Portrait de Geoffrey Mahieu: sa plus grosse claque, ses plus gros risques, son mantra
Geoffrey Mahieu est le premier coach mental francophone à avoir obtenu sa green card aux Etats-Unis pour compétences exceptionnelles. Une vocation que le Montois a trouvée au cours de ses années à la tête d’un centre pour personnes à déficience mentale.
Printemps 2012. Du port de Miami, la vue est imprenable sur les buildings des Star, Hibiscus et Palm Islands, les îles artificielles de la célèbre baie de Biscayne. Pour Geoffrey Mahieu, le programme, basé sur la promenade, le coca et le paquet de chips, n’a pourtant rien de bling bling. Depuis qu’il a accepté de s’occuper du gamin autiste de la prof de français de sa fille, quelques mois auparavant, le rituel est le même. « On ne faisait rien d’incroyable, mais c’étaient nonante minutes qui lui permettaient de s’aérer l’esprit pendant que sa mère était libre de pratiquer d’autres activités », se rappelle aujourd’hui le Montois.
Avec son visa d’étudiant, il ne peut pas, à l’époque, travailler aux Etats-Unis, coincé dans un quotidien où s’enchaînent cours d’anglais le matin et parties de golf pour tromper l’ennui l’après-midi. En accompagnant cet adolescent, en discutant simplement avec lui, Geoffrey se sent utile. Il ignore alors que le père du jeune homme, Jean-Claude Abdoune, est un préparateur physique très coté dans le milieu sportif. Un hasard qui donnera vie au projet qu’il s’est promis de mener en quittant la Belgique, six mois plus tôt: devenir coach mental. « Un soir, à l’occasion d’un souper chez lui, Jean-Claude me propose ni plus ni moins que de m’occuper d’un champion: le boxeur Steve Hérélius (NDLR: en juillet 2010, le Français est devenu champion du monde WBA par intérim des poids lourds-légers après sa victoire face à l’ancien champion du monde allemand Firat Arslan). Je ne savais pas trop qui c’était, je ne connaissais rien à la boxe, mais je ne suis pas du genre à me poser beaucoup de questions. Quand il y a une opportunité, je la saisis. J’ai dit « OK, je vais le faire ». »
Son plus gros risque
Prendre la décision de tout vendre et de partir vivre aux Etats-Unis, pays que je ne connaissais que pour y avoir passé des vacances, et alors que je dirigeais un centre reconnu où je gagnais bien ma vie. »
Les deux hommes entament alors une collaboration de trois mois. Le but? Trouver comment évacuer le petit grain de sable qui enraie la machine Hérélius, dont le moral est en berne depuis son sacre. « La première fois, on a beaucoup discuté. Je voulais passer de la case « problème » à la case « solution », j’avais donc besoin de beaucoup d’informations. On a pas mal décrypté ses attitudes, sa manière d’être, etc. Je pense qu’il ne savait pas trop ce qu’était le coaching mental. » Il faut dire qu’à l’époque, ce type d’accompagnement d’athlètes est encore un sujet tabou. Geoffrey le remarque à mesure que sa réputation lui ouvre les portes d’autres sportifs, puis d’hommes d’affaires, de politiciens et même d’artistes… dont la plupart lui demandent de rester incognito. « Certains pensaient que faire appel à un coach mental était une tare. Ils ignoraient que ce n’était pas directement lié à des problèmes, mais à une envie d’évoluer. » Contrairement au psychologue, le coach mental n’a pas les compétences requises pour explorer le passé d’une personne afin de l’aider à aller mieux. « On présente en revanche un grand intérêt pour intervenir auprès de quelqu’un qui veut avancer, mais qui présente un blocage quelque part. Notre travail commence là où s’arrête celui du psy. J’interviens parfois « en urgence », quand cela s’impose, mais je promeus aussi de véritables discussions pour créer et maintenir du lien. »
Son mantra
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »
Baigné dans le social
Quand il rend visite à des clients en Europe, comme cet hiver à Saint-Quentin, en France, à Liège ou à Mons, Geoffrey loge chez sa mère, au coeur de la Cité du Doudou. Parfois, ils évoquent leurs souvenirs communs de Kama, le centre de résidence pour adultes présentant une déficience mentale que ses parents ont mis sur pied lorsqu’il avait 17 ans. « Plus jeune, ma mère avait eu l’occasion de travailler dans une institution pour enfants abandonnés. Elle a donc voulu créer un accueil plus familial que le gardiennage en vigueur dans certaines grosses structures. » Surtout, en 1973, la maman de Geoffrey a accouché de deux filles siamoises, décédées à la naissance. Kama peut être considéré comme un hommage, un lieu où les jumelles auraient pu vivre si le destin n’en avait pas décidé autrement. « Dans ma famille, on a toujours baigné dans le social: ma mère a été adoptée, ma soeur aussi. Ce centre coulait de source. Les pensionnaires se retrouvaient chez nous sur avis médical, à partir du moment où ils commençaient leur « traitement » et qu’ils avaient besoin d’un foyer pour évoluer sur le plan personnel. »
Pendant quinze ans, Geoffrey assure la direction de l’établissement, qui compte une cinquantaine d’employés et, en moyenne, septante résidents. Il gère le personnel et les éventuels conflits, s’occupe en partie de la comptabilité, donne les douches en cas de besoin… Sa fonction lui octroie peu de temps libre. « Au bout d’un moment, je me suis demandé ce que je pouvais faire d’autre. » Daniel Auteuil décidera en partie pour lui. Au terme d’une soirée télé aux côtés de Laurence, son épouse, celle-ci monte se coucher. Geoffrey en profite pour zapper et tombe sur un film dans lequel joue l’acteur césarisé. Assis à une terrasse, Auteuil analyse le langage corporel d’un couple d’inconnus dont il dresse le portrait en détail. C’est de la synergologie. C’est ça que le Hennuyer veut faire, il en est convaincu.
