Portrait de Samantha Mavinga: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra

Samantha Mavinga a toujours été en mouvement. De la région liégeoise, où elle a effectué ses premières figures de breakdance, à Londres, où elle vit désormais de la house, la danseuse a profité de ce périple pour mettre au pas sa timidité.

Tous les matins, Samantha Mavinga se réveille en remerciant l’existence d’être vivante. Elle se retient ensuite de fondre sur son téléphone, puis s’octroie quinze minutes rien qu’à elle. Dix pour méditer, cinq pour imaginer la vie qu’elle rêve d’avoir. La place Saint-Lambert n’en fait probablement pas partie, mais ce lieu emblématique de Liège n’est certainement jamais loin, tapi au milieu de ses souvenirs. Comme toujours depuis le début de sa vie.

C’est sur cette esplanade, à deux pas de la place du Général Leman où elle grandit, que Samantha s’imprègne de l’ambiance chaleureuse de la Cité ardente. Liège a-t-elle pour elle une réputation de ville explosive ? Petite, elle la considère plutôt comme « posée », et donc idéale pour faire du roller avec son papa sur les murets jouxtant le palais des Princes-Evêques. La fillette est agile. Energique, aussi. Elle l’était déjà dans le ventre de sa mère. « Evidemment, j’ai aussi eu envie que ça bouge au-dehors », sourit-elle, d’une voix douce. « En primaire, je m’ennuyais avec les filles. Je m’habillais donc comme un garçon, je jouais au foot comme un garçon et j’étais forte comme un garçon. Il m’est même arrivé de frapper des mecs ou de servir de garde du corps à un de mes amis. » Samantha n’est pourtant pas une enfant difficile. Elle combine le double statut de première de classe – c’est toujours un de ses surnoms aujourd’hui – et d’élève cool avec qui traîner à la récré. Surtout, elle attrape très vite des formes. A mesure que la jeune adolescente se met en mouvement – « j’ai toujours senti la danse en moi, c’est inné » – découvre des figures – « je n’avais pas de style particulier, je reproduisais dans ma chambre à peu près tout ce que je voyais à la télé » -, ses formes font place aux muscles. Au grand dam de sa mère, influencée par sa culture africaine, pour qui une femme « doit avoir des fesses et des seins » et se tenir à tout prix loin de la minceur et des biceps.

Sa plus grosse claque:

Le décès de ma tante, qui m’a toujours beaucoup encouragée, des suites d’un cancer. C’est là que j’ai réalisé l’existence de la mort. »

Samantha envoie promener les conseils beauté de sa maman et continue de danser, mais ces propos fragilisent malgré tout sa confiance en elle. « J’ai commencé à être complexée par mes muscles, je détestais montrer mes bras, que je trouvais trop gros et pas assez féminins. Puis, je me suis renfermée, je suis devenue quelqu’un de très timide, très introverti, qui ne parlait pas trop, qui avait du mal à s’intégrer en société. » Quelqu’un de particulièrement sensible, aussi. Parfois « pour rien ». La Liégeoise souffre d’un manque d’amour. Dès qu’elle perçoit un moment de gêne, elle fond en larmes. Comme cette fois où elle doit présenter une dissertation dont la consigne est d’écrire une histoire se déroulant à New York. « Je me suis crue dans un film et j’ai raconté la vie d’un personnage qui faisait un braquage dans le ghetto. J’ai écrit ça comme un script, avec des dialogues très crus, la prof de français m’a bombardée avant d’encenser une fille qui avait respecté les consignes. Je me suis sentie ridicule. J’ai pleuré. »

Son mantra:

Le monde est en toi car tu manifestes ce que tu veux en créant ta propre réalité. »

La fille du bus 81

Désarçonnée par l’adolescence, la Mosane passe le plus clair de son temps libre à zoner avec des amis autour de la place Saint-Lambert. Un lieu qui la revigore, mais qui manque de lui coûter la vie. Le 13 décembre 2011, un mardi, elle prévoit de grimper dans le bus 81, celui de l’heure de midi. Au moment de quitter la maison, elle a beau fouiller, elle ne remet pas la main sur son abonnement. Elle hésite à frauder, puis se décide finalement à rester chez elle. « C’est à 12 h 30 que l’auteur des tueries a lancé sa première grenade… précisément là où j’allais prendre le bus, direction Grâce-Hollogne. » Depuis l’âge de 13 ans, la jeune fille se rend en effet chaque semaine dans une salle de la commune hollognoise pour faire du breakdance. Introduite par son meilleur ami dans un groupe de danseurs intitulé Aliens, elle marque d’emblée les esprits par sa détermination, son côté « garçon manqué », sa grande vélocité et sa souplesse. « Je suis très compétitive, j’aime montrer que je suis la meilleure. Quand j’ai débarqué là-bas, j’ai réussi à reproduire du premier coup la première figure qu’ils m’ont montrée, le startac (NDLR: un cousin du poirier qui consiste à écarter les jambes et les placer perpendiculairement au tronc pour reproduire un L à l’envers). Ils étaient surpris, moi je ne trouvais pas ça si impressionnant. De toute façon, que je sois contente, triste ou normale, ça ne se voyait pas: j’étais comme un robot. Ils ont dû me voir comme quelqu’un de bizarre. »

