Thierry Bingen
Pour le « monde d’après », les forces armées belges changent de boss, mais est-ce assez? (carte blanche)
À l’occasion de sa mise à la retraite, le chef de la Défense belge a donné une interview particulièrement éclairante au Soir. Son propos vise évidemment à défendre les intérêts de l’institution qu’il a commandée ces quatre dernières années. Cependant, si l’on fait abstraction de sa volonté de plaider en faveur de celle-ci et que l’on s’en tient aux faits rapportés et aux opinions exprimées, on peut en tirer d’autres conclusions, probablement plus en phase avec ce » monde d’après » dont tout le monde parle mais dont peu semblent se préoccuper vraiment.
Allons d’abord à sa conclusion : « Au milieu des pays voisins, la Belgique est la seule à ne pas avoir de stratégie intégrée de sécurité et de défense. On n’a pas une réflexion au niveau du gouvernement où on détermine quels sont les intérêts vitaux du pays, quelles sont les menaces et comment protège-t-on ces intérêts. Et qui fait quoi parmi la Défense, l’Intérieur, la Justice, les Affaires étrangères, etc. ? Surtout quels sont les intérêts que l’on ne sait pas protéger et que va-t-on faire si un jour il y a un problème. »
Autrement dit, dans le monde d’avant, on entretenait depuis plusieurs années des forces armées qui tournaient à vide. Alors, en nous projetant dans le monde d’après, pourquoi n’institutionnaliserions pas cet état de fait en nous débarrassant progressivement de la charge inopérante, comme le dit le général Compernol, des forces armées. Le moment est en effet propice, et pour plusieurs raisons majeures.
Il y a bien entendu l’immense raison budgétaire qu’on nous rabâche depuis quelques semaines : après le choc économique dû à l’épidémie de covid, il convient de focaliser les indispensables dépenses de l’État vers les secteurs de notre économie qui en ont un besoin vital. Or les dépenses d’investissement militaires se font en très grande majorité au bénéfice d’économies lointaines.
Il y a aussi une raison stratégique : on a compris que les seules lignes directrices de la Défense belge provenaient de choix faits à l’OTAN. C’est aujourd’hui un secret de Polichinelle que cette alliance est dysfonctionnelle, principalement dans le chef de son leader américain mais pas exclusivement puisqu’on y trouve aussi laTurquie par exemple. Ces choix sont aujourd’hui non avenus.
Même en considérant l’adhésion belge aux interventions de l’OTAN, on voit assez rapidement que la plupart d’entre eux sont caducs. Il semble que la composante terrestre soit aujourd’hui active en Afrique. On estime son impact réel en mesurant la connaissance de cet état de fait dans l’opinion publique : nulle. Il y avait naguère une intervention de déminage au sol au Liban : nos soldats essayaient, au risque de leur vie, de défaire ce que certains de nos alliés avaient fait en y dispersant des centaines de tonnes de mines anti-personnelles. Cette mission est terminée depuis belle lurette, non pas que les champs concernés puissent jamais être totalement nettoyés, mais on n’a plus estimé nécessaire de poursuivre cette mission, pourtant fort appréciée des populations locales.
La composante aérienne a fait nettement plus parler d’elle, d’abord par les engagements pris vis-à-vis de fournisseurs américains pour équiper nos forces d’avions aussi onéreux que pas au point, et pour la première fois sans contrepartie substantielle pour l’industrie belge, particulièrement wallonne. Puisque le premier de ces avions du monde d’avant n’a pas encore été livré, c’est le moment de se projeter dans le monde d’après et d’arrêter cette folie. Nos forces aériennes ont malheureusement aussi fait parler d’elle à propos des missions de nos chasseurs-bombardiers en Syrie. On notera ici que le manque d’articulation entre notre politique de défense et notre sécurité, souligné par le général Compernol, trouve ici tout son sens : si l’on veut arroser le champ fertile du terrorisme, il est en effet utile de le faire avec des bombes dans ces terres lointaines. Ou alors faire le contraire si l’on veut vivre avec plus de sécurité.
Les plans à tirer sur ce monde d’après ne sont donc pas compliqués. On commencera par liquider immédiatement tout ce qui relève des forces aériennes. Quant aux forces terrestres, on pourra en faire de même, à l’exception de ce qui a trait au déminage, toujours utile en Belgique pour continuer le travail quotidien en Flandre occidentale depuis la fin de la Première Guerre, mais aussi pour aller nettoyer les dégâts des guerres menées par nos amis contre des populations innocentes.
Les forces navales n’ont pas été mentionnées jusqu’ici. Elles sont sans doute les seules qui, jusqu’à nouvel ordre, pourraient être maintenues. On sait en effet que les navires belges participent régulièrement à des opérations de déminage naval, une activité souvent défensive ou curative que l’on peut difficilement critiquer. Cette branche d’activité mérite donc seule d’être sauvée. On voit d’ailleurs que, par proximité d’enjeu stratégique et pour rationnaliser, on pourrait immédiatement y adjoindre les démineurs anciennement dans les forces terrestres.
Alors que fait-on de tout ce qui devient excédentaire ?
Pour le matériel, la réponse est simple. Tout ce qui ne peut être réutilisé à des fins utiles par les autorités belges doit être vendu sur le marché aux meilleurs prix que révèlera « la main invisible » de ce marché, comme lors de l’achat des masques anti-covid, mais dans l’autre sens. Tout au plus peut-on envisager un droit de préemption en faveur de pays amis.
Pour le personnel, les solutions sont plus délicates mais partent d’un postulat simple : aucun contrat ne sera rompu et tous les salaires des militaires démobilisés seront garantis. Que les contrats soient à durée déterminée ou non, les militaires libérés se verront offrir un travail digne dans les services publics belges, en commençant par la Protection civile (où l’on pourra peut-être reloger une partie du charroi) et en allant jusqu’à la Sûreté de l’État, qui mérite des renforts face à la menace d’extrême-droite, et aux divers services de police, mais incluant aussi tous les autres services publics fédéraux, régionaux, communautaires, provinciaux ou communaux. Les salaires de ces agents seront assurés par un budget fédéral qui s’éteindra progressivement par la fin des contrats et la mise à la retraite des derniers militaires statutaires des unités démobilisées.
Dernier point qui sera peut-être plus polémique. Dans la fièvre de régionalisation qui saisit régulièrement la Belgique, il devient parfaitement possible de régionaliser la Marine. En effet, tous ses ports d’attache se trouvent dans une seule et même Région, la plus demandeuse de régionalisation d’habitude. Le transfert éventuel sera donc simple et immédiat, sans frais pour les autres Régions.
Bienvenue à la Défense belge du monde d’après.
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