Dès le lendemain, il s’inscrit à une formation dénichée sur Internet, mais se trompe d’orientation et se retrouve, à Namur, à apprendre la programmation neurolinguistique (PNL) et le coaching mental. « J’ai détesté la première séance. J’ai adoré les suivantes. » Une fois diplômé et de retour au centre, Geoffrey teste quelques méthodes de coaching mental avec ses employés – « pas avec les pensionnaires, je ne voulais pas jouer aux apprentis sorciers, chacun son job » – jusqu’à ce qu’un deuxième événement précipite sa réorientation professionnelle. Alors que sa fille cadette fond en larmes pour la énième fois dans ses bras, le directeur de Kama se tourne vers son épouse pour en comprendre la raison. C’est son autre fille, du haut de ses 6 ans, qui lui répond: « C’est normal qu’elle ne te connaisse pas: elle ne te voit jamais. » « La preuve qu’elle-même avait vécu ça. Ça a fait office de déclic: je travaillais trop, je ne m’occupais pas suffisamment de ma famille. » Le Montois remet sa démission et déménage avec les trois femmes de sa vie, direction les Etats-Unis.
Sa plus grosse claque
Le décès de mon père. Il venait à peine de guérir d’une lourde maladie et il est mort trois jours plus tard d’une septicémie foudroyante. Je ne m’y attendais pas. »
Green card et pnl
Comme beaucoup d’enfants pratiquant le football, Geoffrey a rêvé de devenir pro. Mais comme bon nombre d’entre eux, il n’y est pas parvenu. Sa volonté de travailler dans l’univers sportif est une sorte de revanche. « J’aime la discipline extrême à laquelle se soumettent les athlètes parce que je suis comme ça aussi: j’aime les choses claires et bien réglées. » Les Etats-Unis, c’est un choix à la fois pratique et du coeur: quitte à travailler dans un environnement anglophone, autant privilégier le soleil de Miami que la pluie de Birmingham. Le problème, de l’autre côté de l’Atlantique, c’est d’obtenir la green card, le sésame qui permet de vivre et travailler sans restrictions sur le sol américain. Elle s’obtient par les liens familiaux, la fortune ou le talent. « Là-bas, ce qu’ils veulent, c’est que tu sois le meilleur. »
Parmi douze critères – dont la détention d’un Nobel! -, trois sont nécessaires pour être éligible. Rendu en 2019, le dossier de Geoffrey mesure près de vingt centimètres d’épaisseur. « J’ai dû prouver que j’étais cher – pour eux, si tu es cher, tu es bon -, que j’étais médiatisé et que mes joueurs et les sociétés pour lesquelles je travaillais avaient fait de meilleurs résultats entre la fin et le début de notre collaboration. » Aujourd’hui, le Montois vit à côté de Tampa, en Floride, et bosse autant avec des Américains que des Européens. Grâce aux réseaux sociaux, il a même collaboré un temps avec un sportif asiatique… jusqu’à ce que le décalage horaire rende les échanges trop compliqués. « J’ai aussi refusé beaucoup d’accompagnements, parfois de grands noms. Je ne travaille pas avec des clients avec qui je ne me sens pas « compatible ». Je vois assez rapidement à qui j’ai affaire, et si tu as un cou comme ça, mime-t-il, ce n’est pas la peine. Je préfère évoluer avec des gens simples, aux côtés desquels je vais m’épanouir. » S’épanouir dans le coaching, qu’il ressent comme quelque chose de naturel, mais également au vu des résultats, par exemple quand il assiste à un match du RSW Liège Basket au cours duquel trois joueurs qu’il accompagne font une belle performance.
Dates clés
- 1987: « Je vois pour la première fois le film Retour vers le futur. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je voulais habiter aux Etats-Unis. »
- 2002: « La naissance de ma première fille. La deuxième est arrivée six ans plus tard. »
- 2012: « Je débute ma carrière de coach mental en collaborant avec le champion de boxe Steve Hérélius. »
- 2019: « J’obtiens enfin la carte verte qui me permet de vivre et travailler sans restrictions aux USA. »
- 2020: « Je publie Everything is possible, un coach mental à la conquête des étoiles (éd. Etre vu pour être lu), qui raconte mon parcours. »
Des échecs, il n’a pas le sentiment d’en avoir connus. Il y a bien ce sportif qui a décidé de stopper son évolution pour s’orienter vers un autre secteur, plus lucratif, mais c’est tout. Rien qui puisse affecter le moral du quadra, qui a lui-même recours aux services d’un coach mental. « Pour lutter contre le conditionnement qui nous amène à toujours reproduire les mêmes choses et nous conduit systématiquement dans le même mur alors qu’il y a des passages sur les côtés. J’ai besoin de discuter avec quelqu’un pour ouvrir les oeillères que je me mets. » Bien ancré de l’autre côté de l’Atlantique, Geoffrey rêve un jour de travailler avec une équipe nationale belge. « J’accepterais n’importe quel autre pays, mais il y a une question de patriotisme: je serais fier d’être présent pour la Belgique. Et puis, une équipe nationale n’implique pas un travail quotidien sur place: les rendez-vous sont ponctuels, il y a des stages… C’est jouable. »
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