Sam est alors à un tournant de sa vie. Pour trouver sa place, elle s’éveille à deux extrêmes: la face « garçon » avec la danse et la face « fille » avec son look. La journée, elle se fait coquette, elle emporte maquillage et sac à main à l’école. Le soir, elle enfile des vêtements de sport masculins et part danser. Elle aime brouiller les pistes. Ça lui permet d’atteindre un équilibre. « Avec l’âge et grâce à mes premiers petits copains, qui m’aimaient comme j’étais et pas comme je « devais » être, je suis aussi parvenue à faire totalement abstraction de ce que pensait ma mère sur mon physique. » A sa majorité, Samantha est une femme apaisée, mais toujours très timide. Alors elle danse. Beaucoup. Notamment à côté de la place Saint-Lambert, dans la gare de Liège-Palais (aujourd’hui renommée Liège Saint-Lambert), un lieu emblématique pour les breakers qui s’y réunissent dans une salle aménagée avec des tapis. « On y allait après l’école, en soirée. Il y avait un baffle et chacun s’entraînait dans sa zone. Si j’avais besoin de conseils, je demandais et je les recevais même si je ne connaissais pas la personne. C’était hyperbienveillant. »

Portrait de Samantha Mavinga: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra

Mais peut-être insuffisant pour satisfaire la soif de déhanchement de la Lîdjeûse. Qui s’échappe donc, régulièrement, en train. Direction Bruxelles et les leçons de Christopher, aka Baloo, un grand nom de la scène nationale du breakdance. « Il avait rassemblé autour de lui une dizaine de jeunes qui avaient envie de progresser. Il nous entraînait comme des militaires: on enchaînait de la course, des abdos et si on se plaignait, tout le monde recommençait. C’est là que j’ai développé un vrai mental et su comment structurer seule mes entraînements. » De battles en battles, Samantha fait rapidement parler d’elle puis élargit ses horizons au hip-hop et à la house dance, dont elle affectionne la musique, l’atmosphère débonnaire et la liberté. « La house permet d’imposer son style, d’éviter de faire comme les autres, de se perdre jusqu’à ne plus savoir comment danser. » L’ artiste veut vivre de la danse, mais n’ose pas se projeter, surtout qu’en parallèle, ses parents l’enjoignent à faire des études. Elle s’inscrit en publicité, à l’institut Saint-Luc. Un mauvais choix. « Je suis tombée dans une forme de dépression. Je ne me lavais même plus, j’attendais vraiment la dernière minute pour quitter mon lit et aller en classe. » Après six mois, elle bifurque vers un centre de formation d’où elle sort diplômée en graphisme. Un certificat de complaisance? En bonne partie. La danse est en elle.

Son plus gros risque:

M’installer à Londres pour y démarrer une nouvelle vie alors que j’avais mes habitudes et mon réseau de danseuse en Belgique. »

Rihanna, Timbaland et Estelle

Aujourd’hui, la place Saint-Lambert est bien loin du quotidien de la deuxième d’une fratrie de trois. Victorieuse de concours internationaux comme Juste Debout, Red Bull Dance Your Style ou World Of Dance, elle a tapé dans l’oeil de grands noms comme le chorégraphe français Mourad Merzouki. Repérée par un chasseur de têtes puis lors d’une audition, elle a aussi eu l’occasion de se produire pour Timbaland et Rihanna. « C’est impressionnant de danser pour une célébrité, mais quand je prends du recul, je sais que je reste quand même derrière, je suis sa décoration. C’est bien pour le prestige, mais ce n’est pas l’expérience la plus épanouissante. » Alors Sam continue en solo et prend de l’envergure. Elle vit désormais au nord de Londres, dans un studio qu’elle loue avec sa cousine. « Le Covid a servi de déclic: j’avais fait le tour en Belgique, donc si je voulais plus, je devais bouger. » Samantha a la trentaine dans le viseur et un CV où s’affichent des compétences de performeuse, de directrice artistique et d’actrice principale. Elle tourne notamment des clips comme celui du groupe de rock liégeois Minor/Minor, dans lequel elle joue sur les sentiments, feignant entre autres la rage et la tristesse… « C’est grâce à ce tournage que j’ai compris que j’avais des facilités d’expression et une certaine justesse. Finalement, en tant que danseur, on est quelque part aussi acteur: on doit transmettre des émotions, c’est comme ça qu’on communique avec le public. »

Dates clés

  • 2016: « Je me déchire les ligaments croisés pendant un battle. Je croyais que je n’arriverais plus à danser. Ça m’a plutôt amenée à bouger avec mes bras et à créer mon style. »
  • 2017: « Mon premier voyage hors Europe. Frustrée de ne pas pouvoir danser comme je le veux à cause de ma blessure, je pars sur un coup de tête à Bangkok, pour me ressourcer. »
  • 2018: « Je réalise et tourne mon premier clip de house dance dans un restaurant liégeois. »
  • 2020: « Je gagne le House Dance Forever, le concours international de house le plus relevé. »
  • 2022: « Je suis invitée à donner des cours partout en Europe. Je me sens valorisée de voir qu’ils sont à chaque fois complets. »

La Liégeoise ne s’en cache pas: sans la danse, elle ne serait jamais parvenue à extérioriser certaines sensations. La danse a mis de côté sa timidité, grâce notamment aux leçons qu’elle donne depuis plusieurs années, qui l’ont « obligée à parler, à être souriante… Cela m’a formée à côtoyer des gens. Maintenant, ça se passe très bien. Je suis prête à me montrer. » Difficile de mieux dire. Alors qu’elle vient de camper le rôle de la chanteuse Estelle dans un documentaire biographique, Samantha s’apprête à passer des castings pour intégrer l’univers du cinéma. Pour que tous les matins, elle puisse se réveiller sans regarder son téléphone. Qu’elle prenne dix minutes à elle. Dix pour méditer, cinq pour imaginer la vie dont elle rêve. La vie qu’elle mène.

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