux et ne participent pas de façon constructive à résoudre le problème du financement des pensions et de la pérennité de la sécurité sociale dans son ensemble.
Le problème est d’apparence simple. Le vieillissement de la population entraine, à terme, un accroissement du nombre de pensionnés et, donc, une augmentation du montant global des pensions versées aux retraités. Dans le même temps, le nombre d’actifs décroit. Cela se traduit par une augmentation du ratio de dépendance (c’est-à-dire la population âgée de moins de 20 ans et de plus de 60 rapportée sur la population âgée de 21 à 59 ans, dite « en âge de travailler »). Pour l’ensemble de la Belgique, ce dernier était de 83,3 en 1996. Il est passé à 87,3 % en 2015. Afin de réduire de telles dépenses (si l’on peut les qualifier de dépenses puisqu’il s’agit, en partie, de prestations sociales contributives), augmenter l’âge de la retraite semble la solution toute choisie. Une augmentation de l’âge de la retraite de deux ans entraînerait de facto une réduction des pensions globales (deux ans de pensions pour chaque individu âgé de plus de 65 ans seraient économisés). Un calcul simple, certes, mais qui ne fait pas sens. Cela n’est pas un hasard si, même la commission pension dans son rapport publié en 2014, ne prônait pas la mesure. Pourquoi une telle logique ne fonctionne-t-elle pas dans les faits ?
En Belgique, comme dans bon nombre de pays occidentaux, il existe un décalage entre l’âge de la retraite et l’âge auquel les travailleurs quittent effectivement leur emploi. Pour le dire d’une façon plus simple, l’âge de la sortie du marché du travail est, en Belgique, inférieur à l’âge légal de la retraite. D’après les données de l’OCDE (qui peuvent être critiquées, mais je n’entrerai pas dans de tels détails techniques), l’âge effectif moyen de sortie du marché du travail était de 59,6 ans pour les hommes et 58,7 ans pour les femmes contre un âge légal de la retraite majoritairement fixé à 65 ans pour les deux sexes. Autrement dit, un décalage de près de 6 années entre l’âge légal de la retraite et l’âge effectif de la sortie de l’emploi. Augmenter l’âge de la retraite revient, dans une telle configuration, à augmenter l’écart entre sortie de l’emploi et perception de la pension, mais ne participe pas à une réduction de l’écart. Si l’on désire réduire les dépenses de la sécurité sociale, c’est avant tout en luttant contre le chômage des âgés et pour l’embauche – et le maintien à l’emploi – de ces derniers et, peut-être davantage, de ces dernières. Telle est la critique que l’on peut formuler à l’encontre de la réforme.
Le problème en Belgique, c’est qu’il existe un décalage de près de 6 années entre l’âge légal de la retraite et l’âge effectif de la sortie de l’emploi.
Mais les experts s’y sont leurrés. Selon eux, une augmentation de l’âge de la retraite reviendrait à mettre en concurrence jeunes et vieux sur le marché de l’emploi. Le raisonnement est le suivant : augmentez l’âge de la retraite et vous réduirez le nombre d’emplois disponibles pour les jeunes, augmentant dans le même temps, le non-emploi de cette catégorie d’âge, déjà extrêmement vulnérable. La critique part d’un bon sentiment et d’un constat juste : l’emploi des jeunes est, aujourd’hui, en Belgique, un défi majeur qui n’est pas considéré comme tel. L’invisibilité des jeunes dans le débat public et le manque de considération à leur égard est dramatique. Cependant, les variations de l’âge de la retraite n’ont pas l’effet sur l’emploi des jeunes que leur prêtent les experts mentionnés plus haut. Il est admis que le marché de l’emploi ne fonctionne pas sur une base fixe ; autrement dit, il n’existe pas un nombre défini d’emplois, qui resterait inchangé dans le temps. Ce constat, qui existe depuis longtemps sous le nom de « lump of labour fallacy ». De façon plus concrète, certains (autres) experts ont déjà pointé du doigt des liens positifs entre emplois des jeunes et des âgés : augmentez l’emploi dans l’une des catégories et vous augmentez l’emploi dans l’autre catégorie. Si une telle perspective peut être critiquée empiriquement, il reste que le calcul des experts (« Aujourd’hui, en Belgique, il y a 600.000 chômeurs. Augmenter l’âge effectif de la retraite de deux ans, cela signifie qu’il y aurait 300.000 postes de travail en moins ») relève d’une méconnaissance des enjeux du marché du travail. Si l’on peut éventuellement admettre un impact négatif sur l’emploi des jeunes, celui-ci serait d’une portée extrêmement limitée et mérite une analyse bien plus subtile.
Si les experts mentionnés ont raison de dire que le problème des retraites n’est pas seulement un problème économique, ils utilisent des arguments fallacieux, basés néanmoins sur des enjeux économiques. Il eut été plus acceptable de mettre en avant-plan les enjeux majeurs liés à cette réforme que sont, par exemple, la santé, les conditions de travail, les loisirs, les soins apportés aux petits enfants, etc. Et de répéter que le financement de la sécurité sociale ne se fait pas que sur des bases contributives, que les moyens de financement de cette dernière sont nombreux et que les retraités – et les jeunes – ne doivent pas être les seuls à en supporter le coût.
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