Simon Ghiotto
Potentiel sous-exploité en matière de politique familiale
Nous consacrons beaucoup de temps, d’attention et d’espace média aux enfants pauvres et défavorisés. À juste titre. Un pays prospère comme la Belgique ne peut pas rester les bras croisés lorsqu’un quart de nos enfants vit dans la pauvreté, qu’un quart des enfants grandit dans notre capitale au sein d’une famille ne comptant aucun revenu du travail, et que ces enfants qui en ont le plus besoin ne profitent pas de nos réseaux de garderie et d’enseignement maternel.
Mais nous pouvons aussi offrir de meilleures conditions de vie aux enfants avec les leviers existants. À tous les enfants. Car la politique familiale existe pour chaque enfant, chaque parent et chaque famille. Avec une attention spéciale pour les personnes en difficultés, mais également pour les trois quarts de la population qui ne vivent pas dans la pauvreté. Plutôt que de participer à la polémique sur les chiffres et la culpabilité, nous devons avancer de façon constructive. L’ambition justifiée de faire mieux ne peut pas mener au pessimisme ou à l’immobilisme.
À chaque reprise, la réforme des allocations familiales est critiquée et qualifiée d’occasion ratée dans la lutte contre la pauvreté des enfants. Aurait-on pu faire mieux ? Sans aucun doute, mais un compromis politique ne va jamais aussi loin que certains ne l’espèrent. Toutefois, la réforme peut permettre de faire de réels progrès. Voici trois initiatives qui sont aujourd’hui possibles sur le plan des allocations familiales, de l’environnement de vie des enfants et de la garderie des enfants.
Dans le nouveau régime des allocations familiales, les parents peuvent pour la première fois choisir eux-mêmes leur caisse d’allocations familiales. Par le passé, c’est l’employeur qui faisait ce choix. Cela semble être un détail, mais cela crée pour la première fois une dynamique de marché où les clients – ceux que vous devez attirer et fidéliser – sont des familles et plus des entreprises. Le glissement de terrain potentiel est énorme.
La question est alors, que faisons-nous avec ce potentiel ? Quelles caisses d’allocations familiales souhaitons-nous pour l’avenir, pour les familles, pour les responsables politiques, pour les caisses d’allocations elles-mêmes ? À quelle fin ? Voulons-nous régionaliser les canaux de paiement et les boîtes aux lettres existants ? Ou préférons-nous être de véritables partenaires pour les familles, au fil de leurs besoins divers et changeants ?
Alors que les institutions de paiement flamandes montrent de l’ambition, elles sont toujours essentiellement axées sur le volet administratif et financier des choses. La Wallonie doit encore voter le décret qui régira les caisses privées d’allocations familiales, mais l’UCM s’est déjà mise au travail avec le lancement de sa caisse d’allocations familiales Camille. Ce fut une journée remplie d’activités allant du yoga prénatal et de leçons de préparation à l’accouchement à des ateliers de massage pour bébés, aux techniques de portage et aux premiers secours en cas d’accident avec bébé. Comme pour tout événement tendance, des foodtrucks étaient de la partie et on pouvait bien entendu aussi obtenir des informations sur les allocations familiales.
Ce n’est qu’un seul exemple, d’une seule journée. Mais cela montre ce qui est possible. Les caisses d’allocations familiales paient donc les allocations, mais sont surtout des partenaires dans la parentalité pour tout un éventail de familles différentes. Une organisation qui aide les parents à avancer, à trier et à arriver de et vers toute une série d’initiatives de soutien et de garderie privées et publiques.
Le moment de la réforme peut également donner une nouvelle impulsion aux éléments existants. Les Écoles au sens large sont des liens de collaboration entre une école et plusieurs partenaires qui créent ensemble un large environnement d’apprentissage et de vie, dans et en dehors des heures et des murs de l’école. Elles peuvent ainsi proposer des opportunités de développement maximales aux enfants et aux jeunes. Ce type d’écoles existe déjà notamment à Gand, Malines et Bruxelles, mais elles proposent toutes une énorme diversité. Le travail sur mesure adapté à la réalité locale est superbe. Par ailleurs, des liens de collaboration très limités – par exemple une école avec une garderie et où des cours de musique et de dessin sont organisés le week-end – peuvent aussi revendiquer ce titre. Des exemples étrangers vont bien plus loin et englobent aussi une garderie, la bibliothèque locale, des antennes de soins de santé (préventifs), un bureau de placement, un enseignement pour adultes… Des initiatives qui existent déjà en Belgique, mais qui travaillent plutôt côte à côte qu’ensemble.
Voilà un rôle par excellence pour les autorités politiques locales. Elles peuvent réunir les bonnes personnes autour de la table et ainsi faciliter de tels partenariats. La répartition des compétences peut également être examinée. Les garderies d’enfants relèvent depuis toujours de l’échevinat du Bien-Être, mais dans le cadre des Écoles au sens large et dans un souci de continuité des soins & de l’enseignement, on pourrait ajouter cette compétence à l’échevin de l’Enseignement. À Gand, c’est déjà le cas.
Un tiers concerne les tarifs selon les revenus dans la garderie, ce qui représente trois quarts des places. Les suppléments sociaux des nouvelles allocations familiales sont soumis à un contrôle des revenus : plus les besoins sont importants, plus le supplément augmente. Afin de pouvoir traiter les besoins financiers actuels d’une famille, différents flux d’information doivent se croiser et être suivis. Attendre les données fiscales signifie un retard d’au moins 1 an, souvent davantage. Ce n’est pas une tâche aisée, mais nous devrions pouvoir faire d’une pierre deux coups, ou plus. Lors de l’attribution ou non de suppléments sociaux dans le domaine des allocations familiales, on peut directement créer des attestations pour des tarifs liés aux revenus ou même adapter ces tarifs automatiquement. Mais où s’arrêter ? Le même mécanisme donne également droit immédiatement et automatiquement aux suppléments scolaires et aux bourses d’études.
Continuer à réformer et à corriger au sein de la politique familiale est nécessaire et souhaitable. Une compréhension en plein développement nous apprendra ce qui peut être amélioré et ce qui doit l’être. Mais il ne faut pas attendre. On peut améliorer les choses dès aujourd’hui. Notre politique familiale comporte encore pas mal de potentiel inexploité. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas réagir.
Simon Ghiotto
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