Pour éviter une guerre des générations, trouver un deal entre les jeunes et les aînés
Déjà marqués par la menace terroriste, le dérèglement climatique, les populismes, les 18-25 ans évoquent un trop-plein. Car s’ils sont les enfants de la crise depuis longtemps, la pandémie introduit quelque chose de supplémentaire: la peur.
« J’ai l’impression qu’on ne va plus jamais sortir », soupire Alexis, 19 ans. Sa vie sociale est à l’image de sa pratique sportive, « gelée ». Il avoue ensuite son incapacité à « voir un avenir positif quelque part ». « Ouais, on se prend tout sur la tête », conclut-il.
Ils ont entre 18-25 ans, fréquentent encore l’athénée quand ils ne tentent pas de se lancer dans les études, de les poursuivre, de travailler ou simplement de trouver une raison de se lever le matin. Entre eux, ils s’appellent les « 2000 », ceux nés avec le millénaire et qui vivent leur jeune vie sous Covid. Ils n’ont, d’ailleurs, pas d’autre point commun que d’appartenir à cette « génération Covid ». Une génération que l’on dit « oubliée ». A juste titre. Pas entendue, écoutée ni impliquée. Stigmatisée? Oui, alors que la très grande majorité des jeunes respecte les mesures sanitaires. Knock-out, enfin? Oui, quand la société se bloque, c’est bien plus douloureux pour les 18-25 ans.
Sur la liste des symptômes inquiétants, « l’épuisement », « l’incertitude », « l’absence de perspectives »: c’est ce qui ressort des études réalisées par Fabienne Glowacz, professeure de psychologie à l’ULiège, dont les résultats rejoignent ceux recueillis par d’autres études, celle lancée par la Cocom (Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale) ou encore celles menées par l’Institut de santé publique Sciensano. La crise fait irruption dans « une période où devraient se décliner les grandes étapes qui scandaient leur parcours pour devenir de jeunes adultes », observe Fabienne Glowacz. L’âge des possibles, ce moment de postadolescence, où l’on jouit de sa liberté, où la vie et le monde s’ouvrent, légers, infinis, est devenu l’âge des incertitudes angoissantes. « Ce qui peut engendrer un stress, une anxiété, des questions face à une pandémie à dimension mondiale, les confrontant à la mort, la peur du futur… »
La Covid les a-t-elle fait devenir trop sérieux en quelques mois? Cette génération en sortira marquée collectivement et durablement. Ainsi Manon, 20 ans, étudiante à l’Ichec, s’interroge: voir des gens s’embrasser, se toucher dans les films l’étonne. « J’espère que nous ne serons pas imprégnés de tout ça… » Quoique. De nombreux jeunes, sondés par Fabienne Glowacz, envisagent de maintenir les gestes barrières, évoquant plutôt un repli qu’une expansion sociale.
Sont-ils en colère quand, la pandémie s’éternisant, on leur demande de renoncer à tout ce qu’ont vécu leurs aînés? A l’âge de toutes les rébellions, ils ne semblent pas nourrir le moindre conflit de générations. Ce n’est pas bon pour eux, disent les pédopsychiatres, de transgresser aussi peu, cela réduit encore leurs possibilités. Davantage que de ressentiment, c’est d’anxiété et d’angoisse qu’ils sont lestés. Déprimés, alors? L’inquiétude, en tout cas, sur leur santé mentale monte. D’autant que, selon Isabelle Mallon, sociologue à l’université de Lyon, « les jeunes générations sont plus susceptibles d’être profondément marquées par les événements historiques auxquels elles prennent part, qui s’inscrivent plus profondément en elles parce qu’elles ont peu d’expériences et d’images du monde pour les mettre à distance et les relativiser ».
Avant cette pandémie, les jeunes, déjà passablement malmenés par les crises contemporaines, entre menace terroriste, dérèglement climatique et montée des populismes, tenaient déjà un discours sur le prix trop élevé de l’héritage laissé par les plus âgés. Une espèce de trop-plein. La crise et ses potentielles séquelles économiques et sociales pourraient alors renforcer l’idée d’un fardeau trop lourd, et qui s’est traduit par le discours de conflit générationnel sur la crise climatique, porté par Greta Thunberg.
Davantage que de ressentiment, c’est d’anxiété et d’angoisse qu’ils sont lestés.
Un « deal » intergénérationnel
On assiste aussi à des renversements. Les baby-boomers, désignés pour la première fois comme une génération fragile, voire une charge pour les sociétés, parce que projetée dans la catégorie des « personnes vulnérables ». A l’autre bout, la génération du millénaire, ces jeunes, hier considérés comme la relève, puis comme une bombe à retardement, parce que susceptibles de transmettre le virus, enfin, aujourd’hui, comme des victimes.
Jusqu’à présent, pourtant, la Covid-19 a plutôt provoqué au sein des familles un resserrement des liens. Mais l’incertitude sur l’avenir, avec les difficultés que risquent de rencontrer les jeunes adultes arrivant sur le marché de l’emploi et qui peineront alors à sortir d’une adolescence à rallonge, peut peser sur la cohabitation intergénérationnelle. « Les solidarités familiales, réactivées pour ceux qui peuvent y recourir, pourraient passer, si la crise perdure, de valeur refuge à valeur contrainte », avertit Marie-Thérèse Casman, sociologue à l’ULiège et spécialiste de la famille. Dès lors, il faut veiller à ne pas nourrir une guerre des générations. Comment? Des experts, dont le démographe Emmanuel Todd, l’économiste Thomas Piketty ou encore la sociologue Cécile Van de Velde, proposent ainsi une espèce de « deal » intergénérationnel. En échange des sacrifices consentis pour protéger nos aînés, ceux-ci, détenteurs du pouvoir « par leur poids électoral comme par leur possession du capital », s’engageraient « à leur préparer un monde vivable ». Et, surtout, désirable, histoire de les réveiller et de leur rendre l’élan.
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