François Dessy
Pour que justice rime avec justesse et démocratie
Fallait-il décréter la quasi suppression de la Cour d’assises au profit du tribunal correctionnel ? Absolument pas. Pour différentes raisons jaillissant sous la forme de consternants paradoxes.
Premier paradoxe. Supprimer subrepticement la Cour d’assises, c’est supprimer le dernier bastion de démocratie directe, de véritable souveraineté populaire à l’heure où le besoin de se réapproprier la chose publique n’a jamais été aussi vital. C’est pourquoi David Van Reybrouck a créé des rassemblements (le G 1000), un mouvement de démocratie participative, de type rousseauiste ; c’est pourquoi Paris a voulu que ses Nuits soient vent debout face au risque de délitement social, que des universités d’été et d’échange se créent. Obéissant à quel voeu ? Un voeu athénien : cogiter, creuser, sculpter ensemble un avenir à la hauteur du mot, des « Demain » qui enchantent et dépassent la beauté presque fictionnelle et intentionnelle.
Nous nous plaignons à intervalle régulier d’une abdication du pouvoir décisionnel citoyen. N’évacuons pas la dernière institution qui renouvelle notre confiance en l’action publique, en la justice ou qui en pallie le déficit habituel, car nous la vivons et la rendons, sans distinction de classe, de rang, sans préséance, sans autre appartenance qu’à la société civile.
La Cour d’assises est plébiscitée par la majorité des avocats et la plupart des jurés qui l’ont fréquentée : ils se disent bouleversés, mais transfigurés par le souci, respectueux de tous, de bien faire, d’aller au plus près de la vérité. Les assises restent « la juridiction qui reflète le plus fidèlement l’état de la conscience sociale », disait le Bâtonnier Michel Franchimont. À l’heure de l’abandon du bicaméralisme, des forces du sénat, à l’heure du gouvernementalisme, des ukases exécutifs intimés aux majorités empêchant le parlement de jouer son rôle ou l’outrepassant comme nous l’enseignent l’actualité française du moment et le passage en force par des souterrains constitutionnels de la grande réforme du droit du travail. La souveraineté, la légitimité populaire sont en berne et veulent rejaillir. Le referendum sur le réaménagement du parc des récollets d’Anne Marie-Lizin à Huy ou celui du haut de la ville de Namur de Maxime Prévôt – ils n’eurent cure des vétos sortis des urnes, l’unilatéralisme d’Yvan Mayeur pour organiser le piétonnier ou décourager la marche, l’élan de solidarité à Bruxelles en réponse aux attentats… nous le rappelle âprement. Conserver la Cour d’assises est, plus que jamais, une priorité démocratique, une insurrection douce contre la confiscation du pouvoir, un antidote contre l’individualisme : il accroît le volontarisme, « l’apprentissage citoyen« , écrivait Tocqueville.
Conserver la Cour d’assises est, plus que jamais, une priorité démocratique, une insurrection douce contre la confiscation du pouvoir, un antidote contre l’individualisme.
Deuxième paradoxe. Notre législateur a voulu correctionnaliser l’extrême majorité des crimes et mettre la Cour d’assises au frigo alors que le jury a le vent en poupe dans les pays issus de la même tradition juridique napoléonienne telle que la France. La loi du 10 août 2011, mesure phare de Nicolas Sarkozy a certes été enterrée par Taubira en 2012. Ne visait-elle pas pourtant à étendre la présence de jurés populaires en correctionnelle ? L’engouement pour la conscription judiciaire s’est même internationalisé puisque la Russie a réhabilité ses assises – décryptée jadis par Tolstoï – en 1993 et le Japon en 2009 non sans avoir mûrement mis en balance les avantages et inconvénients, expérience faite à travers des projets pilotes.
Il y a un troisième paradoxe au nom duquel nous regrettons que la Cour d’assises soit délaissée. Remettre en cause la Cour d’assises, c’est ruiner tous les efforts entrepris durant un siècle de réformes, menacer de ruine un édifice séculaire et universel, importé d’Angleterre, un acquis révolutionnaire, consacré par Napoléon. La loi du 21 décembre 2009 a limité à deux tiers les membres maximums des jurés d’un même sexe et exigé que les jurés, aidés par le président de la Cour d’assises et ses deux assesseurs, expliquent et couchent le fruit de leur délibéré répondant ainsi aux injonctions de la Cour européenne. L’intime conviction a laissé place à la motivation des arrêts d’assises. La nouvelle loi Pot Pourri II, permet, en outre désormais, aux magistrats de siéger et délibérer avec les jurés sur la culpabilité et sur la peine. Cela évite que les jurés statuent sans avoir compris toutes les notions juridiques, tous les débats d’une technicité accrue. Et tempère leur sentimentalité excessive – vengeresse ou compatissante – éventuelle. La nouvelle loi perfectionne paradoxalement un système auquel elle donne en même temps et fort illogiquement le coup de grâce !
Serait-ce pour toutes ces raisons que l’opinion publique demeure attachée, de sondage en sondage, à la Cour d’assises qui récolte les faveurs d’environ 75 % de nos concitoyens sondés ?
La Cour d’assises n’est pas encore exempte de tous défauts.
Ne sommes-nous pas, cependant, tellement près du but ? Tant de chemin a été parcouru que saper aujourd’hui l’institution relève de l’absurde. L’argument budgétaire ne résiste pas à l’énumération de tous les avantages cités. Ne nous laissons pas asservir par la tyrannie de l’immédiateté et du moindre denier. Agissons pour que l’État ne devienne pas le cynique d’Oscar Wilde « qui connaît le prix de tout, mais la valeur de rien« . Agissons pour que cette grande Dame abîmée qu’est la justice ne perdre pas sa vertu, en ces temps secoués de barbarie aveugle et indifférenciée. La Justice nous est tellement nécessaire pour comprendre, prévoir, prévenir l’inconcevable et tenter de résoudre, guérir les convulsions terroristes, cautériser nos blessures à défaut de pouvoir les cicatriser.
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